Livre : l'Afrique face au défi de la modernité
Pape Cissoko a rencontré deux auteurs, Mamadou Ablaye Ndiaye et Alpha
Amadou Sy, auteurs de 'l'Afrique face au défi de la modernité : la
quête d'identité et la mondialité', un livre qu'il juge 'dense et osé' Par Pape Cissoko
MAMADOU ABLAYE NDIAYE et ALPHA AMADOU SY, deux philosophes Sénégalais,
auteurs du livre dense et osé « l’AFRIQUE FACE AU DEFI DE LA MODERNITE
: La quête d’identité et l a mondialité » aux éditions Panafrika/ Dakar.
Nos deux auteurs sont des intellectuels engagés, ils écrivent, pensent
l’Afrique et le monde, se disent, soumettent tout au crible de la
raison critique. Ainsi, ils compensent le déficit philosophique et de
réflexion approfondie dont souffre le continent. En lisant leurs
travaux et en réfléchissant sur leurs diverses activités, j’ai
l’impression de voir Sartre dans les rues de Dakar dénonçant les
travers d’un monde ou les craintes fondées ou pas des civilisations.
Bref, en présentant cet ouvrage qui fera couler beaucoup d’encre ou de
salive, je l’espère, parce qu’il est fait pour s’exposer et être
critiqué au sens noble, j’en profite pour saluer l’une des rares
maisons d’éditions basées en Afrique avec à sa tête Paul DAKEYO, www.edpanafrika.com, que je présenterai à l’occasion sur grioo.
Pape Bakary CISSOKO
© rezolibre.com
1-
Après vos multiples ouvrages, vous nous gratifiez avec ce livre dense
au titre « risqué » : « L’Afrique face au défi de la modernité » (La
quête d’identité et la mondialité). Est-ce à dire que s’engager dans la
Modernité est un risque par rapport à son identité, et ce défi est
obligatoire pour l’Afrique ?En vérité, dans cette quête nôtre, le risque est double. D’abord,
s’engager à reprendre un thème galvaudé des années 60. L’Afrique
indépendante a souvent posé dans des termes plutôt mécaniques voire
dualistes les rapports entre la tradition et la modernité comme pendant
des relations tumultueuses entre l’Occident et le continent noir. Nous
ne pourrons pas revenir ici sur toute la littérature produite à ce
sujet. Par contre, nous nous permettrons de rappeler ce propos de
l’écrivain Cheickh Hamidou Kane, révélateur de l’état d’esprit de
l’époque :
« L’Occident est possédé et le monde s’occidentalise.»L’amalgame entre modernité et occidentalisation en filigrane ici est
d’autant plus frappant que les théories de développement, imposées par
les Occidentaux aux Africains, étaient conçues sous le mode du
rattrapage et du mimétisme. Dés lors, nous courions le risque théorique
de remettre en fonction un concept désuet. Mais nous nous sommes dits
que la modernité est une problématique récurrente. Regardez un peu ceux
là qu’on appelle les postmodernes ! Sont-ils les derniers des modernes
? Ont-ils clos la modernité ? À la manière d’un Hegel qui proclame la
fin d’une histoire qui pourtant continue !
Le second risque certes se pose aujourd’hui avec beaucoup plus d’acuité mais a, pour ainsi dire, l’âge de l’humanité.
En effet, si comme le pense Marx que confirme l’anthropologie contemporaine,
« l’individu dans sa réalité c’est l’ensemble de ses rapports avec les autres »,
alors l’existence humaine est impensable hors du double rapport de
l’intégration sociale et de la préservation du moi contre l’aliénation.
Ainsi, autant l’homme est inséré dans un réseau d’intersubjectivité,
autant les peuples ne peuvent vivre en autarcie. Et justement l’une des
préoccupations de ce livre est de mettre en évidence les conditions à
réunir pour que l’Afrique, tout en restant elle-même, s’engage avec
succès dans l’axe de l’universalité. Il urge à l’Afrique de relever ce
défi.
2-
Votre livre s’inscrit dans le sillage de ce qu’on appelle « la théorie
de la Connaissance », il aborde une diversité de thèmes complexes. La
rationalité « des africains est souvent un sujet controversé « dieu est
grand, in chaallah » l’ancestralité » la quête de l’absolu, la
Mondialisation, le football, les nouvelles technologies de
l’information et de la communication, la philosophie est–elle l’outil
pour soumettre à la critique et extirper des Vérités sur les
préoccupations de ce monde actuel.La question aujourd’hui est de dépasser cette vieille querelle sur la
philosophie africaine, la spéculation sur l’utilité de la philosophie
au profit d’une mise à profit de cette théorie de la connaissance dont
vous parlez. Effectivement, celle-ci fonctionne comme la matrice du
mode de pensée philosophique. C’est par son biais que s’exerce cette
capacité de suspecter tous les ordres, établis et pouvoirs. Si c’est
important sous tous les cieux cela l’est davantage en Afrique,
continent où, par le concours de plusieurs facteurs, prédominent les
idéologies groupales et les prêts –à- porter idéologique et
institutionnel. Maintenant, cette réflexion pluridimensionnelle est
rendue possible par le fait que la philosophie, tout en renonçant à ses
visées hégémonistes d’antan, exerce, en vertu de ce que nous avons dit
d’elle plus haut, un droit de regard sur tous les savoirs et pratiques
de l’homme.
Cheikh Hamidou Kane
© senegalaisement.com
3-Votre
ouvrage qui, je le redis, est dense, bien écrit et renseigné, nous fait
découvrir ou relire de grand penseurs comme Léopold Sédar SENGHOR, C.H
KANE, Samuel HUNTINGTON, Francis FUKUYAMA, Emmanuel KANT, MARX, GOETHE
et le CORAN, Axel KAHN, SPENCER etc., qu’y- a - t’il d’original dans
leurs théories qui soit éclairant pour l’Afrique et les Africains ? Merci de cette appréciation que nous considérons comme un
encouragement. Quand un chercheur fait des investigations, il ne
choisit pas ses interlocuteurs ; il les rencontre dans la dynamique de
ses réflexions. Ainsi analysant le réel africain nous croisons tel ou
tel penseur qui a émis une thèse parlant directement ou indirectement
du continent. De ce point de vue, nous avons vu nos lecteurs accorder
une importance ou plutôt une curiosité certaine sur nos références à
Platon et à Kant.
En effet, le dualisme qui a jusqu’ici prévalu a occulté bien des
passerelles ! La quête de l’Absolu n’est pas une préoccupation
occidentale ; elle est consubstantielle à l’humaine condition. En
atteste, si besoin en est, ce recoupement apparemment des plus osés et
des plus paradoxaux entre Platon, ce Grec des temps antiques et
Thierno, ce marabout noir, Africain peut-être des années 50. Quant à
Kant, en dépit des apparences il est d’une actualité certaine pour
l’Afrique d’aujourd’hui. Ses réflexions sur l’éthique, la minorité, sur
la citoyenneté et l’esprit républicain sont d’un éclairage
incontournable pour une Afrique aux traditions démocratiques larvées.
Pour les autres, nous préférons laisser le lecteur réaliser de lui-même
en quels termes se pose le débat que nous engageons avec eux.
4-La
quête de l’Absolu n’est pas un phénomène nouveau pour les Africains, et
vous le dites bien d’ailleurs dans un parallélisme audacieux et
pertinent entre le sage Thierno dans l’Aventure ambiguë de C.H KANE et
Socrate de Platon. Ce que les Africains semblent noter c’est que
l’Occident est malade et pourtant il attire toute l’humanité dans sa
direction, la mondialisation, la globalisation, vers une identité
universelle et univoque, quel paradoxe ? Un paradoxe certes déroutant mais que rend intelligible cette pensée de
Marx : « l’idéologie dominante est celle de la classe dominante ».
Ayant unifié le globe sur la base de la logique marchande, arrosant à
l’échelle planétaire de culture par le biais de satellites, l’Occident
sur de lui s’offre comme la seule alternative. Cette certitude est
renforcée par l’effondrement du Mur de Berlin. Seulement, les peuples
réalisent, de plus en plus, que ce village dit plantaire est loin
d’être celui de la fraternité, lieu de cristallisation des valeurs
cardinales de ce que Albert Jacquard appelle l’humanitude. Ce monde
d’aujourd’hui n’est pas celui où triomphe la civilisation de
l’Universel. Il consacre, pour le moment, le triomphe de l’american way
of life, le triomphe des États-Unis qui imposent leurs produits, leurs
manières de vivres et leurs valeurs. C’est cet ordre qui fait le lit du
terrorisme de masse qu’on peut non pas justifier mais expliquer et
comprendre comme une réaction au terrorisme d’État exercé impunément
par les U. S. A et ses alliés.
Machiavel
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Jeu 4 Oct - 10:01 par mihou