Certains métiers se sont ethnicisés de façon inconsciente. Exemple avec un groupe de BTP qui s'est penché sur ses méthodes de recrutement.
La discrimination par habitude
Par Sonya FAURE
lundi 26 septembre 2005 (Liberation - 06:00)
eiffage Construction, troisième groupe français du secteur, voulait comprendre ses difficultés de recrutement : pourquoi le bâtiment avait tant de mal à attirer les jeunes ? Après avoir confié une étude d'un an et demi au Credoc (Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie), l'entreprise s'est retrouvée face à un panorama de ses discriminations «indirectes», celles qui ne viennent pas du racisme d'un petit chef mais de la force de l'habitude et de la progressive ethnicisation des tâches. «Annoncer des mesures de diversité n'est pas très difficile, note Isabelle Van de Walle, directrice adjointe du Credoc. Mais se livrer à un vrai diagnostic est plus rare. Il est difficile de convaincre les entreprises que les discriminations sont souvent liées à leur propre fonctionnement.»
Dans le rapport, on y lit la discrimination «de bonne foi» d'un chef de chantier qui explique avoir voulu «rééquilibrer» les recrutements en embauchant des Français : «Le métier de maçon n'a pas de raison d'être réservé aux immigrés. Il faut l'ouvrir. Je voulais élever l'image du bâtiment.» La résignation amusée d'un jeune maçon portugais : «Ma nationalité, c'est un passeport pour le bâtiment. Si j'avais mieux parlé français, j'aurais plutôt tenté la restauration mais, en France, vous montrez la carte "portugais", vous avez du boulot dans le bâtiment.»
Certains métiers se sont lentement fermés à la mixité : la construction pour les Portugais, le nettoyage pour les Maliens. Environ 18 % des ouvriers d'Eiffage sont portugais. Beaucoup ont accédé aux postes de chef de chantier. «Naturellement, ils avaient tendance à recruter dans leur communauté ou leur famille», explique Catherine Giner, une responsable d'Eiffage (1). L'étude relève le cas d'un jeune Maghrébin, «exclu» de l'entreprise parce qu'il ne maîtrisait «que» le français. A l'heure du déjeuner, les membres de son équipe ne parlaient que portugais entre eux. Il a quitté l'entreprise au bout de quelques mois. Alors que la cooptation communautaire des jeunes nouvellement immigrés facilite au départ leur intégration (on leur explique le travail et les consignes de sécurité dans leur langue), à la longue, cet enracinement familial freine leur apprentissage du français, et donc leur progression dans l'entreprise. Eiffage veut donc désormais diversifier son recrutement et réfléchit à imposer la langue française comme langue de chantier.
(1) Elle participe aux assises du Fasild (Fonds d'action contre la discrimination) aujourd'hui. Rens. : www.fasild.fr