Parallèlement, le FMI et le Banque mondiale modifient leur vocable, devenu trop impopulaire : les prêts du FMI, appelés jusque là « facilité d'ajustement structurel renforcée », sont rebaptisés « facilités pour la croissance et la réduction de la pauvreté » tandis que les « plans d'ajustement structurels » se nomment désormais « cadre stratégiques de lutte contre la pauvreté ». Nous pouvons donc maintenant rentrer dans les surprenantes réalités de ce programme PPTE.
Tout d'abord la première liste des PPTE se limitait à 41 pays dont la dette cumulée ne représentait que 10% de la dette du Tiers Monde. Ensuite, seuls les pays jugés « politiquement corrects » ont droit à un allègement. Il en résulte que le nombre de pays élus et la part de dette prise en compte pour un allègement sont très faibles. Début 2001, seul 1,6% de la dette du Tiers monde est susceptible d'être allégée les prochaines années. Vu la liste des pays éligible, pour u allègement, la majorité des pays pauvres ne sont pas concernés par cette initiative. En effet, 80% de pauvres vivent dans 12 pays (Inde, Brésil, Chine, Nigeria, Indonésie, philippines, Ethiopie, Pakistan, Mexique, Kenya, Pérou, Népal). Or seuls le Kenya et l'Ethiopie font partie de la liste des PPTE.
Un pays tel que le Soudan n'a pas accès à l'initiative, car il n'et pas « un pays ami ». La dette est donc utilisée comme un levier géopolitique, ce qui explique que l'Ouganda, allié des Etats-Unis en Afrique, est le premier recevant les meilleures conditions d'allègement (c'est d'ailleurs le seul pays à être arrivé au terme de l'initiative début 2001). L'accès à l'allègement est conditionné à l'application de deux phases de reformes d'ajustement allant de trois à, six ans. Bien que « rebaptisées « cadre stratégique de lutte contre la pauvreté », les reformes économiques restent les mêmes que celles jusqu'ici appliquées au sein des programmes d'ajustement structurel.
Etant étalés sur une longue période, les allègements peuvent n'aboutir qu'à des diminutions minimes du service de la dette, voir à une augmentation ! Par exemple, le Mali devra rembourser, selon les estimations optimistes du FMI, 16,1 millions de dollars en 2010 pour 19,7 millions actuellement. Autre exemple, la Tanzanie ne verrait son service de la dette diminuer que de 7% dans le meilleur des cas. En outre les allègements sont étalés sous forme d'aide annuelles sur une période de trente ans en moyenne, ; ce qu signifie que des chocs tels que (la chute des cours de matières premières, sécheresse, crise financières,etc.) sont susceptibles d'accentuer l'endettement de ces pays durant la longue période d'allègement.
Parmi les 51 bailleurs non membre du club de Paris, 10 se sont engagés à participer à la réduction de la dette de l'initiative PPTE. La plupart des bailleurs commerciaux n'ont en général pas acceptée de contribuer à l'initiative.
Par ailleurs, les allègements annoncés portent en grande partie sur des créances qui n'auraient jamais pu être remboursées. Même si ce programme devrait permettre à quelques pays de bénéficier d'une baisse significative de leurs remboursements, le niveau moyen du service annuel de la dette de l'ensemble des pays sélectionnés ne baisse que de 27% à l'issue de l'initiative, puis repart ensuite à la hausse. Les fonds dégagés par l'allègement ne compensent même pas la baisse de l'aide publique au développement enregistrée depuis une dizaine d'années.
Certaines sommes affectées à l'indemnisation des créanciers privés sont à charge des budgets de la coopération au développement. Bref les sommes annoncées par les gouvernements du Nord ne vont pas aux populations du Sud , elles sont à charge e la collectivité et bénéficient pour partie à des entreprises privées qui pourtant sont largement responsables du désastre des pays du Tiers Monde. Selon la CNUCED : « les espoirs que l'on fonde actuellement sur la mise en œuvre de l'initiative renforcée en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) ne sont pas réalistes. L'allègement de la dette envisagé ne suffira pas à rendre celle-ci supportable à moyen terme (…) ; par ailleurs, l'ampleur de l'allègement de la dette et la manière dont il interviendra n'auront pas d'effet directs majeurs sur la réduction de la pauvreté » (CNUCED 2000, P.31).
Le PNUD ne dit pas autre chose : « La dette continue d'être un frein au développement humain et à la réalisation de droits de l'homme. (…)L'initiative d'annuler le service de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) n'a eu jusqu'ici qu'un impact limité. (…) De nouvelles mesures, introduites en 1999, cherchent à fournir un allègement plus rapide et plus importantes en visant la réduction de la pauvreté. L'allègement de la dette reste toujours loin derrière les intentions et les promesses (…). » (PNUD 2000, P120).
La dette du Tiers Monde implique chaque année des transferts massifs du Sud vers le Nord : plus de 300 milliards de dollars en 1999, alors que l'Aide publique au développement octroyée par les pays riches a atteint son plancher historique avec moins de 50millliards de dollars. Depuis 1982, la dette du Tiers monde a été remboursée plus de cinq fois. Mais elle doit encore être payée quatre fois aujourd'hui !
Malgré la répétition des effets d'annonces, les résultats concrets sont tellement maigres que les institutions de Bretton Woods et les gouvernements des pays les plus industrialisés éprouvent du mal à « cacher l'ampleur de la supercherie ». Depuis le début de l'initiative en faveur des pays en question, le stock de leurs dettes a augmenté de 10 milliards de dollars, passant de 205 milliards de dollars en 1996 à 215 milliards de dollars en 2001. [1]
Plus grave. En 1999, les PPTE ont payé en remboursement 1.680 millions de dollars de plus que ce qu'ils ont reçu sous forme de nouveaux prêts (Sources Banque mondiale, Global development Finance, 2000). En 1996 et 1999, selon la Banque mondiale, le service de la dette des PPTE pris globalement a augmenté de 25% (passant de 8,860 millions de dollars en 1996 à 11,440 en 1999). La dette multilatérale est bel et bien remboursée au FMI et à la banque via une cagnotte appelée « fond fiduciaire ». En réalité, l'initiative consiste à diminuer un peu le poids qui pèse sur les finances des pays les plus pauvres afin que le système de la dette perdure. Les PPTE restent enchaînés à celui-ci. Cela permet aux créanciers d'imposer aux gouvernements des PPTE la poursuite de politiques qui répondent aux intérêts des pays les plus industrialisés et leurs multinationales.
L'initiative PPTE, n'a pas amélioré les conditions politiques et sociales du développement. Au contraire, l'Afrique après son application est sortie encore plus endettée et plus appauvrie. Et d'après les considérations du Rapport 2004, cette initiative n'a pas non plus réussi à rendre le fardeau de la dette « soutenable ». En septembre les pays les plus riches ont décidé enfin, sous l'impulsion de la Grande Bretagne, d'annuler la dette d'une partie des pays les plus pauvres, tout ceci assortis de conditionnalités pour le reste qui doit attendre de voir si la providence permettra que leurs dettes soit aussi annulées. Attendons voir la suite, car en fait cela ne résout pas le déséquilibre des rapports Nord-Sud et la seule annulation de la dette restera une goûte d'eau dans la mer tant que les Pays riches continueront à piller les pauvres du Sud et continueront à déréglementer les termes de l'échanges et le commerce international en général.
Sources bibliographiques
- Benamrane (Djilali), « La compétitivité de l'économie africaine », forum international sur la compétitivité des économies africaines, Dakar, mars 1999.
- Mbaye (Sanou), « L'Afrique noire face au pièges du libéralisme », Le monde diplomatique, Juillet 2002.
- Zacharie (Arnaud), « Deux ans après le G7 de Cologne, la dette tenace des pays pauvres », juin 2001.
- Toussaint (Eric), « Le faux allègement de la dette des pays pauvres très endettés », Avril 2001.
- Zacharie (Arnaud), « Les dix limites de l'initiative PPTE », mars 2001.
- Zacharie (Arnaud), « Un jubilé guère jubilatoire ! », Janvier 2001.
- Toussaint (Eric), « G7 d'Okinawa : Bas les masques ! », août 2000.
- Zacharie (Arnaud), « un an après Cologne, point sur les allègements », août 2000. « Le consensus des peuples face au consensus du G8 ; traitement de la dette africaine : PPTE/ CSLP, état des lieux en 2002 » site penser pour agir, article 69.
- Mabilais (Régis) & De la Forest -Divonne (Alex), « Plate-forme et information sur le dette des pays du Sud », Juin 2002.
- Curtet (Jean-Paul), « La réduction de la dette africaine : quels enjeux et quelles stratégies pour quelles finalités ? », 27 octobre 2004.
- Mingat (Alain) & Tan (Jee-Peng), « L'initiative PPTE : Quelles chances pour l'éducation ? », Association pour le développement de l'éducation e Afrique, 4 juillet 2001.
- Ruiz Diaz (Hugo), « l'Afrique prise dans la tenaille du sous-développement et de la dette odieuse », 20 décembre 2004.
- Pr Kassé (Moustapha), « Endettement de l'Afrique, quelles voies de sortie après PPTE ? », 6/03/2005.
- Amador-Cuado (Maria), Breitkopf (Suzanne), Buffa (Frédéric), Lecomte (Priscilla) & Perrin (clément), « exposé Initiative PPTE en Afrique » Séminaire Genre et Afrique sous la direction de Sophie Bessis, 24 février 2005. Georges Frenesh, XVIème Assemblée Régionale Europe- Delémont, du 5 au 7 novembre 2003. Commission II : « La coopération entre l'union européenne et les Pays ACP. Stoneman (Catherine) & Brown (David), LA DG VIII, Commission Européenne, Septembre 1997.
- Rapport annuel 2004, site de la Commission européenne.
- « Le courrier » (9/12/2000) : Des échanges injustes et en baisse, Aze. (Extraits). « Dette & Développement ; L'initiative PPTE : Au-delà des effets d'annonce ; point sur les allègements de dette en cours », Site dette 2000.
- Dette des pays du Sud et le financement du développement ; Rapport 2001-2002. Atelier sur la dette de l'Afrique à l'Union Africaine (Adis Abéba), CADTM, 12 Avril 2005.
[1] Sources FMI, World Economic Outlook, www.imf.org.
Dimanche 9 octobre 2005, par Guy Parfait SONGUE Politologue
http://www.icicemac.com/nouvelle/index.php3?nid=6283