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Le Devoir
ÉDITORIAL, mercredi 4 avril 2007, p. a6
Libre-Opinion: La haine des tiers partis
Un vote pour Québec solidaire ou encore pour les verts: est-ce vraiment un vote en moins pour le PQ?
Sébastien Otis
Dans le sillon des discussions post-électorales, nombreux sont ceux qui se sont penchés sur le rôle des tiers partis au vu des résultats de l'élection. Le fait que le parti Québec solidaire (QS) et le Parti vert (PV) aient cumulé près de 8 % du nombre total des voix a laissé, semble-t-il, un goût amer à bien des électeurs du Parti québécois (PQ). C'est que dans une dizaine de circonscriptions, il semble que ces votes aient «privé» le PQ d'un siège, ou encore rendu la lutte excessivement serrée. Dans cette perspective, on a pu entendre que le vote des tiers partis avait créé un véritable effet de distorsion par rapport à la performance électorale escomptée. Voyons ce qu'il en est.
Exception faite d'Amir Khadir dans Mercier (29 % des votes contre 33 % pour Daniel Turp), aucun candidat des tiers partis n'a été en mesure de menacer directement un candidat du PQ pour l'obtention d'un siège. En fait, on accuse plutôt les tiers partis d'avoir littéralement dérobé la «poignée de votes» nécessaire au PQ pour devancer ou encore se distancier du résultat d'un parti politique rival. Par-delà l'incontestable fait que certains résultats furent plutôt serrés, qu'est-ce qui nous force à croire qu'un vote pour un tiers parti aurait dû en être un pour le PQ?
À cette question, on doit d'abord reconnaître qu'une hypothétique absence de tiers partis relève de la fantaisie. Même si le PV ou encore QS était voué à demeurer marginal, toute formation politique doit bien débuter quelque part (l'ADQ n'a-t-elle jamais été considérée comme un parti marginal?). Sous cet angle, l'idée du «transfert de votes» par un simple calcul mathématique a peu de sens.
Sur un autre registre, on rétorquera que l'électorat des tiers partis est plutôt «progressiste» et que, ceci étant, il ne fait aucun doute le Parti québécois est la formation politique la mieux à même de séduire ce type d'électeurs. Qui souscrit à cette idée a-t-il pris la peine de consulter les programmes des différents partis? Si l'on se penche sur le PV, on constate qu'il met radicalement de côté une grande part des idées chères aux péquistes au profit de préoccupations quasi strictement environnementales. Chez ce parti, tout enjeu lié à l'éducation, à la famille ou encore à l'économie découle d'une représentation toute singulière de l'environnement à laquelle tout se trouve subordonné. Concernant le parti QS, on y insiste sur le fait que tout doit être abordé dans sa dimension sociale. Cela signifie que les questions d'économie, de justice, d'éducation ou encore d'écologie sont avant tout analysées dans une perspective sociale. Par exemple, cela conduit ce parti à affirmer qu'il est dans l'intérêt des Québécois de rehausser les revenus de l'État, de nationaliser la production d'énergie éolienne (Éole Québec) et, dans la même veine, de créer Pharma-Québec. On prêche ici un interventionnisme de l'État qui m'apparaît fort distant des actuelles préoccupations du PQ. En somme, jusqu'à quel point le PQ peut-il être considéré comme une formation politique suffisamment progressiste pour attirer l'attention de l'électorat des tiers partis?
À vrai dire, les tiers partis proposent une lecture de la réalité québécoise à travers un prisme qui est le leur. Autrement dit, au regard du portrait de «la» réalité québécoise, ils reconnaissent une réalité toute distincte de celle faisant davantage consensus chez «la triade» ADQ, PLQ et PQ. Les 300 000 Québécois qui ont voté pour les tiers partis ont délibérément choisi la voie de la dissidence contre tout ce que la triade nous présente comme une fatalité. Le 26 mars dernier, ils ont tout simplement voulu dire tout haut qu'une autre manière de faire la politique demeure à la fois pensable et possible. Sur des sentiers autres que l'autoroute politique de la triade, «la» réalité québécoise est actuellement revisitée par des femmes et des hommes qui ont délibérément quitté les vieux partis au sein desquels «la» réalité québécoise est appréhendée sous une perspective unidimensionnelle.
Sébastien Otis : Étudiant à la maîtrise en science politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Catégorie : Éditorial et opinions
Sujet(s) uniforme(s) : Partis politiques; Élections
Type(s) d'article : Opinion
Taille : Moyen, 512 mots
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Doc. : news·20070404·LE·138161