Les Echos, no. 19510
Idées, vendredi 30 septembre 2005, p. 12
La chronique de favilla
Les fausses recettes du développement
On connaît la réponse de Freud à une mère qui lui demandait conseil sur l'éducation de son fils : « Quoi que vous fassiez, vous ferez mal. » On pourrait appliquer ce jugement désabusé aux stratégies de développement préconisées aux pays les plus pauvres. Jusqu'ici, un remède réputé efficace et sans effets secondaires semblait faire l'unanimité : l'investissement direct étranger (IDE), qui accroît le capital productif du pays d'accueil sans alourdir son endettement, tout en procurant des emplois, des capacités exportatrices et des technologies. Ce beau consensus vient d'être bousculé par un rapport de la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) : dans le cas de l'Afrique, les IDE se seraient révélés plus nuisibles qu'utiles.
On pourrait voir dans cette publication un nouvel épisode de la sourde lutte idéologique entre les grandes organisations économiques mondiales : d'un côté, le Fonds monétaire international, gardien de l'orthodoxie libérale (encore qu'il ait mis récemment beaucoup d'eau dans son vin) ; de l'autre, les institutions onusiennes, plaidant pour l'aide et la remise des dettes. Certes, les auteurs du rapport de la Cnuced laissent voir leurs préférences politiques - mais ils énoncent aussi quelques constats troublants. Avant même d'être effectivement réalisés, expliquent-ils, les IDE ont engendré en Afrique des effets négatifs. Pour les attirer, nombre de pays se sont soumis (sous la houlette du FMI) à des « programmes d'ajustement » : ouverture extérieure, austérité budgétaire, déréglementation, privatisations. Or, d'une part, ces efforts ont été largement inutiles, puisque les pays africains ne reçoivent qu'une part infime du total des IDE (2 % entre 2000 et 2004) ; d'autre part, les programmes d'ajustement, calés sur des indicateurs d'orthodoxie budgétaire et monétaire, ont souvent abouti à décourager les investissements des entrepreneurs locaux en renchérissant excessivement le prix de l'argent.
Quant aux IDE effectivement réalisés en Afrique, concentrés (entre 50 et 80 % selon les années) dans l'énergie et les matières premières, ils créent des enclaves de production, avec peu d'effets structurels positifs sur le reste de l'économie. Leur flux très irrégulier, lié aux prix des produits de base, est un facteur supplémentaire d'instabilité. Surtout, ils visent en général un « retour » financier rapide, et la part des bénéfices réinvestis sur place est très faible : entre 1970 et 1996, le montant des IDE a été trois fois inférieur à celui des sorties de capitaux...
L'intégration dans l'économie mondiale, conclut le rapport, est sans doute un des moyens du « décollage », mais pas une fin. Manifestement, les idées sur le développement, qui ont déjà beaucoup évolué depuis un demi-siècle, ont pris un nouveau tournant. Sur les traces d'Amartya Sen, prix Nobel d'économie 1998, on commence à considérer que le développement humain n'est pas un résultat, mais un moteur indispensable du développement économique - et que l'indicateur du niveau d'éducation est plus important que celui de l'équilibre budgétaire.
Catégorie : Éditorial et opinions
Sujet(s) uniforme(s) : Conditions et politiques économiques; Économie mondiale
Sujets - Les Echos : POLITIQUE ECONOMIQUE
Lieu(x) géographique(s) - Les Echos : MONDE
Type(s) d'article : ARTICLE
Taille : Moyen, 375 mots