La Lettre d'Odile Biyidi, présidente de Survie : La Marche Continue
21/11/2005
Le 29 juin Survie a subi la perte irréparable de son président
François-Xavier Verschave. Le prodigieux travail qui a été le sien
demeure. Il constitue le socle de nos actions, un acquis dont nous
sommes loin d'avoir exploré toutes les voies. Il s'agit de faire
avancer sans cesse l'ambition d'un monde où les peuples
s'approprient leur destin pour améliorer leurs conditions de vie, où
les responsables sont responsables parce qu'ils représentent ceux
qu'ils gouvernent, où les grands prennent conscience de leur
faiblesse et les petits de leur force.
Il n'y a pas de pause pour le chagrin. L'âpreté des enjeux qui se
jouent en Afrique se reflète dans des événements qui ne laissent pas
de répit.
Le Congo démocratique est toujours en lambeaux, que se disputent
tant de vautours à coups de massacres. Au Soudan, le Darfour est
toujours le théâtre des pires exactions. En Mauritanie l'adjoint
d'un militaire chasse son patron qui, avec son aide, emprisonnait et
torturait à tout va. Aux observateurs politiques qui raillent le
coup d'État comme « maladie africaine », le journal Burkinabé
L'Observateur Paalga répond : « Tant que le sport favori des
gouvernants restera le trucage des élections, tant que les
présidents se plairont à tripatouiller les constitutions pour
s'éterniser au pouvoir, aucune résolution ne pourra éradiquer les
coups de force sur notre continent. […] Le meilleur antidote aux
rébellions, mutineries, coups d'État et autres révolutions de
palais, c'est la démocratie, le respect des droits de l'homme, la
bonne gouvernance et la justice sociale. »
La force fait la loi. Au Tchad le pouvoir contre les journalistes
indépendants, cautionné par les déclarations indécentes de
l'ambassadeur de France. Sy Koumbo Singa Gali, directrice de
publication de l'hebdomadaire l'Observateur, est la troisième
journaliste à être condamnée à une peine de prison au Tchad depuis
le début du mois de juillet. Accusée d'incitation à la haine
raciale, elle rejoint le coordonnateur du même journal, Samory Ngar,
accusé d'atteinte au chef de l'Etat, qui a écopé de trois mois de
prison, ainsi que Michaël Didama, du journal le Temps, condamné à
six mois ferme pour diffamation, après avoir publié un reportage sur
l'opposition politico-militaire tchadienne au Soudan. Pour Evariste
Ngarlem Toldé, président de l'Union des journalistes tchadiens,
cette série de procès en cascade vise «à museler la presse privée
indépendante». Élargis peu après, les journalistes n'en conserveront
pas moins la crainte de s'exprimer. Le résultat est atteint.
Au Gabon la pérennisation du pouvoir de Bongo est en marche,
consacrant la sclérose d'un pays qui devrait être un îlot de
prospérité. Au Congo, l'infâme procès du Beach a consacré l'impunité
des militaires incriminés, défendus à grands frais par des avocats
français, en face de victimes intimidées, après qu'en France l'État
a élargi un criminel présumé et fait taire la plainte des victimes.
La mascarade judiciaire de Brazzaville s'est déroulée sans grand
retentissement. Laissera-t-on cette page se refermer ?
La normalisation du Togo, avalisant le pouvoir imposé du fils
d'Eyadéma, va bon train, bénie par la Francophonie, en dépit de la
relation, par Amnesty International, des crimes et des exactions qui
continuent à s'y perpétrer contre tout suspect d'opposition, tandis
que la commission des Droits de l'homme de l'ONU publie un rapport
accablant. Fermons les yeux et réjouissons-nous puisque Bolloré va
étendre son activité sur le port de Lomé.
Au Cameroun l'organisme gestionnaire des fonds communaux est
soupçonné d'avoir distrait 26 milliards de CFA. Ce scandale n'émeut
personne. C'est normal en quelque sorte. Pendant ce temps des jeunes
Camerounais sont tués dans la ruée sur les barbelés de Melilla. La
coïncidence des deux événements montre que la pauvreté n'est pas un
phénomène naturel mais un fait politique. En ce monde l'homme qui a
faim est un homme opprimé.
Plus que jamais il faut lutter contre le silence, contre les
clichés, car c'est cela qui tue.
Odile Biyidi, présidente de Survie.
Novembre 2005
Source :
http://www.afrikara.com/index.php?
page=contenu&art=932&PHPSESSID=a7ae850f8820a870fe7f898e9a354870
Ven 25 Nov - 4:10 par brigitte