«Faites-le transporter à l'infirmerie et prenez votre temps. Vous
m'avez compris…»
Selon nos informations, c'est l'ordre qu'aurait donné le général
Henri Poncet à ses officiers, après l'arrestation de l'Ivoirien
Firmin Mahé • Le «coupeur de route » a été tué par étouffement le 13
mai dernier •
par Jean-Dominique MERCHET
LIBERATION.FR : jeudi 01 décembre 2005 - 12:56
«Faites-le transporter à l'infirmerie et prenez votre temps. Vous
m'avez compris…» C'est l'ordre qu'aurait transmis le général Henri
Poncet à ses subordonnés, après l'arrestation par les militaires
français de l'Ivoirien Firmin Mahé, le 13 mai 2005. Le
jeune «coupeur de route» (bandit) avait été blessé à la jambe par
balle le jour même. Il a ensuite été tué par étouffement au cours de
son transfert à bord d'un véhicule militaire. Remis à l'hopital de
Man, son corps n'a pas été réclamé par sa famille.
Confronté hier à ses hommes lors de sa garde à vue, le colonel Eric
Burgaud a craqué. Il a reconnu avoir transmis cet ordre après
l'avoir reçu directement de son supérieur, le général Poncet,
commandant de l'opération Licorne. «Blâmé» et muté à la direction du
renseignement militaire, ce dernier devrait être rapidement entendu
par la justice. Il a demandé à être reçu par la ministre de la
Défense, Michèle Alliot-Marie, qui l'a éconduit.
Le colonel Burgaud a-t-il été plus explicite dans l'ordre transmis à
ses trois subordonnés, l'adjudant-chef Raugel, le brigadier-chef
Schnier et le brigadier Ben Youssouf ? La justice devra le dire.
Selon leurs témoignages, «il fallait que Mahé arrive mort» à
l'hopital. L'hypothèse d'une balle dans la tête aurait été évoquée,
avant d'en venir à la solution de l'étouffement. «Ils n'ont pas pété
les plombs et n'ont fait qu'exécuter les ordres reçus» explique leur
avocat, Me Jacques Tremolet de Villers. Tous les militaires français
ont l'obligation de refuser d'obéir à des ordres manifestement
illégaux.
L'adjudant-chef Raugel, 41 ans, a été mis en examen pour «homicide
volontaire», alors que les trois autres militaires le sont
pour «complicité d'homicide volontaire». Issu comme ces hommes des
chasseurs alpins, le colonel a tenu a «assumer la responsabilité
morale et humaine des actes commis par ses subordonnés», selon son
avocat Me Alexis Gublin. Alors que deux d'entre eux (Raugel et
Schnier) ont été incarcérés mercredi soir à la prison de la Santé,
l'officier a lui aussi demandé à l'être, ce que le juge des libertés
a refusé. Il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire, comme
le brigadier Ben Youssouf. L'affaire sera jugé par le tribunal aux
armées de Paris, composé de magistrats civils mais seul compétent
pour les crimes commis par des militaires français à
l'étranger. «Cette affaire est monument d'hypocrisie, s'insurge Me
Tremolet de Villers. On n'a pas voulu incarcérer un colonel. Cela
aurait été une première depuis la guerre d'Algérie».
Source :
http://www.liberation.fr/page.php?Article=341810