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 La guerre des médias au Venezuela

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Tite Prout
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Tite Prout


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01062007
MessageLa guerre des médias au Venezuela

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La guerre des médias au Venezuela Le

Le Devoir

IDÉES, vendredi 1 juin 2007, p. a9

La guerre des médias au Venezuela

La tentative de museler l'opposition en fermant RCTV n'est pas sans risque

Ricardo Peñafiel

Par sa décision de ne pas renouveler le droit
d'antenne à la principale chaîne de télévision vénézuélienne, Radio
Caracas Televisión (RCTV), le président vénézuélien Hugo Chávez fait un
nouveau mouvement dans la guerre de tranchées qui l'oppose aux médias
de masse depuis son élection, en 1998. Est-ce un mouvement décisif ou
un mouvement de trop?

En cessant d'être la victime des campagnes de
diffamation, des appels à la grève générale, à la révolte ou carrément
au magnicide et en devenant le bourreau des grands conglomérats
médiatiques, le gouvernement Chávez gagne certainement du terrain, mais
à quel prix? N'est-il pas en train de donner raison aux nombreuses
campagnes l'accusant de museler la presse et d'attenter contre la
liberté d'expression?

Pour comprendre les enjeux de cet événement et
l'importance des médias sur la scène politique vénézuélienne, il faut
remonter à la crise de légitimité de son système politique, dont un des
symptômes les plus frappants est sans doute le Caracazo, c'est-à-dire
ces intenses journées de protestation populaire de février 1989, dont
le but était de contrer les réformes néolibérales mises en place par le
président de l'époque, Carlos Andrés Pérez.

Jusqu'alors et depuis 1958, le Venezuela vivait sous
un manteau de «paix», assuré par le pacte dit du Punto Fijo. Les
principaux partis politiques s'entendaient alors pour garantir une
participation institutionnelle au pouvoir à ceux qu'ils désignaient
comme les «principaux intérêts de la société», c'est-à-dire l'Église
(catholique), les militaires, le patronat, les corporations
professionnelles et les travailleurs.

Ce système fonctionnait relativement bien jusqu'à ce
que la crise de la dette et la baisse des revenus pétroliers n'entament
les capacités de cooptation de l'État. À ce moment, l'incitation à la
formulation de demandes sociales en fonction de laquelle se légitimait
l'État (se présentant comme le médiateur universel des intérêts
sociaux) se transforme, dans le discours des dirigeants, en cause de la
crise de solvabilité.

Se fermant aux demandes sociales qui le légitimaient
jusqu'alors, l'État et le système politique vénézuéliens entrent dans
une profonde crise de légitimité qui se manifeste par la baisse
draconienne des taux de participation aux élections (moins de 50 %)
ainsi que par la prolifération de grèves et de manifestations de rejet
du système politique dans son ensemble.

La feuille de route de Chávez

C'est dans ce contexte de décrépitude généralisée du
système politique vénézuélien que survient l'élection de Chávez en
1998. Son projet est alors principalement tourné contre la
partitocratie, c'est-à-dire contre le contrôle bipartite de l'État. Il
propose et parvient à faire adopter une nouvelle Constitution aux
accents rédempteurs.

En effet, ce processus n'est pas présenté comme un
simple renouvellement des institutions mais comme une «révolution du
peuple», conduite par le peuple et non pas par Chávez, qui s'efface
constamment derrière la figure du «peuple en lutte» ou du «peuple en
marche pour sa libération». Il parvient ainsi à susciter, dans de
larges pans de la société, un sentiment de participation au processus
de changements.

Depuis son élection à la présidence, en décembre
1998, avec 56 % des voix, Chávez ne cesse de cumuler les victoires
électorales: en avril 1999, il remporte le référendum en faveur de la
création d'une assemblée constituante et fait ensuite élire une large
majorité (95 %) de ses partisans au sein de cette assemblée; le 30
juillet 2000, il est reconduit comme président avec 60 % des voix et
son Mouvement pour la cinquième république (MVR) remporte la majorité
des sièges à pourvoir pour l'ensemble des nouveaux pouvoirs créés par
la nouvelle Constitution. Il résiste ensuite à une série de grèves
générales visant la déstabilisation de son gouvernement et même à une
tentative de coup d'État magistralement bien organisée (notamment sur
le plan médiatique).

Le 15 août 2004, faisant face à un référendum
révocatoire (obtenu par l'opposition en vertu des dispositions de la
nouvelle Constitution permettant la révocation à mi-mandat de tout
représentation élu), le camp du non (opposé à la destitution de Chávez)
obtient non seulement 59 % des voix mais surtout une augmentation
substantielle du nombre d'électeurs favorables au chavisme, en raison
de l'augmentation du taux de participation.

Aux élections parlementaires du 4 décembre 2005, les
partisans de Chávez obtiennent la totalité des sièges, étant donné le
retrait, à la dernière minute, des candidats d'opposition. Finalement,
à l'élection présidentielle du 3 décembre 2006, Chávez obtient 63 % des
voix...

Opposition en déroute

Cette hégémonie quasi totale exercée par Chávez sur
presque tous les échelons politiques (sans parler de leurs
répercussions au chapitre social) ne s'explique pas uniquement par son
charisme. Elle résulte en grande partie du discrédit de l'ensemble des
partis politiques de l'opposition. En raison de ce discrédit, les
médias de masse sont appelés à assumer directement la défense de ce
qu'ils perçoivent comme leurs intérêts menacés et à se faire les
représentants des intérêts de l'ensemble de la population.

Devant la faiblesse des partis politiques
d'opposition, ce sont ces médias qui assumeront, dans leurs lignes
éditoriales, la critique du gouvernement, s'écartant fréquemment de la
simple analyse critique pour tomber dans la diffamation, la
désinformation, les appels à la sédition et même à l'assassinat du
président.

La couverture de la tentative du coup d'État du 11
avril 2002 peut presque être perçue comme un montage de télé-réalité
visant à créer l'illusion, d'une part, que Chávez avait ordonné de
tirer sur la foule et, d'autre part, que l'ensemble de la population
acclamait le nouveau gouvernement éphémère de Pedro Carmona, qui
s'empressa, lui, de fermer, illégalement la chaîne télévisuelle d'État
ainsi que plusieurs autres petits diffuseurs favorables au
gouvernement... Sans qu'aucune association de défense de la liberté
d'expression accoure pour les défendre.

C'est précisément autour du rôle politique assumé
par RCTV lors de ce putsch avorté (ainsi que lors de la grève
pétrolière de 2003) que tournent les accusation du gouvernement pour
justifier sa fermeture actuelle. Devant des pratiques s'écartant de
l'éthique professionnelle du journalisme, les normes de n'importe quel
État démocratique prévoient des sanctions. Pour donner un exemple plus
près de nous, le CRTC n'a pas procédé autrement envers CHOI-FM...

Pourtant, Chávez n'avait pas les moyens de procéder
à ce type de sanctions dès 2002. Se sachant surveillé de toute part, il
ne pouvait pas se permettre le moindre écart de conduite. Il a donc dû
attendre la consolidation d'un rapport de force qui lui soit favorable
et le moment du renouvellement du permis de diffusion pour procéder de
manière juridiquement banale à ce qu'il aurait pourtant pu faire il y a
des années.

Jusqu'ici, la riposte de Chávez envers la force
politique que représentent certains médias directement liés à
l'opposition avait surtout été active, c'est-à-dire qu'il s'était
efforcé de créer de nouveaux espaces de communication permettant de
contrebalancer le pouvoir de ces professionnels du divertissement
public.

La fermeture de RCTV, bien que légale, représente un
pas qualitatif énorme dans la mesure où la scène politique est en train
de perdre un de ses principaux acteurs. En effet, le combat entre les
partis politiques s'étant transformé en combat entre le gouvernement et
les médias pour l'occupation et le contrôle de la rue, cette attaque du
gouvernement contre la plus grosse chaîne de télévision ne menace pas
tant la liberté d'expression que l'existence même de la scène
d'affrontement des forces.

Chávez avait certes le droit et de toute évidence la
capacité de procéder au non-renouvellement du permis de diffusion de
RCTV. Seulement, cette victoire «définitive» sur son principal
adversaire risque de faire en sorte que l'espace politique se
reconfigure sur d'autres fronts que le front médiatique. L'espace
électoral étant occupé entièrement par le chavisme, il ne serait pas
étonnant que l'opposition reprenne la voie de la sédition avec une
violence d'autant plus débridée qu'en procédant à la censure de leur
ultime rempart, Chávez donne raison aux accusations d'autoritarisme qui
pèsent sur lui.

Ricardo Peñafiel : Chercheur à l'Institut
d'études sur le développement économique et social (IEDES - Paris
I-Panthéon-Sorbonne) et membre du Groupe de recherche sur les
imaginaires politiques en Amérique latine




Catégorie : Éditorial et opinions

Sujet(s) uniforme(s) : Élections

Type(s) d'article : Opinion

Taille : Long, 948 mots

© 2007 Le Devoir. Tous droits réservés.

Doc. : news·20070601·LE·145661
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