Chroniques de la Terre Promise
L’héritage de Sharon en action, par Tanya Reinhart - Znet.
13 juin 2006
Znet.org, 23 mai 2006.
Le monde occidental semble encore, à l’heure actuelle, sous le charme d’Ariel Sharon qui, à ce qui se dit, a apporté un
changement gigantesque dans la politique d’Israël - de l’expansion et occupation à la modération et aux concessions - une
situation qui doit être achevée par son successeur Ehud Olmert. Depuis l’évacuation des colonies de la Bande de Gaza, la
version dominante en occident a été qu’Israël a fait sa part en ce qui concerne la fin de l’occupation et annoncé qu’il était
prêt à faire de nouveaux pas en ce sens, et que c’est maintenant au tour des palestiniens de montrer qu’ils sont capables de
vivre en paix avec leur voisin bien intentionné.
Comment se peut-il que Sharon, le leader le plus brutal, cynique, raciste et manipulateur qu’Israël ait jamais eu, ait terminé sa
carrière politique comme un héros légendaire de la paix ? La réponse, je crois, est que Sharon n’a pas changé. Plutôt, le mythe
construit autour de lui reflète-t-il l’omnipotence actuelle d’un système de propagande qui, pour paraphraser Chomsky, a
atteint la perfection dans la fabrique de la conscience.
La magie qui a transformé Sharon aux yeux du monde a été l’évacuation des colonies de Gaza. Je reviendrai sur ce point et je
montrerai que même ça, Sharon ne l’a pas fait de sa propre volonté, mais sous la pression, sans précédent à son égard, des
USA. Dans tous les cas, Sharon a montré depuis le début que l’évacuation des colonies ne signifie pas laisser libre Gaza. Le
plan de retrait, publié sur les journaux israéliens le 16 avril 2004, spécifiait qu’ « Israël surveillera et contrôlera la
frontière du territoire, qu’il maintiendra un contrôle exclusif de l’espace aérien de Gaza, et qu’il continuera à mener des
activités militaires dans les eaux de la Bande de Gaza ». [1]
Un bref regard sur les précédents de Sharon
Pendant les quatre années de son mandat, Sharon a bloqué toute possibilité de négociations avec les Palestiniens. En 2003 -
période de la Road Map - les Palestiniens ont accepté le plan et déclaré le cessez le feu, mais, pendant que le monde
occidental célébrait la nouvelle aire de paix, l’armée israélienne, avec Sharon, intensifia sa politique d’assassinats ciblés,
maintint les brutalités quotidiennes contre les palestiniens occupés, et, pour finir, déclara une guerre totale au Hamas, en
tuant tous ses leaders de premier plan, politiques et militaires.
Plus tard, alors que le monde occidental retenait son souffle une fois de plus, après un an et demi d’attente pour le retrait
planifié de Gaza, Sharon fit tout son possible pour faire échouer le président palestinien, Mahmoud Abbas, élu en janvier
2005. Sharon déclara qu’Abbas n’était pas un partenaire approprié (parce qu’il ne luttait pas contre le terrorisme) et
repoussa toutes les nouvelles offres de négociations. La réalité quotidienne des palestiniens dans les Territoires occupés n’a
jamais été aussi sombre que pendant la période de Sharon. En Cisjordanie, Sharon avait lancé un projet massif de
purification ethnique dans les zones frontalières avec Israël. Son projet de mur vole la terre des villages palestiniens dans
ces zones, emprisonne des villes entières, et laisse ses habitants sans moyens de subsistance. Si le projet se poursuit, parmi
les 400.000 palestiniens qu’il aura sinistrés, beaucoup devront partir et chercher à aller gagner leur vie dans les banlieues
des villes à l’intérieur de la Cisjordanie, comme c’est déjà le cas pour la ville de Qalqilia au nord de la West Bank.
Les colonies israéliennes ont été évacuées de la bande de Gaza, mais la Bande reste une énorme prison, complètement coupée
du monde extérieur, quasiment privée de ressources et terrorisée, depuis la terre, la mer et le ciel, par l’armée israélienne.
La question qui préoccupait l’élite politique et militaire d’Israël depuis la confiscation des territoires occupés en 1967, était
de savoir comment garder la plus grande quantité de terre possible avec le plus petit nombre de palestiniens. Le plan Alon du
parti travailliste, qui fut réalisé à Oslo, était de conserver environ 40 % de la Cisjordanie, mais permettre une autonomie aux
palestiniens sur les 60% restants. Dans tous les cas, Barak et Sharon ont anéanti les accords d’Oslo. Le modèle qu’Israël a
construit sous Sharon est un système total de prisons. Les Palestiniens sont emprisonnés dans des enclaves fermées et
verrouillées, totalement contrôlées de l’extérieur par l’armée israélienne, qui pénètre dans ces enclaves comme elle le veut.
Pour autant que je sache, cet emprisonnement d’un peuple entier est un modèle d’occupation sans précédents, et se réalise
avec une vitesse et une efficience épouvantables.
Parallèlement, ce que Sharon a porté à un degré de perfection c’est la fabrique du consensus, en montrant que la guerre peut
toujours être vendue comme une inépuisable recherche de la paix. Il a prouvé qu’Israël peut emprisonner les Palestiniens, les
bombarder du ciel, voler leur terre en Cisjordanie, bloquer toute possibilité de paix, et être encore célébré dans le monde
entier comme le partenaire pacifique du conflit israélo-palestinien.
Sharon s’est maintenant retiré de la vie politique mais cela ne signifie pas qu’il y aura un quelconque changement. L’héritage
de Sharon est encore vif. Il a été préparé depuis plus d’une décennie par l’armée israélienne qui, de fait, est le facteur
dominant de la politique israélienne.
L’armée est le facteur politique le plus stable - et le plus dangereux- d’Israël. Comme l’a déjà affirmé un analyste israélien en
2001, « dans les six dernières années, depuis octobre 2005, il y a déjà eu cinq premiers ministres et six ministres de la
défense, mais seulement deux chefs d’état-major ». [2] L’armée israélienne et le système politique ont toujours été
étroitement intriqués, avec des généraux qui passaient directement de l’armée au gouvernement, mais le statut politique de
l’armée s’est encore renforcé pendant la période de Sharon. Il est manifeste, souvent, que les vraies décisions sont prises par
l’armée plutôt que par les autorités civiles. Des officiers de l’armée tiennent des conférences de presse (dans les médias
israéliens ils prennent au moins la moitié de l’espace d’informations), renseignent et organisent les visites des diplomates
étrangers ; ils partent en missions diplomatiques à l’étranger, établissent des plans politiques pour le gouvernement, et
expriment leurs opinions politiques en toutes occasions.
En contraste avec la stabilité de l’armée, le système politique israélien est dans un processus progressif de désintégration.
Dans un rapport de la Banque Mondiale de 2005, Israël apparaît comme un des états les plus corrompus et les moins
efficients du monde occidental, ne venant qu’après l’Italie dans l’indice de corruption publique, et le dernier dans l’échelle
de la stabilité politique [3]. Sharon a été personnellement associé, avec ses fils, à de graves accusations de corruption qui ne
sont jamais arrivées jusqu’à un tribunal. Le nouveau parti que Sharon a fondé, Kadima, qui est aujourd’hui au gouvernement,
est un agglomérat hiérarchique d’individus sans véritables articulations de parti ni sections locales. Ses lignes directrices,
publiées en novembre 2005, autorisent ses dirigeants à contourner toutes les procédures démocratiques normales pour
l’établissement d’une liste de candidats de parti pour le parlement, sans vote ou approbation d’aucune organisation de parti.
[4]
Le parti travailliste n’a pas été capable d’offrir une alternative. Lors des deux dernières élections israéliennes, le Labor a
élu des colombes comme candidats au poste de premier ministre, Abraham Mitzna en 2003, et Amir Peretzen en 2006. Tous
les deux avaient été salués dès le départ dans un grand enthousiame, mais leur parti et les consultants en communication, et
l’auto censure qu’ils se sont imposée, les ont rapidement faits taire, les poussant à se situer eux même « au centre de la carte
politique ». Du coup, leur programme ne se différencia plus de celui de Sharon. ¨Peretz a même déclaré que sur des questions
de « politique étrangère et de sécurité » il se comporterait exactement comme Sharon, ou Olmert ensuite, et qu’ils ne
divergeaient que sur des questions sociales. Ce faisant, ces candidats ont contribué à convaincre les électeurs israéliens que
la méthode de Sharon était la méthode juste. Pendant ces dernières années, il n’y a jamais eu une opposition de gauche
conséquente à la domination de Sharon et des généraux, puisque après les élections, le parti travailliste entre toujours dans
la coalition de gouvernement, apportant aux généraux l’image de colombes dont ils ont besoin pour leur show international.
Avec l’écroulement du système politique, l’armée demeure l’organisme qui façonne et exécute les politiques israéliennes, et,
comme on l’a vu déjà de façon évidente depuis ces derniers mois où Sharon a quitté son poste, l’armée est déterminée à
conserver son héritage avec le successeur de Sharon, Ehud Olmert. Pour cela, il est essentiel que, quoique fasse Israël, ce
soit présenté comme une concession douloureuse. Et nous sommes, maintenant, évidemment, à l’aube d’un nouveau « plan de
paix » promu par Olmert.
Olmert peut bien avoir signé ce plan de son nom, les droits d’auteur appartiennent à Sharon. Le 2 janvier 206, un peu avant
que Sharon laisse son poste, le journal israélien Ma ‘ariv révéla le plan qu’il comptait présenter pour la Cisjordanie. Le plan
était basé sur le fait que les Etats-Unis reconnaissaient que la Road Map était dans l’impasse, et qu’elle n’avait, de fait,
jamais démarré car (selon la ligne officielle d’Israël) il n’y avait jamais eu de véritable partenaire de paix palestinien. Ceci
se passait déjà avant même les élections qui allaient porter le Hamas au pouvoir ; mais, du point de vue israélien, aucune
direction palestinienne n’a jamais été un partenaire approprié. Sharon soutient que l’Autorité palestinienne sous Abbas
échoua dans ses obligations de combattre le réseau terroriste. En l’absence d’un partenaire approprié, Israël définirait
unilatéralement ses frontières, c’est-à-dire déciderait de son côté combien de terre palestinienne il avait besoin de prendre
et se désengagerait de tout le reste. Selon ce plan, les négociations avec les Usa devraient amener « à la signature d’un
accord avec Washington qui détermine la frontière orientale d’Israël ». L’accord américano-israélien inclura « l’achèvement
rapide de l’enceinte... qui deviendrait une véritable enceinte de frontière ». [5]
Jeu 15 Juin - 23:13 par mihou