Le Hamas à la croisée des chemins
Gruda, Agnès
En décembre 2002, des dizaines de milliers de Palestiniens ont afflué au coeur de Gaza pour souligner le 15e anniversaire du Hamas. Israël disparaîtra avant 2025, a assuré le leader spirituel du mouvement islamiste, le vieux cheikh Ahmed Yassine, devant les acclamations de la foule.
Depuis, le cheikh Yassine a été tué lors d'un raid aérien ciblé. Le Hamas, qui avait toujours boycotté les instances législatives palestiniennes nées des accords avec Israël, a finalement décidé de se prêter au jeu politique. Et à sa propre surprise, il vient d'être élu pour diriger un conseil législatif dont il avait longtemps contesté la légitimité.
L'élection de mercredi constitue un tournant non seulement pour les relations israélo-palestiniennes, mais aussi pour le Hamas lui-même, cette organisation née il y a 19 ans autour d'une grande idée: combattre Israël.
Le mot " hamas " signifie zèle en arabe, mais c'est aussi l'acronyme du Mouvement de résistance islamique qui a été fondé à Gaza, en 1987, après l'explosion de la première Intifada.
Le mouvement n'est pas venu au monde sur un terrain vierge. Dès la fin des années 40, les Frères musulmans, qui prônaient un retour aux valeurs fondamentales de l'islam parmi les Palestiniens, se sont établis à Gaza.
L'un des leaders du mouvement, le cheikh Yassine, a entrepris d'organiser un réseau d'oeuvres caritatives, indirectement soutenu par Israël.
À cette époque, c'est l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et son chef, Yasser Arafat, qui représentaient la pire menace pour Israël. Et c'est pour saper son autorité et lui opposer des organisations rivales que le gouvernement israélien a soutenu discrètement les premiers embryons du Hamas, explique le politicologue québécois Sami Aoun.
Détruire Israël
La stratégie a contribué à donner naissance à un monstre. Dès 1988, le Hamas adopte sa Charte qui appelle à l'anéantissement d'Israël, affirme que seul le jihad, la guerre sainte, peut permettre de trouver une solution au problème palestinien et cite Le Protocole des sages de Sion, un document férocement antisémite, comme preuve des sombres desseins des sionistes.
Le Hamas rejette les négociations d'Oslo et le traité de paix qui en découlera, en 1993. Dès 1994, il organise son premier attentat suicide. Deux ans plus tard, une série d'attentats réussissent à faire dérailler le processus de paix.
Parallèlement, le Hamas organise des écoles et des oeuvres de charité, s'occupe des pauvres et des malades, et fournit les structures sociales qui manquent cruellement à Gaza.
L'organisation qui prône l'imposition de la charia réussit aussi, peu à peu, à imposer le port du hijab, éliminer les débits d'alcool et les cinémas de la bande de Gaza. Elle prend aussi le contrôle de l'unique université de Gaza, qui accueille pas moins de 4500 étudiants et devient la plus importante université de tous les territoires occupés.
Branche armée
Tout en bâtissant son réseau social et en répondant à des besoins que l'Autorité palestinienne, une fois établie au pouvoir, n'a jamais réussi à combler, le Hamas fonde les brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée responsable des attentats suicide. De tous les groupes armés palestiniens, le Hamas reste l'organisation qui a orchestré le plus grand nombre d'attentats terroristes: on en recense une soixantaine.
À mesure que le Proche-Orient s'enfonce de nouveau dans une vague de violence, à l'automne 2000, et que Yasser Arafat monopolise un pouvoir fermé et corrompu, la popularité du Hamas augmente. Y compris en Cisjordanie.
À partir de 2002, l'étau se resserre sur l'organisation dont le leadership est décimé. Le Hamas adoucit son discours. L'appel à la destruction de " l'entité sioniste " est retiré de son manifeste politique. Mahmoud Zahar, l'un des principaux dirigeants du mouvement à Gaza, ouvre une porte à la négociation en affirmant qu'il ne s'agit pas d'un tabou. Et Abdel Aziz Rantissi, le leader assassiné en avril 2004, promet une trêve maximale de 10 ans si Israël accepte de se retirer de tous les territoires occupés en 1967. " Notre religion nous interdit d'abandonner une seule parcelle de notre terre, alors nous ne pouvons pas reconnaître Israël. Mais nous pouvons accepter un cessez-le-feu, vivre côte à côte et laisser la question aux générations futures ", dit-il dans une entrevue avec la BBC.
Parmi ces générations montantes, il y a des jeunes modernes et pragmatiques qui pourraient transformer le Hamas, assure Sami Aoun. " Tout est possible maintenant, y compris la domination des groupes les plus radicaux ", s'inquiète le commentateur israélien Yossi Alpher. Chose certaine, sa victoire électorale place le Hamas devant des choix décisifs.
Les figures de proue du groupe islamiste
Gruda, Agnès
Comme tout mouvement politique, le Hamas est tiraillé par différents courants, du plus modéré au plus radical. Voici les figures de proue de cette organisation islamiste, ceux que l'on pourrait voir dans des postes de premier plan au sein d'un prochain gouvernement.
Le visage officiel Le 25 septembre 1997, deux agents du Mossad israéliens voyageant avec de faux passeports canadiens tentent d'assassiner, à Amman, un leader du Hamas à qui ils injectent une mystérieuse substance chimique. C'est le début d'une affaire rocambolesque qui obligera Israël à envoyer l'antidote du poison à la Jordanie et qui plongera le Canada et Israël dans une minicrise diplomatique.
L'homme qui a survécu à cette tentative d'assassinat c'est Khaled Mashaal, un physicien dans la quarantaine qui s'est depuis établi à Damas. Et qui est devenu le visage officiel du Hamas, son grand leader mondial, depuis que les dirigeants de Cisjordanie et de Gaza ont opté pour la clandestinité, dans l'espoir d'échapper aux " assassinats ciblés " d'Israël.
Père de sept enfants, Khaled Mashaal est considéré comme un membre de l'aile la plus radicale du Hamas, un tenant de la ligne dure à l'égard d'Israël. Il est aussi proche du régime syrien et des chiites iraniens, selon le politicologue québécois Sami Aoun.
Le faucon de Gaza
L'un des principaux leaders du Hamas à Gaza est Mahmoud Zahar, considéré comme le chef politique du mouvement pour les territoires palestiniens. Ce médecin dans la soixantaine dont le fils a été tué en 2003, et qui a lui-même été blessé dans un raid aérien israélien, est lui aussi considéré comme un faucon du Hamas
Mahmoud Zahar était le médecin personnel du chef spirituel historique du Hamas, Cheikh Ahmed Yassine, aveugle et tétraplégique, qui a été tué par une frappe aérienne israélienne à Gaza en 2004.
Au cours des derniers jours, il a multiplié les déclarations incendiaires. La lutte armée contre Israël se poursuivra, a-t-il dit notamment. Il a aussi averti que le Hamas, une fois élu, ne changerait pas un mot de sa Charte- qui prône, entre autres, la destruction de l'État hébreu.
Mais Mahmoud Zahar n'est pas à l'abri des contradictions. Dans une entrevue donnée au réseau Al Arabiya il y a quelques jours, il a dit qu'un gouvernement du Hamas pourrait peut-être négocier avec Israël, sans pour autant reconnaître ce pays...
Le visage des médias
Ismaïl Haniyeh, le candidat en tête de la liste du Hamas, représente une voix plus modérée du mouvement islamiste. C'est l'une des figures les plus médiatiques du Hamas. Il est porteur d'un discours plus moderniste et pourrait faire le pont entre les " colombes " et les " faucons " au sein de l'organisation. Selon Sami Aoun, qui le décrit comme un " politicien fluide ", c'est un candidat plausible au poste de premier ministre.
Considéré comme un pragmatique et un homme d'ouverture, il n'en a pas moins favorisé le recours aux armes dans une déclaration faite le jour de l'élection. " Les Américains et les Européens nous disent que nous devons choisir entre les armes et le conseil législatif. Mais nous voulons les armes et le conseil législatif ", a-t-il lancé.
La colombe de Cisjordanie
La voix la plus modérée de l'organisation demeure Cheikh Hassan Youssef, principal responsable du Hamas en Cisjordanie, libéré d'une prison israélienne en 2004. Il est l'un des rares leaders du Hamas à prôner la solution de deux États. Il n'exclut pas non plus une reprise de négociations avec Israël, tout en y posant des conditions très strictes.
Enfin, Mohammed Abou Teir, deuxième sur la liste du Hamas, a passé 25 ans dans les prisons israéliennes. Originaire de Jérusalem, il a milité auparavant au Fatah et au très radical Front populaire de libération de la Palestine-Commandement général (FPLP-CG). Avec sa barbe teinte au henné, il prêche dans des mosquées. Il est le patriarche du clan Abou Teir d'Oum Touba, en périphérie de Jérusalem.
Avec AP