Lu pour vous dans LIBERATION de ce jour...
Bonne analyse...
LL
Le sondage TNS Sofres peut être un outil efficace contre les discriminations.
Racisme, le bon côté des quotas
Par Francis TERQUEM
QUOTIDIEN : mercredi 28 février 2007
Francis Terquem avocat, fondateur de SOS Racisme, membre des Amis du Cran.
Mon confrère et camarade Patrick Klugman, vice-président de SOS Racisme, a dénoncé l'initiative prise par le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) de publier le «premier sondage ethnique de l'histoire de la République». Il s'agit du baromètre Cran-TNS Sofres sur les discriminations frappant les Noirs de France, qui a permis d'établir, notamment, que 61 % d'entre eux disent avoir été victimes de discriminations au cours des douze derniers mois.
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Patrick Klugman voit dans ce sondage un pas vers une France des quotas. Il dénonce un outil de «discrimination positive ethnique» qui ferait «planer un péril grave sur notre modèle républicain», alors que, dit-il, «si l'égalité doit avoir un sens c'est celui d'être reconnu en tant que Français plutôt que consacré dans son particularisme».
Paradoxalement, la première organisation antiraciste à avoir porté la question des quotas sur la place publique, au cours des années 90, a été SOS Racisme, sous la présidence de Fodé Sylla. C'est d'ailleurs pour montrer le bien-fondé d'une politique des quotas que SOS Racisme a lancé les testings ! Patrick Klugman a raison sur un seul point : l'initiative du Cran a, bel et bien, vocation à remettre en cause le modèle républicain français.
La situation actuelle nous oblige, pourtant, à nous interroger sur la capacité réelle de notre pays à promouvoir les droits et les libertés d'individus qu'il traite comme des abstractions. Le refus de la critique, la censure, revendiquée par Patrick Klugman, de tout travail destiné à décrire et à comprendre la société française, la difficulté historique à combattre le racisme et les discriminations...
Tout cela permet de s'interroger sur la sincérité de la République et sa capacité à adopter une autre vision d'elle-même que celle de la France éternelle, investie d'une mission particulière, à vocation universelle. Faut-il rappeler les propos antisémites tenus en 1936, au Parlement, à l'encontre de Léon Blum c'était pourtant la IIIe République , celle des grandes lois libérales, sur les libertés de la presse, d'association, syndicale... ?
Il ne suffit pas d'avoir la nationalité pour être l'égal des autres, dans notre République. Il est légitime, et pragmatique, de réfléchir, comme le fait le Cran, aux moyens de mesurer les discriminations raciales, et de les réduire. L'action positive, terme moins péjoratif et plus exact que celui de «discrimination positive», est un effort particulier que consent la collectivité pour permettre à ceux qui souffrent de discriminations de vivre aussi bien que les autres.
Elle semble produire des résultats à l'étranger, en matière de parité féminine, qu'il est aventureux de mépriser au regard de ceux affichés par la République française en la matière et il est injurieux de qualifier cette politique d' «arme du racisme». Par ailleurs, il est légitime de prôner la représentation des minorités dans une démocratie, tout comme la multiplication des contre-pouvoirs, des groupes de pression qui n'ont pas attendu le Cran pour exister.
Patrick Klugman conviendra que le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) a permis de faire reconnaître le rôle de l'Etat français dans la déportation des Juifs. De faire cesser les manifestations d'antisémitisme dans la vie publique... Le Crif, comme le Cran, est une chance pour la France.
Pourquoi permettre aux uns ce qui serait interdit aux autres ? Tient-on vraiment à dresser les minorités les unes contres les autres ou à établir des hiérarchies ? Je ne vois rien de choquant à ce que le Cran regroupe des femmes et des hommes qui souhaitent défendre leurs droits. Il les regroupe sur la base de la couleur de leur peau parce qu'ils subissent des discriminations en fonction de celle-ci, discriminations que démontrent le sondage Cran-TNS Sofres, aussi bien que les testings de SOS Racisme. Les Noirs de France veulent faire entendre leur voix, à leur profit, mais aussi au profit de toutes les autres minorités, pour que soit enfin crevé le «plafond de verre» dans notre pays.