Section Profil santé
Recherche et rédaction : Caroline Trudeau, Dt.P., nutritionniste
Révision scientifique : Sonia Pomerleau, Dt.P., M.Sc., Institut des nutraceutiques et des aliments fonctionnels (INAF), Université Laval
La patate douce au fil du temps
Le terme « patate » est apparu dans notre langue en 1599. Il dérive de l'espagnol batata, qui l'a emprunté à l'une des nombreuses langues parlées par les Arawaks, des indigènes de la région centrale des Amériques - installés notamment dans les Antilles au moment de la Conquête - et, bien sûr, consommateurs de patate douce.
Bien que le mot « patate » suffise en principe à désigner le tubercule de l'Ipomoea batatas, on prend généralement la peine d'ajouter l'adjectif « douce » ou « sucrée » pour ne pas la confondre avec la pomme de terre que, sous l'influence de l'anglais, on appelle souvent « patate ».
On a longtemps cru que la patate douce venait de l'Inde, et certains l'affirment encore. C'est que cette plante était fort probablement cultivée sur le sous-continent indien avant le XVIe siècle. Toutefois, des fouilles archéologiques effectuées dans des sites péruviens - où les vestiges les plus anciens datent de 8 000 ans avant notre ère - indiquent qu'elle est bel et bien originaire de l'Amérique du Sud. On ne sait pas s'il s'agit de variétés cultivées, mais si c'était le cas, la patate douce serait probablement la première plante à avoir été domestiquée dans le Nouveau Monde, voire sur la planète. On n'a jamais trouvé l'ancêtre sauvage de cette espèce, bien qu'on ait trouvé ceux d'autres espèces du genre Ipomoea.
La patate douce fut introduite par les Espagnols et les Portugais en Europe, en Asie, en Afrique et en Australie après la conquête du Nouveau Monde. Par contre, elle a été introduite en Océanie bien avant la découverte de l'Amérique, peut-être vers 1 500 avant notre ère, ce qui signifie qu'elle aurait voyagé vers l'ouest en empruntant les embarcations sud-américaines, puis polynésiennes pour s'installer graduellement sur toutes les îles du Pacifique, où elle fait depuis longtemps partie de l'alimentation de base. Une autre hypothèse veut que ses semences aient pu être disséminées par des oiseaux, dont le pluvier doré de Polynésie, réputé pour être un visiteur occasionnel des côtes occidentales de l'Amérique du Sud. D'autres chercheurs pensent plutôt que les capsules contenant les semences auraient été entraînées par les courants marins et se seraient implantées le long des rives fertiles des îles du Pacifique.
Aujourd'hui, la patate douce est cultivée dans tous les pays tropicaux, où elle constitue une importante ressource alimentaire. En plusieurs endroits, on en nourrit également les animaux d'élevage.
Usages culinaires
Bien choisir
On trouve des patates douces dans la majorité des épiceries. La couleur de leur chair va de blanc crème à pourpre en passant par l'orange et le rouge. D'un point de vue nutritionnel, les variétés à chair orange ou pourpre sont préférables.
Apprêts culinaires
La patate douce, comme l'igname, se prête aux mêmes usages culinaires que la pomme de terre. Nettement plus sucrée que celle de cette dernière, sa chair permet également d'en faire des entremets, des marmelades, des poudings, des biscuits, des gâteaux, des glaces, des crêpes et d'autres desserts.
* Comme légume d'accompagnement, les cuire à l'eau. Ou en faire des tranches épaisses et les dorer à la poêle; cuire jusqu'à ce que l'intérieur soit tendre, puis assaisonner d'une herbe fraîche.
* Pour des potages ou des veloutés, cuire les cubes de patate douce dans du bouillon de poulet, passer au mélangeur, ajouter de la crème fraîche ou du yogourt, un filet de lime et du gingembre.
* Pour faire des galettes rôties, râper les tubercules et émincer finement un oignon. Presser dans un linge pour extraire le jus, mélanger avec des oeufs et de la farine et faire frire à la poêle. On peut assaisonner la préparation avec du cumin, des piments forts et du curry.
* À l'antillaise : faire cuire les tubercules coupés en cubes avec de l'oignon et des morceaux de courge dans du lait de coco assaisonné de clou de girofle, de cannelle et de sel.
* Intégrer de la chair de patate douce dans les purées de poisson, comme la brandade, un mélange de morue émiettée, d'huile, de crème et d'ail.
* En Afrique, on fait un pain plat croustillant en mélangeant en parts égales de la farine de blé et la chair cuite de patates douces. La pâte est ensuite divisée en portions, aplatie et cuite à la poêle, à sec ou avec un peu d'huile.
* Ne pas hésiter à intégrer des cubes de patate douce dans le couscous.
Jardinage biologique
Bien que la patate douce soit originaire des tropiques, des chercheurs ont sélectionné des variétés que l'on peut cultiver dans le nord avec un succès relatif. Très décorative, la plante est aussi cultivée dans les plates-bandes de fleurs. La propagation se fait par bouturage. On peut se procurer les boutures chez un spécialiste* ou les prélever soi-même sur un ou des plants qu'on aura gardés en pot à l'intérieur durant l'hiver. Il suffira alors de les mettre dans l'eau jusqu'à ce qu'elles aient formé de bonnes racines.
Quand on cultive soi-même les patates douces, on a le bénéfice de se régaler aussi des tiges et des feuilles qui se mangent comme des épinards.
Transplanter les plantules dès leur livraison ou les garder dans l'eau jusqu'au moment où il est possible de les mettre en pleine terre, c'est-à-dire lorsque les dangers de gel sont écartés. Choisir un endroit ensoleillé, chaud et exempt de mauvaises herbes. Constituer des buttons de terre bien meuble afin de favoriser la croissance des tubercules.
Le pH devrait se situer entre 5 et 6,5. Appliquer un engrais à base de phosphate et de potassium. Éviter l'azote qui risque de favoriser les tiges au détriment des tubercules. Veiller à ce que l'irrigation soit constante, mais éviter que les plants aient les pieds dans l'eau.
La récolte se fait lorsque le gel noircit les feuilles ou lorsque la température tombe sous les 10 ºC. Faire maturer les tubercules pendant une semaine ou deux dans un endroit humide où la température est d'environ 27 ºC, puis conserver à 18 ºC à l'obscurité.
Écologie et environnement
À la fois moins exigeante pour le sol et plus productive à l'hectare que les céréales, la patate douce est en outre particulièrement bien adaptée aux climats arides et aux sols secs. De plus, puisqu'elle possède des tiges rampantes, elle protège le sol contre l'érosion éolienne. Dans les pays tropicaux, contrairement aux grandes cultures céréalières, elle est surtout le fait de petits producteurs, particulièrement des femmes, qui la cultivent bien souvent sur de minuscules lopins de terre. Cela leur permet de nourrir leur famille à moindre coût, la plante étant facile à multiplier puisqu'il suffit généralement de prélever des boutures sur les plants établis et de les piquer directement dans la terre, sans autre intervention d'importance. Énergétique et riche en nutriments, elle constitue, avec les autres légumes racines, une source alimentaire inestimable pour les plus démunis de la planète.
Écologie humaine
Promouvoir la culture de la patate douce à chair orange dans les pays en développement est plus fructueux à maints égards que de fournir de l'aide alimentaire, sous forme de produits transformés ou de suppléments vitaminiques coûteux. Cette pratique favorise l'autosuffisance alimentaire de même que l'indépendance vis-à-vis des grandes entreprises transnationales, tout en préservant les traditions culinaires locales.
En Afrique et dans les Caraïbes, elle est à la base d'une industrie artisanale prolifique : la fabrication d'une farine moins coûteuse et plus riche que celle du blé et que les paysans transforment en pains, gâteaux et autres produits de consommation courante qu'ils écoulent sur les marchés locaux.
Considérée comme un aliment de sécurité, elle a sauvé des millions de personnes de la famine - tant en Afrique qu'au Japon et en Chine - à la suite de catastrophes écologiques ou humaines (sécheresse, conflits armés, etc.). Dans les plaines semi-arides de l'est de l'Afrique, elle porte le nom de cilera abana, littéralement « protectrice des enfants ». De plus, elle est présentement considérée comme l'une des meilleures solutions au grave problème de carence en vitamine A qui sévit dans toute l'Afrique subsaharienne, où trois millions d'enfants de moins de cinq ans souffrent de xérophtalmie, maladie oculaire directement attribuable à cette carence, laquelle est également en partie responsable du haut taux de mortalité chez les femmes enceintes. Or, des chercheurs ont observé que la consommation de patates douces à chair orange, même en petite quantité, élimine le risque de carence.
Sections La patate douce au fil du temps, Usages culinaires, Conservation, Jardinage biologique
Recherche et rédaction : Paulette Vanier
Coordination du contenu : Josiane Cyr, Dt.P., nutritionniste
Fiche mise à jour le : 6 février 2006
Références
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