La Presse
Plus, dimanche 26 mars 2006, p. PLUS4
Le programme Pétrole contre stéthoscope
Hachey, Isabelle
La Havane - Quand un pauvre du Venezuela va chez le médecin, il dit: " Je vais voir le Cubain. " C'est que, depuis deux ans, 15 000 médecins cubains ont ouvert des cliniques dans les bidonvilles et les villages les plus reculés du pays, où ils prodiguent des soins gratuits. En contrepartie, Cuba reçoit chaque jour 90 000 barils de pétrole vénézuélien. Une bouffée d'air providentielle pour l'île communiste, asphyxiée par l'embargo américain et lâchée par son ancien mécène soviétique.
Le programme Pétrole contre stéthoscope a été conçu par les deux leaders les plus controversés d'Amérique latine, Hugo Chavez et son mentor, Fidel Castro. Tous deux y gagnent: l'or noir vénézuélien compte pour le tiers des besoins énergétiques de Cuba, qui s'extirpe peu à peu de la crise provoquée par l'effondrement de l'URSS. Et la cote de popularité de Chavez a grimpé en flèche auprès des millions de pauvres qui ont pu être examinés, souvent pour la première fois de leur vie, par un généraliste.
Les médecins cubains font l'orgueil de Castro, et contribuent depuis longtemps à faire mousser l'image de la révolution dans le monde entier. Bon an mal an, 20 000 médecins sont envoyés en mission dans une soixantaine de pays d'Afrique et d'Amérique latine. Ils étaient en Indonésie après le tsunami de décembre 2004. Ils étaient au Pakistan après le séisme d'octobre 2005. Et ils auraient été à La Nouvelle-Orléans après l'ouragan Katrina si le président Bush n'avait pas refusé l'aide du Lider Maximo.
Mais ce n'est pas que par pure bonté d'âme que Castro envoie des médecins à l'étranger. Il s'agit d'un véritable business pour son régime, qui perçoit une bonne part des salaires versés par les pays hôtes aux médecins en mission. Ces derniers ne se plaignent pas de cet impôt abusif, car ce qu'ils empochent au bout du compte reste bien plus élevé que les salaires de misère qui leur sont versés à Cuba.
Plus encore qu'un lucratif produit d'exportation, toutefois, les médecins sont pour Castro un outil politique. C'est du moins ce que soutiennent les détracteurs du régime, selon qui les bons médecins cubains ont pris la relève des guérilleros: comme ceux-ci dans les années 60 et 70, les hommes en blouse blanche sont envoyés de par le monde pour porter l'étendard et les idéaux de la révolution cubaine.
Les médecins vénézuéliens, en tout cas, n'apprécient guère l'arrivée massive des confrères cubains sur leur territoire. L'été dernier, ils ont manifesté par centaines à Caracas pour demander l'expulsion de ceux qu'ils estiment être des professionnels incompétents venus prêcher la propagande de Castro dans les bidonvilles du pays. Selon eux, les médecins cubains endoctrinent plus qu'ils ne soignent.
Catégorie : Autres
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales; Industries pétrolières et pétrochimiques
Taille : Moyen, 351 mots
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Doc. : news·20060326·LA·0109