Afrique Relance, Vol.15# 3 (octobre 2001), page 21
Au moment où nous mettons sous presse, à Abuja (Nigéria), un sommet des responsables africains vient de lancer officiellement, le 23 octobre, le Nouveau partenariat pour le développement africain. Baptisé antérieurement "Nouvelle initiative africaine", le Partenariat visera à favoriser le développement sur le continent et à préparer celui-ci aux défis que posent les changements politiques et la mondialisation.
La nouvelle Initiative africaine, source d'espoir
Le plan de développement du continent suscite éloges et scepticisme
Par Ernest Harsch
"Extrêmement ambitieux" et "très difficile" ont été les qualificatifs utilisés par le Président sud-africain Thabo Mbeki pour décrire deux plans de développement socio-économique et d'union politique de l'Afrique. Bon nombre de ses collègues présidents et premiers ministres, réunis à Lusaka (Zambie) à l'occasion d'un Sommet de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), avaient aussi conscience des redoutables défis qui les attendent, alors même qu'ils s'efforcent de changer les relations des pays africains, entre eux et vis-à-vis du reste du monde.
Présidents de pays en développement au Sommet du Groupe des Huit à Gênes (de gauche à droite) : Abdoulaye Wade (Sénégal), Francisco Flores Pérez (El Salvador), Abdelaziz Bouteflika (Algérie), Alpha Oumar Konaré (Mali, dissimulé en partie), Olusegun Obasanjo (Nigéria), et Thabo Mbeki (Afrique du Sud).
Photo: © SIPA Press
Sur le plan politique, les dirigeants africains ont l'intention de transformer l'OUA, dans l'année qui vient, en une institution plus efficace à l'échelle continentale, l'Union africaine (voir "La trasformation de l'Organisation de l'unité africaine en Union africaine"). Parallèlement, les responsables du continent souhaitent promouvoir une stratégie de développement inédite "fabriquée en Afrique", connue sous le nom de nouvelle Initiative africaine. Cette stratégie combine deux projets de plans présentés cette année par différents présidents africains, le Partenariat du millénaire pour le Programme de relance de l'Afrique (voir le numéro de juin 2001 d'Afrique Relance) et le Plan Oméga, qui ont été fusionnés en un seul document à la veille du Sommet de l'OUA organisé à Lusaka du 9 au 11 juillet.
L'objectif global de l'Initiative, ont décrété les Chefs d'Etat réunis à cette occasion, sera d'aboutir à "un développement humain et durable", tout en s'assurant que l'Afrique sera plus qu'un acteur secondaire dans l'économie mondiale. Pour ce faire, l'Afrique devra obligatoirement bénéficier d'une meilleure mobilisation et d'une meilleure gouvernance, déclare l'Initiative, affirmant que "les peuples du continent ont d'ailleurs commencé à démontrer qu'ils n'acceptaient plus les mauvaises orientations politiques et économiques". Bien que de nombreux détails restent à régler, les grandes lignes de l'Initiative ont d'ores et déjà été esquissées (voir "Nous déterminerons notre propre destin").
Un nouveau partenariat ?
Par cette initiative, les gouvernements africains s'engagent à recueillir plus activement des fonds sur le continent même, grâce à l'amélioration des systèmes d'imposition fiscale, à une meilleure efficacité et à des taux plus favorables aux investissements et à l'épargne nationaux. En même temps, l'Initiative propose la création "d'un nouveau type de partenariat entre l'Afrique et la communauté internationale, en particulier les pays industrialisés, pour combler le gouffre qui s'est creusé en matière de développement au cours de siècles de rapports inégaux".
De nombreux Chefs d'Etat africains sont allés à l'étranger plaider en faveur d'un allégement de la dette plus rapide et plus conséquent, une aide au développement accrue, des investissements étrangers plus importants, et une ouverture plus large des marchés du Nord aux exportations du continent. A la session de haut niveau consacrée à l'Afrique en juillet, le Conseil économique et social de l'ONU (voir "L'initiative africaine : un défi pour l'ONU") a entendu le Président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, saluer la nouvelle Initiative africaine comme un événement "d'une énorme importance pour chaque habitant de la planète". M. Wolfensohn a par ailleurs promis que la Banque apporterait son concours aux programmes qui sont "élaborés sur place et appliqués sur place. Nous reconnaissons que les modèles de développement imposés de Washington, Londres ou Genève ne marchent pas sur le terrain", a-t-il ajouté. M. Wolfensohn a également précisé que, tout en continuant d'attacher des conditions à ses prêts, la Banque s'efforcerait de "simplifier les procédures d'attribution". En outre, l'institution financière participera davantage aux efforts de développement et de consolidation de l'intégration régionale en Afrique, plutôt que de se concentrer presque entièrement sur les projets de développement nationaux, comme par le passé.
"Aider l'Afrique n'est pas de la charité"
La semaine suivante, une délégation de dirigeants africains dirigée par le Président Abdoulaye Wade du Sénégal a vanté les mérites de l'Initiative devant le Sommet annuel des huit pays industrialisés qui s'est tenu à Gênes, en Italie. "Pour la première fois dans le cadre du G8, la question de l'Afrique a été sérieusement abordée", a constaté le Président français Jacques Chirac. Le Premier ministre du Royaume-Uni, Tony Blair, a demandé aux bailleurs de fonds de lancer "une sorte de Plan Marshall" pour l'Afrique, faisant ainsi référence aux injections importantes de capitaux qui ont contribué à la reconstruction de l'Europe après la deuxième guerre mondiale.
M. Guy Verhofstadt, Président intérimaire de l'Union européenne, a quant à lui constaté "qu'il y a une volonté politique de la part des [pays] riches de participer en partenariat à des actions sur le continent. Cela n'était pas le cas jusqu'à présent. Au bout de trois jours de discussions, tout le monde, y compris le Président américain George Bush, était conscient de l'abysse qui sépare le Nord et le Sud, les riches du G8 et l'Afrique".
Le G8 a accueilli la nouvelle Initiative africaine comme un point de départ prometteur d'un partenariat plus étroit. Les huit pays industrialisés ont également adopté "le Plan de Gênes pour l'Afrique", qui souligne les domaines intéressant particulièrement les pays industrialisés, comme la promotion des investissements privés, l'expansion du commerce en Afrique et à l'extérieur du continent, l'amélioration des systèmes de santé publique, la lutte contre la faim, la gestion solide des entreprises, l'introduction des nouvelles technologies, la lutte contre la corruption, la bonne gouvernance et la prévention des conflits. Le Premier ministre Jean Chrétien, qui accueillera le prochain Sommet du G8 au Canada, a promis que l'Afrique en serait le principal sujet. "Aider l'Afrique n'est pas de la charité, mais un investissement", a-t-il affirmé.
Les membres du G8 se proposent de préparer des projets de partenariat plus concrets en prévision du Sommet de l'an prochain. Parallèlement, ils ont l'intention d'engager un dialogue continu avec un comité de 15 membres composé de Chefs d'Etats africains. Le comité, dirigé par le Président nigérian Olusegun Obasanjo, devrait formuler des programmes précis qui seraient appliqués dans le cadre de la nouvelle Initiative africaine, également en vue du Sommet du G8 de 2002.
Les dirigeants africains présents au Sommet de Gênes ont eu un aperçu des passions suscitées par les politiques économiques internationales du G8, qui ont provoqué des affrontements entre forces de sécurité et manifestants "anti-mondialisation". Les heurts ont fait de nombreux blessés et une victime parmi les manifestants. Le Président Wade a dénoncé la "violence" d'une aile du mouvement protestataire, tout en déclarant en comprendre les idéaux. "Il est vrai que les règles capitalistes, appliquées à l'aveuglette, provoquent des situations intolérables", a-t-il dit. Le président a toutefois invité les protestataires à se montrer "réalistes" dans leurs revendications, puisque "ces règles régissent le monde". Il a également prédit que "la dénonciation actuelle du capitalisme" gagnerait du terrain dans les pays en développement et "ralliera un jour à sa cause la jeunesse sénégalaise. Le danger est que les jeunes estiment que la réforme [du système économique international] ne se fait pas assez rapidement, et qu'elle ne prend pas la bonne direction. Dans ce cas, je devrai faire en sorte qu'ils ne se tournent pas contre moi", a-t-il expliqué.
Peser le pour et le contre
Comme les remarques de M. Wade le laissent entendre, les promoteurs de la nouvelle Initiative africaine sont particulièrement conscients du fait que, quel que soit l'appui qu'ils reçoivent sur le plan international, il leur faudra avant tout gagner le ferme soutien des peuples de l'Afrique s'ils entendent réussir dans leur entreprise.
Une plus grande diffusion des technologies d'information et de communication sera indispensable pour renforcer la compétitivité de l'Afrique sur le plan international.
Photo: © iAfrika Photos
Depuis l'annonce cette année du Programme du millénaire et du Plan Oméga, qui ont été ensuite intégrés dans l'Initiative, décideurs, universitaires, agents du développement, commentateurs de la presse, syndicalistes, responsables de la société civile et bien d'autres ont débattu des mérites et des faiblesses du projet. De nombreuses voix ont exprimé l'espoir prudent que l'Initiative représenterait effectivement un nouveau départ pour le continent. S'il est possible de parvenir à la paix et la stabilité politique et si les pays industrialisés tiennent leurs promesses, l'Initiative "devrait offrir à l'Afrique les moyens de s'affirmer dans les sphères centrales des affaires économiques, politiques et culturelles du monde", a déclaré Kuseni Dlamini, chercheur adjoint à l'Institut sud-africain des affaires internationales.
Lun 15 Mai - 9:45 par Tite Prout