Voyage en terre promise. Promise pour qui ?
Pierre Stambul
Voici un texte relatant le dernier voyage en Israël Palestine du président de l’UJFP
Je n’étais pas retourné en Israël ou en Palestine depuis 1994. Qu’est-ce qui a changé ?
D’abord et avant tout, il n’y a plus de frontière. L’annexion de larges parties de la Palestine et celle du Golan Syrien ne sont plus rampantes, elles sont effectives.
L’espoir a disparu. La quasi-totalité des interlocuteurs/trices que j’ai rencontréEs, seul ou en groupe, n’entrevoient pas d’avenir pacifique. Côté Palestinien, qu’il s’agisse « d’Arabes Israéliens » ou d’habitantEs des territoires, plus personne ne croit à la viabilité de deux Etats et beaucoup se prononcent ouvertement pour un seul Etat (celui de tous ses citoyens). Les mondes israélien et palestinien sont devenus hermétiques et s’ignorent globalement. Les possibilités de rencontre sont rares et difficiles. Les territoires palestiniens ressemblent à une prison à ciel ouvert, où circuler (ne parlons pas de voyager) est un problème permanent. Les colonies sont plus nombreuses avec leurs routes de contournement et certaines sont de véritables villes (Ariel, Maale Adoumim). Il continue d’y avoir de part et d’autres des gens qui recherchent la rencontre, l’égalité et la connaissance de « l’autre ».
La gauche anticolonialiste est active. Mais globalement la société israélienne est gangrenée par le racisme. La majorité de la population se partage entre un rejet pur et simple des « Arabes » (et elle est gagnée par les thèses du « transfert » des Arabes au-delà du Jourdain) ou leur acceptation à la condition qu’ils soient soumis et acceptent une infériorité « naturelle ». On est loin de l’égalité. Certains continueront de trouver choquant qu’on parle d’Apartheid ou de colonialisme. Mais comment trouver d’autres termes pour qualifier une société à deux niveaux ?
Enfin, la société israélienne ne souffre pas de cette guerre. La croissance est forte, la « sécurité » est globalement revenue. Le libéralisme a supprimé les solidarités et a créé comme en Occident des nouveaux pauvres ou des sans abris. Mais le niveau de vie moyen des IsraélienNEs est 20 fois supérieur à celui des « territoires » et il est tentant ou facile de ne pas voir ce qui se passe à quelques kilomètres de chez soi.
Où est la frontière ?
La frontière internationalement reconnue (celle de 1949) ne figure plus sur aucune carte israélienne. Le ministre travailliste qui voulait la réintroduire dans les manuels scolaires a échoué. La carte des « parcs nationaux israéliens » comprend le Mont Hermon (Golan) ou la ville antique de Qumran (Cisjordanie). Les grands axes routiers qui partent de Jérusalem utilisent la vallée du Jourdain (vers le lac de Tibériade ou vers Eilat). Même l’autoroute de Tel-Aviv traverse la Cisjordanie occupée auniveau du village de Latrun, mais il faut un guide français pour le savoir. Officiellement les villes saintes israéliennes sont Jérusalem, Safed, Tibériade ou … Hébron qui est pourtant une grande ville palestinienne. L’économie ou le tourisme israéliens sont omniprésents dans les territoires (que les Israéliens appellent territoires « disputés » et non occupés). Les pistes de ski sont dans le Golan, les meilleurs vins aussi. L’une des plus grandes usines (Ahava) qui fabrique et exporte des produits de beauté est en zone annexée au bord de la Mer Morte. Quant aux colons, qu’ils vivent dans des colonies « légales » ou dites « illégales », ils sont protégés par l’armée et les routes de contournement leur permettent en quelques minutes d’atteindre les grandes villes israéliennes.
Écoutons ce que raconte l’Israélien moyen : « 90% des Palestiniens sont bons, mais à cause des 10% qui soutiennent les terroristes, il a fallu prendre des mesures ». « Ces villages arabes (il s’agit d’Abou Gosh et d’Ein Karem, très proches de Jérusalem) n’ont jamais pris les armes contre nous, on les a laissés. Pour les autres, il a fallu reculer la frontière. » Même remarque sur le Golan : « les Syriens bombardaient le lac de Tibériade, il a fallu reculer la frontière ». La reculer jusqu’où ? Pas de réponse, il n’y a pas vraiment de limite. Tout est prétexte : l’étroitesse du territoire avant la guerre de 67 (12 Km au niveau de Netanya) « justifie » les annexions actuelles. Les attentats « justifient » le Mur. Silence sur le fait que le Mur annexe de larges parties du territoire palestinien. Dans les discours, rien ne présage un quelconque retour sur les frontières d’avant 67, surtout à Jérusalem.
Jérusalem
La ville a 700.000 habitants. Globalement 1/3 de Juifs Israéliens à Jérusalem Ouest. 1/3 de Palestiniens à Jérusalem Est et 1/3 de Juifs dans les « nouveaux quartiers » de Jérusalem Est qui sont en fait des colonies : Gilo, Haroma, Psagot, Givat Shaul …
Les religieux sont omniprésents. Jérusalem est la capitale des trois grands monothéismes. Des trois grandes névroses, faudrait-il dire. Dans notre hôtel, il y a 600 pèlerins chrétiens venus du Nigeria. Après leur départ, un nombre équivalent de Juifs religieux leur succède. Les hôtels sont aménagés pour celles et ceux qui respectent les interdits du shabbat.
Dans la vieille ville, les pèlerins chrétiens sont revenus. Au Saint-Sépulcre, chaque Eglise chrétienne garde précieusement son coin de cathédrale et son pilier. Les Eglises copte et éthiopienne ont été reléguées hors de la cathédrale. En 1994, j’avais pu visiter la mosquée Al Aqsa et le Dôme du Rocher. À présent, c’est très difficile, y compris pour les PalestinienNEs qui n’accèdent pas facilement à l’esplanade des mosquées.
Pour arriver au Mur des Lamentations, on est fouillé comme dans un aéroport. Des militaires en arme viennent aussi prier (mais globalement la présence militaire dans la vieille ville est faible). Curieusement, le Mur des Lamentations est le dernier vestige du deuxième temple pourtant construit par un ennemi acharné des Juifs (le roi Hérode). Les religions ont leur mystère. En ville, la présence des Juifs religieux est dominante alors qu’il y a 40 ans, ils étaient confinés dans le quartier de Méa Sharim.
Lun 19 Mar - 12:26 par mihou