Banlieues : des associations dénoncent une "justice d'abattage"
LEMONDE.FR | 24.11.05 | 15h39 • Mis à jour le 24.11.05 | 16h55
Responsables associatifs, magistrats et avocats ont vivement réagi à
la publication des derniers chiffres de la chancellerie sur les
sanctions judiciaires à l'encontre des auteurs de violences dans les
banlieues.
Selon des informations publiées, le 23 novembre, par le quotidien Le
Parisien, 3 101 personnes ont été placées en garde à vue en vingt-
deux jours d'émeutes ; 422 personnes ont été condamnées à des peines
de prison ferme, la peine la plus sévère – quatre ans – ayant été
infligée à un jeune homme par le tribunal correctionnel d'Arras pour
avoir incendié une grande surface de meubles dans une zone
commerciale de la ville. La durée moyenne des peines se situe entre
six mois et un an. Parmi les condamnés figurent 118 mineurs, selon
le journal, qui relève que 60 % d'entre eux étaient jusqu'ici
inconnus des services de police.
"Il n'y a rien que nous ne sachions déjà, sinon la confirmation que
c'est effectivement une justice d'abattage qui se met en place à la
demande expresse du garde des sceaux", dénonce Agnès Herzog, du
Syndicat de la magistrature (gauche), avant d'appeler au respect de
plusieurs "principes fondamentaux" qu'elle estime bafoués,
notamment "le principe de séparation des pouvoirs et celui de
l'indépendance de la magistrature, le principe d'individualisation
des peines, les principes de l'ordonnance de 1945 qui repose sur la
priorité à l'éducatif"... Selon la magistrate, plusieurs notes du
garde des sceaux adressées aux présidents de tribunaux (les 6, 7 et
16 novembre notamment) les appellaient à une
véritable "mobilisation" et les enjoignaient de privilégier les
procédures rapides, notamment celle de comparution immédiate.
"Le nombre de mineurs incarcérés illustre la pression qui s'exerce
sur les magistrats, poursuit-elle. Deux autres chiffres nous
paraissent également importants : contrairement aux fausses
affirmations du ministre de l'intérieur, 60 % des mineurs
interpellés étaient inconnus [des services de police]. Le fait que
38 mineurs sur 89 mineurs déférés ont été entendus comme témoins
assistés démontre clairement la fragilité des procédures", conclut
la magistrate.
"PROCÈS EN MASSE"
Agnès Herzog estime que ce sentiment serait partagé par plusieurs de
ses collègues, qui se disent "enfermés dans une logique de
répression et de rendement" mise en place par les autorités. Une
tendance qui inquiète également Michel Tubiana, vice-président de la
Fédération des droits de l'homme (FIDH) et président d'honneur de la
Ligue des droits de l'homme (LDH), qui a critiqué à plusieurs
reprises l'instauration de l'état d'urgence. "On a raflé plutôt
qu'interpellé", constate-t-il en dénonçant, lui aussi, une "justice
d'abattage".
Sans vouloir critiquer le travail des magistrats au cas par cas, cet
avocat de profession estime que l'atmosphère de "procès en masse" et
la procédure même de comparution immédiate empêchent la justice de
rendre des verdicts équitables. "Il ne s'agit pas d'une mauvaise
volonté, mais d'une impossibilité quasi matérielle", estime-t-il. Il
souligne également l'effet "forcément néfaste des appels à la
répression du gouvernement" et dénonce ses "mensonges répétés sur
les prétendus récidivistes qui seraient à l'origine des violences
dans les banlieues". Il cite notamment une circulaire, adressée le 9
novembre par le ministre de l'intérieur aux préfets, leur exposant
les modalités de mise en œuvre du plan d'urgence.
Son confrère de la Ligue des droits de l'homme (LDH), Jean-Pierre
Dubois, dont l'organisation a aussi dit son hostilité à
l'instauration de l'état d'urgence, s'inquiète lui, de l'image de la
justice qu'auront ces jeunes déférés devant les tribunaux. "Pour
eux, tout leur semble joué d'avance, estime-t-il. D'ailleurs, peu
font appel de leur condamnation, peut-être parce qu'ils ne savent
même pas que l'on peut faire appel, ou pensent qu'ils seront encore
plus lourdement condamnés". Face à cette "justice expéditive et
d'abattage qui, à la différence d'autres domaines du pénal où l'on
est beaucoup plus précautionneux, condamne en série", leur sentiment
d'appartenir à une "classe méprisée ne peut que se renforcer",
conclut-il.
Plusieurs collectifs et groupes de réflexion se sont constitués à
l'initiative de la LDH , à Paris comme en province, pour exercer
une "mission de vigilance".
Le Monde.fr
Source :
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