La chronique ironique qui voit et entend tout... à sa façon
Gruda, Agnès; Benessaieh, Karim; Thibodeau, Marc
Haaretz; BBC; AFP
DES CHIFFRES QUI PARLENT
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Le nombre de personnes qui se sont évanouies en Israël pour avoir jeûné pendant la fête du Yom Kippour. Seize d'entre elles ont dû être réanimées.
6 241 512
Le nombre de personnes mortes de faim dans le monde depuis le début de 2005. C'est plus que le nombre de victimes faites par la malaria, le sida et la tuberculose réunies.
ICI ET AILLEURS
BRUXELLES
Schtroumpf blessé
Les malheurs du monde vous laissent indifférent ? L'UNICEF a trouvé le moyen de secouer le public blasé avec une pub où l'on voit le paisible village des Schtroumpfs ravagé par un bombardement destructeur. L'annonce s'ouvre sur une image de Schtroumpfs dansant autour d'un feu de camp. Mais une pluie de bombes met un terme à cette scène bucolique. "Ne laissez pas la guerre affecter la vie de vos enfants", dit le message final. Pour limiter la controverse, les publicitaires ont dû édulcorer un peu les images. Pas de têtes ni de bras arrachés, qui auraient pu choquer les plus petits. On est délicat ou on ne l'est pas.
NORWICH (Grande-Bretagne)
Limite aveugle
Six aveugles et trois malvoyants ont été expulsés d'un avion de Ryanair, à Norwich, en Grande-Bretagne, parce que leur nombre dépassait la limite de passagers handicapés permise à bord par cette compagnie aérienne. "C'est malheureux, mais notre maximum est de quatre passagers handicapés", a expliqué un porte-parole de Ryanair. On est respectueux des règlements ou on ne l'est pas.
MONTRÉAL
Une belle diversité
La nouvelle de l'arrestation brutale d'Anne-Marie Péladeau, soeur de Pierre-Karl et fille de feu Pierre Péladeau, a été publiée en première page du journal Métro (qui appartient à Transcontinental), mais complètement oubliée par 24 heures (qui appartient à Quebecor). Qui a dit qu'il n'y avait plus de diversité de l'information à Montréal ?
ILS, ELLES ONT DIT...
Sibyllin
"Les lois actuelles ne facilitent pas la place des femmes en politique parce que c'est dispendieux."
- Le candidat à la mairie de Montréal PIERRE BOURQUE, lors d'un débat sur (devinez quoi ?) la place des femmes à Montréal. Auparavant, il avait souligné l'importance de la "cheville ouvrière" dans la vie de quartier. Les "chevilles ouvrières" qui ont assisté à ce débat cherchent encore ce que M. Bourque voulait dire au juste...
Toujours prêt
"Il devra me présenter une jolie fille de son pays."
- L'ineffable premier ministre italien, SILVIO BERLUSCONI, au sujet de son homologue roumain, Calin Popescu-Tariceanu, et de l'adhésion de ce pays à l'Union européenne.
Optimiste
"La marche de l'Afghanistan vers la démocratie inspire le monde."
- La secrétaire d'État américaine CONDOLEEZZA RICE, après une visite dans ce pays, qui s'enfonce de plus en plus dans la violence.
EN HAUSSE... EN BAISSE
- LE MONT EVEREST
Selon les plus récentes mesures, son sommet s'élève à 8844,43 mètres, soit 3,7 mètres de moins qu'il y a 30 ans.
- LES SACS EN PLASTIQUE
En particulier ceux qui ne sont pas biodégradables et qui seront interdits en France à compter de 2010.
Envoyez-nous vos commentaires et suggestions à ohetbah@lapresse.ca
Avec la collaboration de Karim Benessaieh, Agnès Gruda, Marc Thibodeau, Haaretz, BBC, AFP
L'empire de la peur
Gruda, Agnès
Jusqu'où peut-on aller trop loin pour se protéger contre le terrorisme? Trois mois après les attentats de Londres, quatre ans après ceux de New York et Washington, la question est obsédante. Et omniprésente: elle domine les débats politiques des deux côtés de l'Atlantique.
Commençons par la Grande-Bretagne. Mercredi dernier, le premier ministre Tony Blair a présenté une nouvelle proposition visant à renforcer la sécurité du pays.
Dans ce projet de loi, deux mesures suscitent la controverse. L'une prévoit rallonger jusqu'à 90 jours la période de détention provisoire de présumés terroristes. La seconde interdirait toute "glorification du terrorisme", sous peine de sept ans de prison. Dans les deux cas, les organisations de défense des libertés jugent que, cette fois, l'État va trop loin et que les droits civiques sont menacés.
Maintenant, la France. Mercredi prochain, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, doit présenter son avant-projet de loi de lutte contre le terrorisme. Au menu: un meilleur contrôle des déplacements, qui obligera les compagnies de transport à communiquer à la police les renseignements personnels de leurs clients. Et un plus grand contrôle de l'Internet, qui permettrait notamment aux enquêteurs de retracer les clients des cybercafés.
Continuons la liste. Plusieurs pays européens ont déjà entrepris de sévir contre les imams qui prêchent la haine dans leurs mosquées. La France, les Pays-Bas et l'Italie ont même commencé à les expulser.
La Belgique s'apprête à faciliter l'écoute téléphonique. Les Pays-Bas veulent faciliter l'expulsion d'étrangers reconnus coupables d'un acte criminel. Et l'Union européenne débat d'un projet de directive qui obligerait les fournisseurs à stocker pendant au moins un an toutes les données des courriels, SMS et conversations téléphoniques.
Enfin, aux États-Unis, le comité sénatorial sur le renseignement vient d'appuyer une énième demande du Pentagone, qui réclame de nouveaux pouvoirs d'espionnage.
Le monde est-il en train de tomber sur la tête sous l'emprise de la peur? En fait, plusieurs de ces initiatives tombent sous le sens. Les terroristes de Londres avaient été endoctrinés par des prédicateurs fanatiques qui sévissaient en plein coeur de la capitale britannique. Ils ont tenu leurs "réunions" dans des cybercafés. Et puis, selon les experts, depuis la chute du régime des talibans, les camps d'entraînement d'Al-Qaeda ont carrément déménagé... sur Internet.
Quoi de plus normal, donc, que de vouloir chasser les imams les plus délirants, contrôler le Net et surveiller de plus près les communications des cybercafés?
Mais entre ce resserrement des contrôles et la dérive sécuritaire, la ligne n'est pas toujours évidente à tracer. "Il y a des gens aux États-Unis qui détiennent des renseignements de valeur", a plaidé cette semaine un responsable du service du renseignement du Pentagone, Jim Schmidli.
Jusque là, ça va. Mais écoutez encore: "Ces renseignements se trouvent au sein de différentes communautés ethniques de ce pays, en particulier chez des gens venus récemment de régions en détresse, surtout du Moyen-Orient", a-t-il poursuivi.
Observez comme le viseur du Pentagone se resserre autour de ses cibles. Et comme il cadre sans sourciller une communauté entière...
Les dérives sont tout aussi possibles quand vient le temps de chasser les prêcheurs fanatiques. Un exemple: au printemps dernier, l'Allemagne avait failli expulser un imam qui avait décrit les Allemands comme des "athées puants et inutiles".
D'accord, ce n'est pas déclaration la plus nuancée ni la plus élégante.
D'ailleurs, la cour constitutionnelle a finalement bloqué l'ordre d'expulsion.
Mais un autre attentat, un autre resserrement législatif et, bientôt, ce sont tous les Doc Mailloux de la planète qui tomberont sous le coup de l'expulsion...
Jusqu'où peut-on donc aller pour se protéger sans déraper? Le maire de Londres, Ken Livingstone, a proposé de soumettre la proposition Blair au "test Nelson Mandela". Si, sous le coup de la nouvelle loi, Nelson Mandela avait risqué d'être condamné pour discours haineux et apologie du terrorisme, c'est que la frontière de l'acceptable a été franchie...
Et le Canada dans tout ça? Dans un rapport qui doit être publié cette semaine, Amnistie Internationale reproche au gouvernement canadien d'avoir incarcéré quatre hommes soupçonnés - mais jamais accusés - de constituer une menace pour la sécurité nationale. Et elle le blâme de vouloir expulser ces détenus vers des pays pratiquant la torture. La dérive sécuritaire ne s'arrête pas au bord du 49e parallèle.
À SURVEILLER :
Un colloque sur le thème du "débordement sécuritaire", organisé par le centre Études internationales et mondialisation de l'UQAM, aura lieu du 26 au 28 octobre prochain, à Montréal.
agruda@lapresse.ca
Les révolutions ne sont plus ce qu'elles étaient
Gruda, Agnès
Mercredi dernier, la Serbie célébrait sur une note tristounette le cinquième anniversaire du renversement de l'ancien dictateur Slobodan Milosevic. Rappelez-vous: les jeunes dans la rue, leurs t-shirts blancs, l'image d'un poing fermé, puis l'assaut contre le Parlement, à l'issue duquel le président honni a dû tirer sa révérence. Merci, bonsoir, le tout dans la joie et la bonne humeur.
Cinq ans plus tard, que reste-t-il de cette exaltation collective? Slobodan Milosevic a été inculpé pour crimes de guerre, mais ses pires complices courent toujours et Belgrade ne montre aucun empressement à les livrer à la justice. La corruption est endémique. La Serbie connaît un chômage de plus de 20% et l'inflation la plus forte de l'Europe.
"À Belgrade, nous vivons dans un monde chaotique... La situation est incertaine, à tel point que le passé change chaque jour et que l'avenir tarde à arriver", constatait récemment le cinéaste serbe Dusan Makavejev, qui est rentré d'exil pour vivre dans son pays démocratisé.
La Serbie n'est ni le premier, ni le dernier pays à vivre des lendemains qui déchantent. Mais son cas mérite le détour, ne serait-ce que parce que ce pays a en quelque sorte "breveté" un modèle de révolution pacifique qui continue à faire école. Avec, partout, des résultats plus que mitigés.
La Géorgie avait été la première à suivre l'exemple de Belgrade, avec sa "révolution des roses" - aujourd'hui bien défraîchies. Le taux de chômage dans ce pays frôle 30%. L'ancien héros révolutionnaire, Mikhaïl Saakachvili, se préoccupe davantage de son armée que d'économie. Son régime met des bâtons dans les roues des médias indépendants. Et la démocratisation traîne la patte.
Mais c'est en Ukraine que la déception a été la plus brutale. Début septembre, la "révolution orange" s'est échouée dans une véritable... révolution de palais. Le président Viktor Iouchtchenko a limogé son ancienne égérie, Ioulia Timochenko, sous des accusations mutuelles de corruption.
Pour imposer son nouveau premier ministre, le président au visage grêlé a dû conclure une alliance avec le postcommuniste Viktor Ianoukovitch - celui-là même qui incarnait le diable en personne il y a 10 mois à peine. En échange, il lui a promis l'immunité pour ses anciennes fraudes électorales.
Aucune réforme importante n'a été réalisée. L'économie s'écrase. Et l'orange n'a vraiment plus la cote sur la grande place de Kiev.
D'accord, la presse est restée libre, il y aura de nouvelles élections en mars et une réforme constitutionnelle en janvier. Reste que, pour l'instant, les Ukrainiens se sentent floués.
Belgrade, Tbilissi, Kiev: mêmes espoirs, mêmes déconvenues. Pourquoi donc ces révolutions de velours ne tiennent-elles pas leurs promesses? Elles se heurtent parfois à des problèmes structurels, comme des Constitutions mal foutues, avec limites de pouvoir mal définies ouvrant la porte aux rivalités, note Dominique Arel, directeur de la chaire d'études ukrainiennes à l'Université d'Ottawa.
Mais elles se heurtent plus encore aux rivalités personnelles, aux faiblesses humaines, à l'absence d'un leader fort dont l'intégrité serait à toute épreuve.
"Toutes les révolutions sont condamnées à décevoir, ne serait-ce que parce qu'elles créent des espoirs déraisonnables", écrivait récemment l'ex-dissident et intellectuel polonais Adam Michnik. Soit, mais certaines laissent dans leur sillage des acquis solides, des démocraties durables, bien que forcément imparfaites. Pendant ce temps, d'autres pataugent dans une gadoue où tout se vend au plus offrant, sous des apparences de démocratie...
Jusqu'à preuve du contraire, les pays qui ont été tentés par les "révolutions de couleur" soutenues par la Fondation Soros et d'autres ONG américaines sont à classer, hélas, dans la seconde catégorie.
Dans un mois, des élections parlementaires doivent avoir lieu en Azerbaïdjan. De nombreuses protestations y ont eu lieu récemment contre le régime du président Ilham Aliyev. Malgré la répression policière, un mouvement de jeunes, Yeni Fikir (Nouvelle Pensée), se prépare fébrilement pour le scrutin.
En Biélorussie, les groupes d'opposition viennent de choisir un candidat unique pour la présidentielle du 16 juillet 2006. La population, globalement apathique devant le régime du dernier dictateur stalinien, Aleksander Loukachenko, commence à bouger un peu. Et des jeunes se sont réunis au sein d'un mouvement appelé Zubr (le Bison).
Pour ces jeunes idéalistes qui se battent courageusement pour la démocratie, et pour les organisations qui les soutiennent, les révolutions de Belgrade, de Tbilissi et de Kiev constituent toujours des modèles à suivre... mais aussi des exemples d'écueils à éviter.