Courrier international, no. 814
Asie, jeudi 8 juin 2006, p. 30
Spécial émigrés
INDE
Une nouvelle terre promise pour Occidentaux
Sabith Khan
Little India (New York)
Attirés par la forte croissance du pays et par le boom du secteur des hautes technologies, plusieurs dizaines de milliers d'étrangers se sont installés en Inde. L'exode des cerveaux a donc peut-être enfin changé de sens.
La fuite des cerveaux touche à nouveau l'Inde, mais, cette fois-ci, le flux est inversé. Pendant cinquante ans, les Indiens les plus doués et les plus brillants ont été attirés par le côté glamour de l'Occident. Aujourd'hui, de plus en plus d'Européens et d'Américains se tournent vers le sous-continent. Ils sont nombreux à dénicher des annonces pour des postes à responsabilités dans le secteur en plein essor de l'informatique. Certains sont tombés amoureux de la culture, d'autres du climat, d'autres encore de la nourriture ou de quelqu'un sur place.
La première fois que Sheila O'Hara est venue en Inde, c'était pour les vacances, alors qu'elle était étudiante. Elle travaille aujourd'hui pour Microsoft, comme professeur de langue et de civilisation. "Je ne cherchais pas à venir ici à tout prix. Mais, puisque l'Inde est un pays intéressant pour les gens qui travaillent dans l'informatique, j'ai franchi le pas, raconte-t-elle. Le secteur des technologies est en pleine expansion. Certaines régions se développent rapidement, et il est intéressant d'observer tous ces changements en étant sur place."
Ces derniers temps, ce secteur est celui qui attire le plus les expatriés, mais on en croise aussi dans le tourisme et les médias. La ville de Bangalore est réputée pour être un centre high-tech, ce qui fait d'elle une destination très prisée par les travailleurs étrangers. On estime que 10 000 à 12 000 d'entre eux y vivent et y gagnent actuellement leur vie. "Nous attribuons entre 6 000 et 7 000 permis de séjour par an", indique Jagadeesh Prasad, du bureau des étrangers de la police de Bangalore. "D'année en année, ce chiffre ne cesse d'augmenter : une foule de personnes viennent ici étudier, exercer leur métier ou faire des affaires." Ils viennent de pays comme l'Iran, le Bangladesh, le Sri Lanka, l'Allemagne, la France, etc. Jagadeesh Prasad estime qu'il y avait environ 500 demandeurs d'emploi en 2004. "Les étudiants restent ici s'ils trouvent un travail intéressant, et certains s'installent définitivement. D'autres repartent au bout d'un an ou deux. Aussi, il semble difficile de donner le nombre exact des expatriés vivant à Bangalore depuis longtemps", explique-t-il. "J'ai vu ces dernières années un grand nombre de personnes d'origine indienne revenir vivre ici. Nous recevons chaque année des candidatures. Ils reviennent avec leur conjoint et leurs enfants, ce qui augmente encore le nombre total", ajoute le fonctionnaire.
On pense que, au total, de 20 000 à 30 000 expatriés travaillent dans le pays. C'est un chiffre modeste, comparé aux 100 000 étrangers qui travaillent en Chine et à ceux, encore plus nombreux, qui travaillent à Hong Kong ou à Singapour, les destinations préférées des expatriés en Asie. L'attraction qu'exerce l'Inde est toutefois de plus en plus sensible. Bon nombre de ces étrangers travaillent dans les filiales locales d'une société internationale. Par exemple, M. B. Lee, vice-président sud-coréen du service marketing chez Samsung en Inde, a sous son aile plusieurs Sud-Coréens à des postes de cadres supérieurs. De la même manière, Bob Hoekstra, néerlandais, est PDG de Philips Software-Inde. Au demeurant, de plus en plus d'entreprises choisissent un directeur étranger. Mais c'est en général pour des emplois à des échelons intermédiaires que les expatriés se bousculent, surtout dans le secteur des technologies. L'année dernière, CNN a rapporté que Monster.com India [un site de recrutement en ligne] a recensé 3 000 demandeurs d'emploi étrangers. La société de service informatique Technovate eSolutions, basée à Delhi, se félicite quant à elle que 10 % de ses 700 salariés soient d'origine européenne. Et les deux principaux fabricants de logiciels indiens Infosys et Wipro emploient des centaines d'étrangers. "Travailler avec les Indiens est une expérience enrichissante", considère Eric Rousseau, directeur de l'Alliance française de Bangalore. "Ils ont bien plus le sens de la famille que nous, même au bureau." Et Julie, enseignante à l'Alliance française, ajoute : "En France, l'individu passe avant tout, même dans l'entreprise. Ça n'est pas du tout le cas ici : le groupe est prioritaire." Autre facteur, la plupart des expatriés aiment travailler sans précipitation, comme on le fait en Inde.Outre les arguments culturels, les occasions de trouver un emploi en Inde, et à Bangalore en particulier, se multiplient. Le pays a besoin de professeurs de langues étrangères et de cadres. D'après un chasseur de têtes, les salaires sont généralement compétitifs par rapport à ceux du pays de départ, et une expérience professionnelle en Inde constitue de plus en plus un atout. "Les demandeurs d'emploi étrangers recherchent des salaires comparables à ce qu'ils gagneraient chez eux", explique Manoj Padmanabhan, directeur de la filiale à Bangalore de Naukri.com, le premier portail d'annonces d'emplois dans le pays. Le fait de travailler en Inde leur offre un avantage supplémentaire, une expérience professionnelle à l'étranger. "Les entreprises multinationales délocalisent leur activité en Inde. La plupart des expatriés cherchent la diversité et les défis dans leur travail, c'est pourquoi ils viennent ici."
Jeu 21 Déc - 2:35 par mihou