Liberia : quand l'Amérique décide de créer un pays pour les Noirs libres
Au 19ème siècle naît chez une partie des Américains l’idée selon
laquelle les anciens esclaves devraient disposer d’une terre à eux. Si
possible loin des Etats-Unis. Ainsi, par le biais d’une société
humaniste, des milliers de descendants d’esclaves se rendent en Afrique
et y fondent un pays : le Liberia. Par Thomas Pagbe
Les membres d'un gouvernement libérien dans les années 1880
© danstopicals.com
Que personne ne se méprenne. Malgré son joli nom, Le Libéria ne naît
pas d’un élan d’altruisme et de solidarité. Enfin, pas tout à fait.
Lorsque les Etats-Unis décident d’envoyer chez leurs ancêtres les
milliers d’anciens esclaves qui se trouvent sur son territoire, il
s’agit avant tout d’un acte politique.
Au 19ème siècle, plus de 200.000 afro-américains arborent le statut d’
"homme libre". Même s’ils ne disposent pas de la totalité de leur
droit, les Noirs libres ne sont plus
esclaves. La situation n’est pas sans poser problème aux WASP
(white anglo saxon protesant)principaux créateurs de la nation américaine. Très rapidement, les
anciens esclaves, une fois émancipés, sont considérés comme une menace.
Thomas Jefferson, l’un des pères fondateurs et président des Etats-Unis d’Amérique déclarent à la même époque que
"les Noirs et les Blancs ne peuvent pas vivre dans le même pas".Sa déclaration, loin d’être avant-gardiste n’est en fait que l’écho
d’une idée qui circule depuis déjà bien longtemps. A la même époque, un
grand nombre de sociétés philanthropiques voient le jour dans
l’ensemble du pays. Dans l’Indiana, le Maryland, l’Ohio, le Mississipi
etc..., un grand nombre de sociétés, l’équivalent des clubs de pensée
actuels ; commencent à agir en faveur de l’installation des anciens
esclaves en Afrique, le contient d’où ils ont été déportés.
James Monroe, dont le nom inspira celui de la capitale libérienne "Monrovia"
© martinfrost.ws
La première société,
the American Colonization Society(ACS), fondée en Décembre 1816 et dont James Monroe, le futur
président, est membre, a un objectif : réinstaller les Noirs sur les
côtes de l’Afrique de l’Ouest. Deux courants d’opinion s’affrontent aux
Etats-Unis. Malgré un consensus général sur le retour des Noirs en
Afrique, des désaccords persistent.
Pour certains, la "menace" grandissante que représente une population
noire au Etats-Unis, nécessite de trouver une solution rapide et
radicale. L’Amérique doit en quelque sorte être "purifieé". La récente
accession à l’indépendance d’Haïti, au large des côtes américaines a
très bien pu inquiéter une partie des anciens propriétaires d’esclaves.
En face, un certain nombre de philanthropes et d’homme d’église à
l’image du révérend Samuel Hopkins, voient d’un bon œil l’implantation
d’une population noire en Afrique.
Ces derniers pourraient se révéler d’excellents vecteurs de la parole
divine. Malgré leur volonté de bien faire, il est à noter que la
plupart des sociétés américaines, et la plupart des Américains d’une
manière générale, ne connaissent rien à l’Afrique. Beaucoup
d’Américains, tout comme les Européens, considèrent le continent comme
une
tabula rasa, une terre vierge en somme. Les Américains, se considèrent, pour reprendre les termes de l’encyclopédie de Cambridge,
"dans une position morale supérieure". Les noirs américains libres ne considèrent pas tous le retour en Afrique comme un bienfait.
Joseph Jenkins Robert, 1er président du Liberia
En fait, entre 1816 et 1840, seuls 17.000 personnes ont accepté un
embarquement pour l’Afrique. Pour un grand nombre d’entre eux,
l’Afrique n’est plus leur terre. Par le biais d’une loi, le Slave Trade
Act voté en 1819, le gouvernement décidé d’accorder son aide aux
sociétés philanthropiques. En fait, en 1818, l’ACS envoient deux
ambassadeurs en Sierra Leone. S’appuyant sur les Britanniques, les
agents de la société américaine espèrent bien trouver une terre propre
à accueillir leurs "protégés".
Une fois sur place, les choses se révèlent plus compliquées
qu’initialement attendu. Le Dr Eyre et le lieutenant Stockton tentent
dans un premier temps une installation en Sierra Leone. Mais leur
tentative échoue. Plusieurs autres essais d’implantation sont effectués
près des côtes. Une fois encore, l’échec est au rendez-vous. Les tribus
africaines des côtes refusent toutes de céder un pouce de terrain aux
étrangers. Elles ne connaissent que trop bien les dangers inhérents à
l’installation des Blancs sur leurs côtes.
Il faut attendre trois ans pour que les deux agents américains trouvent
un terrain susceptible de les accepter. Un souverain africain, le Roi
Peter, chef de la tribu De accepte de négocier avec les Blancs. Les
Américains reçoivent le soutien inespéré de la tribu Kru, qui leur
apporte un certain soutien dans leur tractation. Malgré cela, le
souverain tarde à se prononcer. Il refuse de renoncer à se
souveraineté. Le lieutenant Stockton, las de patienter, menace le roi
de son pistolet, ce qui débloque la situation.
Le Liberia
Grâce au "pouvoir de persuasion" des deux hommes, l’ACS peut se
prévaloir d’avoir accompli un véritable tour de force. Le Dr Eyre dira
plus tard que le lieutenant et lui sont parvenus à obtenir un terre
d’au moins 1 million de dollars alors que les biens proposés en échange
ne dépassaient pas les trois cents dollars...
Les noirs américains, qui attendaient à Freetown, sont appelés pour
prendre possession de leur nouvelle terre. Elle portera le nom de
Liberia. Sa capitale s’appellera Monrovia, en honneur au président
américain Monroe. Plus d’une vingtaine d’années plus tard, le 26
juillet 1847, le Liberia devient une République indépendante. Douce
ironie de l’histoire, le gouvernement des Etats-Unis ne reconnaîtra le
pays qu’il a contribué à créer que bien des années plus tard, en 1862.
Le gouvernement craignait trop les répercussions qu’aurait pu provoquer
l’arrivée d’un ambassadeur noir à Washington.
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