CAPSULE
À MÉDITER:
Dix mois après la révolution orange, à peine 37% des Ukrainiens croient que leurs nouveaux leaders sont meilleurs que les anciens, 42% jugent que la situation économique s'est détériorée et 73% estiment que la corruption est aussi répandue qu'avant.
À SUIVRE:
Les élections du 6 novembre prochain en Azerbaïdjan, et celles du 16 juillet 2006 en Biélorussie.
De Montréal à Ankara, controverse autour d'un récit du génocide arménien
Poursuivi par la justice de son pays, l'éditeur turc risque deux ans de prison
Gruda, Agnès
Dora Sakayan tend un mince cahier à couverture brune où une écriture compacte relate, jour après jour, le dernier chapitre du génocide arménien: la destruction systématique de la ville turque de Smyrne.
L'auteur de ce journal, son grand-père Garabed Hatcherian, recense les deux semaines d'horreur qui, en septembre 1922, ont coûté la vie à une dizaine de milliers d'habitants de cette ville. Parmi eux, 10 membres de sa propre famille.
Pour Mme Sakayan, linguiste montréalaise qui a longtemps enseigné à l'Université McGill, ce petit cahier est une " relique ", racontant le chapitre le plus douloureux de son histoire familiale.
Mais ce document qui est resté pendant des décennies le secret le mieux gardé de sa famille se trouve aussi au coeur d'une controverse bien contemporaine. Le témoignage vient en effet de paraître en traduction turque, à Ankara. Accusé d'outrage à l'identité turque, aux forces armées nationales et à la mémoire du fondateur du pays, Mustafa Kemal Atatürk, son éditeur, Ragip Zarakolu, risque jusqu'à deux ans de prison.
M. Zarakolu a comparu en cour le 21 septembre. " Ces événements ont vraiment eu lieu. Interdire les choses n'y changera rien ", s'est-il alors défendu.
" Le meilleur moyen de prévenir les guerres civiles est de promouvoir la culture de la paix, et pour cela, il faut permettre que l'on tire les leçons des guerres passées ", ajoutait-il.
Censure de fer
De quelle guerre parle-t-il? De celle que son pays a menée à sa minorité arménienne et dont l'acte le plus sanglant, joué en 1915, a fait plus d'un million de victimes. Le gouvernement turc refuse de reconnaître toute responsabilité dans ce massacre.
M. Zarakolu fait partie de la poignée d'intellectuels turcs qui tentent de percer une brèche dans cet écran négationniste. Mais le régime d'Ankara maintient une censure de fer sur cette question.
Ragip Zarakolu a eu de nombreux accrochages avec la justice. Aujourd'hui, il mène de front quatre batailles judiciaires, toutes pour des ouvrages traitant de la manière dont la Turquie traite ses minorités.
D'autres intellectuels, de plus en plus nombreux, tentent depuis peu d'ouvrir la boîte aux fantômes arméniens. Alors les poursuites se multiplient. Au moment où Ankara commence à négocier son adhésion à l'Union européenne, ces recours en série ressemblent à une fuite en avant.
" Le gouvernement nous harcèle, mais si elle veut adhérer à l'Europe, la Turquie ne pourra faire autrement que de faire face à ce passé ", note M. Zarakolu, joint hier par La Presse. Autrement, la démocratisation du pays est impossible, croit-il.
L'éditeur a longtemps crié seul dans le désert. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Une première conférence d'experts sur la question arménienne a eu lieu fin septembre, à Istanbul.
" La glace a commencé à fondre, reconnaît Dora Sakayan. Mais je me demande comment le gouvernement turc fera pour expliquer à son peuple ce que la Turquie a fait aux Arméniens. "
Secret de famille
La famille de Dora Sakayan est éparpillée aux quatre coins du monde et ce n'est qu'en 1992 que cette universitaire a appris, par une cousine exilée en France, l'existence du précieux journal de son grand-père.
Elle l'a édité, ajouté des commentaires et des références historiques, et traduit- ou fait traduire- dans neuf langues. La version française est parue il y a cinq ans, sous le titre Smyrne, entre le feu, le glaive et l'eau: les épreuves d'un médecin arménien (éditions l'Harmattan).
Dans son journal, le docteur Garabed Hatcherian raconte comment le chaos et la panique se sont emparés de cette ville qui avait accueilli de nombreux survivants de 1915. Mais, surtout, il fait le lien entre le fondateur de l'État turc, Mustafa Kemal Atatürk, et le saccage de Smyrne. Pour la justice turque, c'est impardonnable.
" Garabed Hatcherian était un citoyen loyal de notre pays, plaide pourtant Ragip Zarakolu dans sa défense. Nous lui devons des excuses. "
Des excuses? Dora Sakayan n'en demande pas tant. " Je serais heureuse si seulement le gouvernement turc reconnaissait ce qui est arrivé. Tant qu'il ne l'a pas fait, je vis avec ce fardeau. Ma fille et mes petits-enfants aussi. "
Mais Ragip Zarakolu, qui doit accueillir aujourd'hui même à Ankara une délégation européenne qui enquête sur la liberté d'expression en Turquie, est sûr que son pays devra forcément soulager les descendants arméniens de ce poids qu'ils traînent depuis 90 ans.
DES CHIFFRES QUI PARLENT
300
Nombre de Gambiens qui se trouvaient à bord d'un avion nolisé qui a simulé une panne d'essence et un atterrissage d'urgence pour leur permettre d'arriver à temps à un match de football de l'équipe nationale.
340
Nombre de chiens découverts dans la résidence d'un couple français en Lorraine. Un peu excessif ?
4026
Indemnité, en euros, versée par l'armée de l'air danoise à un "père Noël" vivant dans une île isolée. Son renne Rudolf aurait été terrassé par le bruit d'un avion militaire qui passait à basse altitude. C'est pas un cadeau.
ICI ET AILLEURS
Québec
Raffinement syndical
Décidément, les grandes centrales syndicales rivalisent de raffinement par les temps qui courent. La semaine dernière, deux membres des Zapartistes, payés par la CSN et la FTQ pour réchauffer leur assemblée, ont lancé que le président de Bombardier demandait des fellations à la présidente du Conseil du Trésor. Et voilà que la livraison automnale du magazine Nouvelles CSQ met en scène sur sa page frontispice un Jean Charest en sans-abri et une Monique Jérôme-Forget dépeinte en petite bourgeoise et portant au bras un sac "Herpès", clin d'oeil trop, mais vraiment trop subtil, aux produits Hermès. On comprend tout de suite que ça ne lésine pas sur l'effort intellectuel.
GRANDE-BRETAGNE
Chasse interplanétaire
Vous aimez les petits bonshommes verts? L'Université de Glamorgan, au pays de Galles, a ce qu'il vous faut: elle vient d'annoncer la création d'un "diplôme d'étude de vie extraterrestre". Le cursus comprendra notamment des modules d'exploration du ciel, de zoologie des vertébrés ainsi que des cours d'astronomie. Le professeur responsable, Mark Brake, entend par ailleurs montrer des films populaires comme E.T. et Rencontre du troisième type parce qu'ils ont "influé sur la façon dont les scientifiques" mènent leurs études. Rien sur le Doc Mailloux ?
ILS, ELLES ONT DIT...
Comique
"On doit tenir compte de la réalité."
- Le ministre des Finances du Québec, MICHEL AUDET, expliquant pourquoi le gouvernement ne baissera pas, comme prévu, les impôts. Il faudrait peut-être aussi que les libéraux tiennent compte de la réalité durant les campagnes électorales...
Pragmatique
"Si c'est vrai, ce que j'avance, il faut en tenir compte. Si c'est faux, c'est faux."
- Le Doc MAILLOUX, commentant la controverse suscitée par ses propos sur le quotient intellectuel des Noirs. Et si c'est simplement stupide ?
Jovialiste
"C'est la fin des deux solitudes."
- La nouvelle gouverneure générale du pays, MICHAËLLE JEAN, lors de sa prestation de serment cette semaine. Méchant scoop.
Historique
"Ceux qui disent (que Mouammar Kadhafi est un dictateur) ne connaissent pas l'histoire. Si vous demandez à Nelson Mandela ce qu'il pense de Kadhafi, il va dire que c'est un grand, grand, grand démocrate qui a fait beaucoup pour le développement du gouvernement sud-africain."
- JACQUES LAMARRE, PDG de SNC-Lavalin, qui a obtenu des contrats totalisant près d'un milliard de dollars en Libye.
EN HAUSSE... EN BAISSE
- RONALD MCDONALD
Le sympathique adepte de gras trans n'a plus la cote au Japon, où il vient d'être remplacé dans des réclames publicitaires par une femme portant bikini et talons hauts. À ce rythme-là, il va finir comme Youppi, le pauvre.
- LE YOGA
Il s'agit d'une invention démoniaque, non d'une forme millénaire de médi-tation et de relaxation. C'est du moins ce qu'affirment certaines Églises évan-géliques américaines, qui mettent en garde leurs fidèles contre cette pratique impie. Dire qu'on pensait que ça pouvait faire du bien.
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En attendant les plombiers turcs
Gruda, Agnès
Orhan Pamuk est l'un des écrivains turcs les plus lus de sa génération. Les titres de ses romans évoquent souvent des couleurs: Mon nom est rouge, Château blanc, ou encore Le Livre noir. Et ils se déclinent dans une bonne vingtaine de langues.
Mais tous ses succès n'y peuvent rien: le 16 décembre, le romancier de 53 ans doit comparaître devant un tribunal turc pour un délit qui pourrait lui valoir jusqu'à trois années de prison. Nature du crime: dénigrement public de l'identité nationale.
Son infraction remonte à février 2004. Dans une entrevue accordée à un journal suisse, Orhan Pamuk a osé parler des attrocités infligées par son pays aux Kurdes et aux Arméniens. "Trente mille Kurdes et un million d'Arméniens ont été tués sur ces terres, et personne n'ose en parler sauf moi", avait-il déclaré.
Reprise par la presse populaire locale, la citation a enflammé les esprits. Une première plainte pour outrage au patriotisme a été rejetée par un tribunal. Fin août, un second tribunal a décidé d'inculper l'écrivain d'Istanbul.
Orhan Pamuk n'est pas le seul. Au moment où la Turquie entre dans le processus d'adhésion à l'Europe - les négociations doivent ouvrir officiellement demain - Ankara durcit le ton à l'égard de ceux qui mettent sur la place publique des sujets politiquement sensibles. Comme le traitement réservé à la minorité kurde. Ou le génocide arménien de 1915.
Il y a 10 jours, un tribunal a interdit, pour la deuxième fois, la tenue d'une conférence universitaire qui sous un titre très pudique - "Les Arméniens ottomans au temps du déclin de l'Empire" - abordait de front la question du génocide. Vendredi prochain, un journaliste turc fera face à la justice pour avoir revendiqué son identité arménienne.
Cette multiplication de recours montre qu'avant d'atteindre les normes démocratiques européennes, ce grand pays doit encore faire la paix avec ses démons. Mais paradoxalement, elle montre aussi que la Turquie est déjà bel et bien engagée sur ce chemin.
Car la conférence deux fois reportée a finalement eu lieu, malgré l'interdit. Et le mot tabou, génocide, y a été bel et bien prononcé. Le débat, longtemps réprimé, a finalement fait surface.
Mais n'est-ce pas justement parce que les intellectuels s'emparent enfin de ce sujet que le régime s'affole et se rabat sur la justice? "La Turquie est en train de devenir un véritable État de droit", se réjouissait récemment Orhan Pamuk lui-même, dans un entretien avec l'Express.
"On commence peu à peu à parler, par exemple, de la question arménienne, alors qu'auparavant, ceux qui brisaient ce tabou étaient violemment attaqués. La transformation de la société turque est déjà amorcée", concluait-il.
L'Europe est encore loin. Avant de parvenir au but, la Turquie devra peu à peu absorber quelque 80 000 pages de règles de l'UE - un processus tatillon qui pourrait durer 10 ans. Et qui risque de trébucher sur les résistances que suscite, dans plusieurs pays de l'Union, la perspective d'avaler cet État de 70 millions habitants, en grande majorité musulmans.
L'Europe, qui a eu de la peine à digérer son dernier élargissement, n'est pas à la veille de voir les plombiers turcs suivre le chemin de leurs confrères polonais et débarquer massivement dans les cuisines de ses grandes capitales. Mais que les Européens le veuillent ou non, la grande marche turque est déjà amorcée.
Qui a causé l'ouragan Katrina? Pour l'organisation pro-vie Columbia
Christians for Life, c'était une punition divine pour tous les enfants tués par avortement à La Nouvelle-Orléans. Selon des intégristes musulmans, la colère de Dieu s'était plutôt déchaînée sur cette ville afin de la châtier pour sa tolérance à l'endroit des homosexuels.
L'ineffable leader musulman afro-américain, Louis Farrakhan, a émis sa propre théorie sur la question. Dans un discours à Philadelphie, il a laissé entendre que Dieu a pu compter dans cette affaire sur un coup de pouce de la Maison-Blanche, qui aurait détruit intentionnellement les digues de La Nouvelle-Orléans pour débarrasser la ville de sa population noire.
Cette théorie du complot est tellement grossière, note le webzine Salon, qu'elle finit par détourner l'attention des véritables négligences de l'administration Bush qui ont fragilisé La Nouvelle-Orléans et sa population - en grande majorité pauvre et noire. Autrement dit, les théories du complot peuvent se retourner comme des boomerangs contre ceux qui les lancent.
À MÉDITER: "Quand on essaie de réprimer les souvenirs, il y a toujours quelque chose qui revient. Je suis ce qui revient." - l'écrivain turc ORHAN PAMUK.
À VENIR: Son plus récent roman, Neige (éditions Gallimard), sera en vente au Québec dès le 13 octobre.
À NE PAS OUBLIER: jusqu'à maintenant, tous les pays qui ont amorcé des négociations avec l'Union européenne ont fini par y adhérer.
agruda@lapresse.ca