Iboga, plante miraculeuse à l’épreuve de la modernité médicale
29/03/2007
Plante parée de milles vertus par les adeptes et initiés des cultes Bwiti d’Afrique centrale, l’Iboga ou Tabernanthe iboga [variantes eboka, eroga, …] a conquis depuis plusieurs décennies une réputation internationale croissante dans la lutte contre la dépendance aux drogues. Pour autant la question n’est pas si simple de l’usage initiatique typique des religions africaines d’Afrique à une pratique médicale profane. Plus encore l’attrait des thérapies alternatives, la consommation explosive des plantes et autres solutions médicinales plus ou moins naturelles peut engendrer des effets pervers létaux. C’est la question de la difficile mue de l’Iboga, ésotérique ou exotérique.
La racine de la plante Iboga est connue et utilisée en Afrique depuis des siècles probablement, pour des usages rituelles et initiatiques. Les peuples Mitsogho et Fang du Gabon sont les représentants attitrés de la pratique initiatique la plus réputée et peut-être la plus institutionnalisée d’Afrique centrale. L’ingestion des racines de cette plante selon des liturgies à plusieurs variantes, très syncrétiques avec le christianisme chez les Fang contemporains, davantage originelle chez les Mitsogho, permet au candidat à l’initiation de réaliser un voyage mystique à travers lequel il entrera en contact avec les différentes dimensions de son être, de la totalité du monde, de sa généalogie propre [ses ancêtres, son histoire personnelle], jusqu’à la sensation de la fin des fins, la rencontre avec l’infini, la mort démystifiée.
Moment de passage entre le monde des jeunes -sans connaissances autres qu’immédiates- et celui des adultes voire vers celui des tradithérapeutes, prêtres et grands initiés, il est une porte d’entrée dans une nouvelle version de l’existence, une nouvelle naissance enrichie de visions inédites d’êtres et de sensations surnaturels. L’Iboga permet dans ce cadre d’éliminer les inhibitions sociales, culturelles, magiques -envoûtements- qui minent la volonté de se réaliser du patient. De fait les aspects thérapeutiques, d’initiation, de connaissances sont intimement liés dans les rites Bwiti basés sur l’Iboga.
Les qualités propres à l’Iboga, à son ingestion, ont très vite attiré l’attention des psychiatres, spécialistes des maladies psychosomatiques et des addictions de tout genre. Des Occidentaux en nombre croissant se sont fait initier au Bwiti et ont contribué à la diffusion au-delà du contexte africain gabonais des bienfaits de la plante sacrée. Avec l’existence anxiogène des sociétés modernes, marquées par toutes sortes de stress, d’insécurités et vulnérabilités matérielles, et de vitesse d’accumulation des choses, la réputation de l’Iboga a stimulé une forte demande de cette racine pour lutter contre les phénomènes d’accoutumance aux drogues, à l’alcool, etc.
Des centaines de sites internet répertorient et ventent l’Iboga et ses vertus, et la suspicion qui se développe en Occident à l’égard de l’hôpital et du modèle thérapeutique et sanitaire classiques conforte la recherche de médecines autres, douces, alternatives. Ces dernières se justifient aussi par les limites des pratiques médicales modernes face aux maladies chroniques, incurables, le problème de la pénibilité et de la douleur étant souvent laissé intact. L’Iboga fait donc l’objet d’utilisations profanes et … commerciales en dehors du contexte africain, par des acteurs africains et non africains. Ce qui ne va pas sans risques ni dérapages.
Des initiés africains évoluant en Occident seraient t-ils toujours à même de garder les usages [et au besoin antidotes] traditionnels, la déontologie et les posologies, alors que les mentalités consuméristes tendraient plutôt à pousser à une marchandisation pure et simple de la plante ? Des cas de surdoses mortelles ont déjà été enregistrés en Afrique mais aussi semblerait-il en Europe. En France notamment des risques de classification de l’Iboga comme produit stupéfiant pourraient se concrétiser. En juillet 2006, la presse française faisait état du décès d’un jeune toxicomane suite à l’ingestion d’Iboga. En attente des résultats de l’enquête rien n’est moins évident puisque le jeune homme aurait tout aussi bien pu décéder des suites de sa dépendance. Le malaise demeure tout de même. Le contrôle de l’usage de cette plante et de ses contre-indications, nécessitant dans certains cultes africains des abstinences et un régime alimentaire strict, n’est pas un acquis dans les nouvelles pratiques Iboga d’Europe. D’où des risques mortels [?]. L’usage de l’Iboga dès lors en France et en Occident pourrait tomber sous le coup de la pratique illégale de la médecine ou être considéré comme un culte sectaire, l’un comme l’autre condamnés, sans compter le changement de cadre d’exercice qui peut affaiblir l’efficacité de la plante, de la thérapie.
Pour l’école ésotérique l’Iboga s’intègre dans un rituel et ne saurait être utilisé isolé de son environnement religieux, alors que ses qualités de lutte contre les addictions poussent les profanes et professionnels des médecines nouvelles à son usage profane. Le suprême facteur argent pourrait faire dériver l’usage de cette plante aux mille vertus vers le contraire de sa promesse.
Afrikara
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