Des associations noires créent une fédération
Samedi 26 novembre, à l'Assemblée nationale, une cinquantaine
d'organisations doivent lancer une Fédération des associations noires de France,
pour " dire le besoin de reconnaissance, de mémoire " des citoyens qu'elles
représentent et interpeller les pouvoirs publics. Pour Louis-Georges Tin et
Patrick Lozes, respectivement présidents d'An Nou Allé (" Allons-y " en créole)
et du Cercle d'action pour la promotion de la diversité en France (Capdiv), et
principaux instigateurs de cette initiative, il s'agit de faire évoluer " un
véritable préjugé collectif national ".
Si elle se veut " politique ", la Fédération ne revendique pas d'ancrage à
gauche ni à droite. M. Lozes est membre de l'UDF et fut le candidat centriste
dans la première circonscription de Paris aux élections législatives de 2002. M.
Tin se dit proche de la gauche, alors que des personnalités comme Christiane
Taubira, députée PRG de Guyane, ou Stéphane Pocrain, proche des Verts,
soutiennent l'initiative.
" UNE ARMÉE POUR LA FRANCE "
" L'idée, affirme M. Tin, n'est pas d'être apolitique, mais d'être en
dialogue avec tous les partis politiques. " La Fédération entend pousser les
formations politiques à la réflexion avant la campagne présidentielle. " Pas un
parti ne doit échapper à cet examen de conscience collectif sur la manière dont
notre société discrimine ", insiste M. Lozes. " Dans le champ politique, il y a
deux attitudes vis-à-vis de cette question : l'une relève du racisme classique
reposant sur l'idée de supériorité de certaines races ; l'autre, antiraciste,
nie les races mais, du coup, occulte l'existence de la question noire et
débouche finalement sur des résultats relativement similaires. On ne peut
réduire le problème des Noirs à une question socio-économique et nier sa
dimension raciale ", relève M. Tin.
Pour " inacceptables " qu'ils soient, les propos d'Alain Finkielkraut
publiés dans le quotidien israélien Haaretz (Le Monde du 24 novembre) ne sont,
pour les fondateurs de la Fédération, " pas surprenants ". Tout comme ceux tenus
par l'académicienne Hélène Carrère d'Encausse et certains responsables de la
majorité, qui établissent un lien entre la polygamie et les dernières violences
urbaines (Le Monde du 17 et du 18 novembre), ils " démontrent l'incompréhension
et la méconnaissance des populations noires ", qui ne demandent " qu'à être
agrégées, incluses dans la société française, et qu'à pouvoir se revendiquer
Français et Noirs ".
Les instigateurs de la Fédération évoquent " l'émergence d'une conscience
noire ". Bien que très actives sur le terrain, les associations sont longtemps
restées muettes. Aujourd'hui, " le niveau de mal-être est tel qu'elles en
viennent à exprimer les souffrances ", explique M. Lozes. " Peu présents
jusqu'ici dans les discours sociaux, les Noirs apparaissent aujourd'hui, mais
sous le sceau du stigmate, parce que leur expression devient un danger pour la
bonne conscience postcoloniale ", relève M. Tin.
Christiane Taubira se félicite de l'initiative, qui " amplifie et rend
plus crédible l'expression des associations ", selon la députée. Celle-ci met
cependant en garde contre certains " dangers " : " C'est un sujet sur lequel il
faut être à la fois audacieux et prudent, car il peut nous revenir en boomerang.
Et il ne faut pas contribuer à des segmentations. "
Insistant sur le ressort " républicain " de la démarche, MM. Tin et Lozes
refusent de se voir enfermés dans une rhétorique communautaire. " Nous voulons
lever une armée pour la France et non contre la France. En posant la question
noire, nous voulons prendre part, éclairer les débats sur l'état du pays ",
justifie le président de Capdiv, qui s'interroge : " Où sont les grandes voix
morales dans ce pays pour dénoncer les propos d'un Finkielkraut ? On ne peut
laisser les Noirs seuls lui répondre. "
Laetitia Van Eeckhout