L’initiative PPTE : une pure arnaque, Dr Guy Parfait Songue
02/04/2007
L’origine de la dette publique dans la plupart des pays concernés par l’initiative PPTE remonte aux années 1970 et 1980. Le boom du prix des matières premières avait incité ces pays à s’endetter fortement dans les années 1960-70 pour financer leur développement. Le retournement de tendance du cours des matières premières, qui a suivi le choc pétrolier et la récession générale de la fin des années 70 et du début des années 80, a entraîné une crise de la dette. L’endettement a continué à augmenter jusqu’au début des années 1990 sans que la croissance des économies ne permette d’éviter une grave crise du service de la dette. De 1982 à 1992, la valeur actuelle nette du ratio dette/exportations est passée de 266 à 620 % pour les 33 pays les plus pauvres de la planète et les plus endettés. La dette extérieure de l’Afrique a progressé de 11 milliards de dollars en 1970, à 120 milliards au début des années 80, pour atteindre un pic de 340 milliards en 1995. Voilà pour une partie de l’« histoire », si on peut s’en servir comme introduction. Mais en fait les choses sont beaucoup plus compliquées
LE CERCLE VICIEUX DE LA DETTE DES PAYS DU SUD
Pour rembourser sa dette, un pays du sud doit obtenir des devises grâce aux revenus de ses exportations. Encore faut-il que le coût des importations n’excède pas les recettes tirées de leurs exportations. Or, bien souvent c’est ce qui se passe, et les réserves en devises servent à payer les importations. Certains facteurs viennent aggraver cette situation : la détérioration des termes de l’échange, la réduction de la demande des pays importateurs de matières premières, la variabilité des taux de change et d’intérêt. Le poids des remboursements et des intérêts rend déficitaire la balance de payement, le pays ne peut plus se procurer les fournitures dont il a besoin et se voit contraint de se tourner vers le FMI.
Après de nombreuses étapes de négociation, le pays débiteur peut rééchelonner quelques échéances de cette dette publique pour une période limitée (Club de Paris), ce qui allège sur le moment les charges financières pour les accroître en fin de période : c’est « l’effet boule de neige ». Il peut ensuite négocier un remboursement global d’une partie de la dette privée (Club de Londres) grâce à un nouveau prêt de même montant, pour une durée plus longue. Après la signature des accords de rééchelonnement et de consolidation avec chaque pays et chaque créancier, le pays n’est plus en cessation de paiement et peut recevoir de nouveaux crédits, nécessaires à la poursuite de son activité économique. Cette nouvelle situation entraîne le pays dans une boucle sans fin entre dettes et emprunts. Et l’on peut déjà prédire que le montant des échéances atteindra un «seuil critique » à la sortie des « différés de remboursement », c’est-à-dire à la fin de cette décennie. C’est une lecture sans complaisance de la réalité quotidienne qui use touts les jours les économies de plusieurs pays du Sud.
L’initiative PPTE et les contrats de désendettement développement (C2D) : origine et mécanisme
L’initiative en faveur des Pays pauvres très endettés a été lancée, sur proposition de la France, lors du Sommet du G7 à Lyon en 1996. C’est à l’initiative de l’Europe, et particulièrement de la France qu’il a été décidé, en 1999, de lier l’annulation de la dette à la lutte contre la pauvreté.
Le processus de réduction de la dette des pays pauvres très endettés a été renforcé en 1999 au sommet de Cologne du G7, afin d’établir le champ géographique des pays bénéficiaires et la couverture des créances à traiter, et d’en accélérer la mise en œuvre. Une liste de 42 pays potentiellement éligibles à ce mécanisme a été établie. Elle regroupait essentiellement 36 pays d’Afrique ainsi que 4 pays d’Amérique latine (Bolivie, Honduras, Nicaragua, Guyana) et 2 pays d’Asie (Vietnam et Laos).
Pour bénéficier des « contrats de désendettement-développement », la dette du pays doit être déclarée « insoutenable » après application des mesures traditionnelles de traitement de la dette au regard de critères spécifiques. Les Etats continuent de rembourser leur dette à échéance (important de le relever), mais « dès le remboursement constaté, la France reverse la somme correspondante sur un compte spécifique à la Banque centrale du Pays. Cela permet de garantir l’affectation du produit financier des échéances annulées au développement durable et à la lutte contre la pauvreté, sous forme de dons, pour une période de trois ans renouvelable ».
Cette procédure contractuelle de lutte contre la pauvreté est assurée par l’Agence Française de Développement. Après signature du Contrat entre l’Etat français et le pays bénéficiaire, le C2D permet la mise en place d’un partenariat et d’une concertation entre les acteurs français concernés (ministère des Affaires Etrangères, ministère de l’économie et des finances et l’Agence Française de Développement), sur la base des orientations sectorielles définies dans un comité de pilotage local. Ce dernier est composé des représentants des instances françaises déjà mentionnés et d’acteurs locaux, y compris les représentants des collectivités locales et des organisations de solidarité, pour la formulation et la gestion de « projets ». Les C2D doivent s’inscrire dans le cadre de la lutte contre la pauvreté. Quatre domaines sont privilégiés : l’éducation de base et la formation professionnelle, la santé, les grandes endémie, les équipements et infrastructures des collectivités locales, l’aménagement du territoire et les ressources matérielles.
L’ECHEC ET LES DERAPAGES DE L’INITIATIVE PPTE
En juin 1999 au G7 de Cologne, les argentiers du monde s’étaient engagés à répondre positivement à la pétition de 17 millions de signatures (la plus grande de toute l’histoire de l’Humanité) déposée par la coalition jubilé 2000 : 90 % de la dette des pays pauvres devaient être annulés au cours de l’année 2000, grâce à l’application de l’initiative PPTE. L’effort annoncé s’élevait à 100 milliards de dollars. Plusieurs pays annonçaient jusqu’à 100 % d’annulation. Pourtant derrière ces effets d’annonce, se cache une initiative complexe n’aboutissant pas à une réduction significative de la dette des pays pauvres. Afin que la pertinence des dérapages de cette initiative soit plus claire voyons plus clairement ses principes avant de passer sur ses paradoxes, contradictions et la duperie qui la caractérise.
Le principe de l’initiative est le suivant : un pays de la liste PPTE peut se lancer dans une double phase de trois ans de reformes d’ajustement structurel. Au bout de la première phase de trois ans, les experts du FMI jugent de la « soutenabilité » de la dette du pays en question (à partir des projections à moyen terme de la balance des paiements du pays et de la comparaison entre la valeur de sa dette et la valeur de ses revenus d’exportation). Si la dette du pays est jugée « insoutenable », il est élu pour une seconde phase de reformes. Au terme de celle-ci, il reçoit si nécessaire un allègement destiné à rétablir la « soutenabilité » de son endettement (c’est-à-dire la capacité de rembourser les échéances).
Face à la faiblesse de ces résultats et à la campagne jubilé 2000, le G7 et les institutions financières internationales ont lancé une initiative renforcée : les critères de «soutenabilité » sont désormais assouplis (la dette ne doit plus valoir que 150% des revenus d’exportation et non 200-250 % auparavant), la deuxième phase devient « flottante» (un bon élève peut accélérer les reformes et accéder à un allègement plus rapidement) et une « aide intermédiaire » peut être octroyée au pays après la première phase triennale de réformes.
Parallèlement, le FMI et le Banque mondiale modifient leur vocable, devenu trop impopulaire : les prêts du FMI, appelés jusque là « facilité d’ajustement structurel renforcée», sont rebaptisés « facilités pour la croissance et la réduction de la pauvreté» tandis que les «plans d’ajustement structurels » se nomment désormais « cadre stratégiques de lutte contre la pauvreté ». Nous pouvons donc maintenant rentrer dans les surprenantes réalités de ce programme PPTE.
Tout d’abord la première liste des PPTE se limitait à 41 pays dont la dette cumulée ne représentait que 10 % de la dette du Tiers Monde. Ensuite, seuls les pays jugés « politiquement corrects » ont droit à un allègement. Il en résulte que le nombre de pays élus et la part de dette prise en compte pour un allègement sont très faibles.
Début 2001, seul 1,6% de la dette du Tiers monde est susceptible d’être allégée les prochaines années. Vu la liste des pays éligible, pour u allègement, la majorité des pays pauvres ne sont pas concernés par cette initiative. En effet, 80% de pauvres vivent dans 12 pays (Inde, Brésil, Chine, Nigeria, Indonésie, philippines, Ethiopie, Pakistan, Mexique, Kenya, Pérou, Népal). Or seuls le Kenya et l’Ethiopie font partie de la liste des PPTE.
Un pays tel que le Soudan n’a pas accès à l’initiative, car il n’et pas «un pays ami ». La dette est donc utilisée comme un levier géopolitique, ce qui explique que l’Ouganda, allié des Etats-Unis en Afrique, est le premier recevant les meilleures conditions d’allègement (c’est d’ailleurs le seul pays à être arrivé au terme de l’initiative début 2001). L’accès à l’allègement est conditionné à l’application de deux phases de reformes d’ajustement allant de trois à, six ans. Bien que rebaptisées « cadre stratégique de lutte contre la pauvreté », les reformes économiques restent les mêmes que celles jusqu’ici appliquées au sein des programmes d’ajustement structurel.
Etant étalés sur une longue période, les allègements peuvent n’aboutir qu’à des diminutions minimes du service de la dette, voir à une augmentation ! Par exemple, le Mali devra rembourser, selon les estimations optimistes du FMI, 16,1 millions de dollars en 2010 pour 19,7 millions actuellement. Autre exemple, la Tanzanie ne verrait son service de la dette diminuer que de 7% dans le meilleur des cas. En outre les allègements sont étalés sous forme d’aide annuelles sur une période de trente ans en moyenne, ; ce qu signifie que des chocs tels que (la chute des cours de matières premières, sécheresse, crise financières, etc.) sont susceptibles d’accentuer l’endettement de ces pays durant la longue période d’allègement.
Parmi les 51 bailleurs non membre du club de Paris, dix se sont engagés à participer à la réduction de la dette de l’initiative PPTE. La plupart des bailleurs commerciaux n’ont en général pas acceptée de contribuer à l’initiative.
Par ailleurs, les allègements annoncés portent en grande partie sur des créances qui n’auraient jamais pu être remboursées. Même si ce programme devrait permettre à quelques pays de bénéficier d’une baisse significative de leurs remboursements, le niveau moyen du service annuel de la dette de l’ensemble des pays sélectionnés ne baisse que de 27 % à l’issue de l’initiative, puis repart ensuite à la hausse. Les fonds dégagés par l’allègement ne compensent même pas la baisse de l’aide publique au développement enregistrée depuis une dizaine d’années.
Certaines sommes affectées à l’indemnisation des créanciers privés sont à charge des budgets de la coopération au développement. Bref, les sommes annoncées par les gouvernements du Nord ne vont pas aux populations du Sud, elles sont à charge e la collectivité et bénéficient pour partie à des entreprises privées qui pourtant sont largement responsables du désastre des pays du Tiers monde. Selon la CNUCED : « les espoirs que l’on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l’initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ne sont pas réalistes. L’allègement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre celle-ci supportable à moyen terme (…). Par ailleurs, l’ampleur de l’allègement de la dette et la manière dont il interviendra n’auront pas d’effets directs majeurs sur la réduction de la pauvreté ».
Le PNUD ne dit pas autre chose : « La dette continue d’être un frein au développement humain et à la réalisation de droits de l’homme. (…) L’initiative d’annuler le service de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) n’a eu jusqu’ici qu’un impact limité. (…) De nouvelles mesures, introduites en 1999, cherchent à fournir un allègement plus rapide et plus importantes en visant la réduction de la pauvreté. L’allègement de la dette reste toujours loin derrière les intentions et les promesses (…) ».
La dette du Tiers monde implique chaque année des transferts massifs du Sud vers le Nord : plus de 300 milliards de dollars en 1999, alors que l’aide publique au développement octroyée par les pays riches a atteint son plancher historique avec moins de 50 millliards de dollars. Depuis 1982, la dette du Tiers monde a été remboursée plus de cinq fois. Mais elle doit encore être payée quatre fois aujourd’hui !
Malgré la répétition des effets d’annonces, les résultats concrets sont tellement maigres que les institutions de Bretton Woods et les gouvernements des pays les plus industrialisés éprouvent du mal à « cacher l’ampleur de la supercherie ». Depuis le début de l’initiative en faveur des pays en question, le stock de leurs dettes a augmenté de 10 milliards de dollars, passant de 205 milliards de dollars en 1996 à 215 milliards de dollars en 2001.
Plus grave. En 1999, les PPTE ont payé en remboursement 1.680 millions de dollars de plus que ce qu’ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts (Sources : Banque mondiale, Global development Finance, 2000). En 1996 et 1999, selon la Banque mondiale, le service de la dette des PPTE pris globalement a augmenté de 25 % (passant de 8,860 millions de dollars en 1996 à 11,440 en 1999). La dette multilatérale est bel et bien remboursée au FMI et à la banque via une cagnotte appelée « fonds fiduciaire». En réalité, l’initiative consiste à diminuer un peu le poids qui pèse sur les finances des pays les plus pauvres afin que le système de la dette perdure. Les PPTE restent enchaînés à celui-ci. Cela permet aux créanciers d’imposer aux gouvernements des PPTE la poursuite de politiques qui répondent aux intérêts des pays les plus industrialisés et leurs multinationales.
L’initiative PPTE, n’a pas amélioré les conditions politiques et sociales du développement. Au contraire, l’Afrique après son application est sortie encore plus endettée et plus appauvrie. Et d’après les considérations du Rapport 2004, cette initiative n’a pas non plus réussi à rendre le fardeau de la dette «soutenable ».
En septembre, les pays les plus riches ont décidé enfin, sous l’impulsion de la Grande-Bretagne, d’annuler la dette d’une partie des pays les plus pauvres, tout ceci assortis de conditionnalités pour le reste qui doit attendre de voir si la providence permettra que leurs dettes soit aussi annulées. Attendons voir la suite, car en fait cela ne résout pas le déséquilibre des rapports Nord-Sud et la seule annulation de la dette restera une goûte d’eau dans la mer tant que les Pays riches continueront à piller les pauvres du Sud et continueront à déréglementer les termes de l’échanges et le commerce international en général.
Dr Guy Parfait Songue, Enseignant à l’Université de Douala
Source : Le Potentiel
Afrikara
http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=1691