Dominique Amigou Mendy (1909-2003), rescapé du camp de concentration de Neuengamme
Le Dr Pierrette Herzberger Fofana rend hommage à Dominique Mendy, qui a perdu la vie il y a deux ans, et qui a survécu au terrible camp de concentration de Neuengamme en Allemagne
Par Pierrette Herzberger-Fofana
" Tirailleurs sénégalais "
" Vous, mes frères obscurs, personne ne vous nomme
On vous promet 500 000 de vos enfants à la gloire des futures
Morts, on les remercie d'avance, futurs morts obscurs
Die schwarze Schande ! "
(Léopold Sédar Senghor. Hosties noires " Morts pour la République
Nous rendons hommage à ces oubliés de l'Histoire au moment où toutes les chaînes de télévision en Europe récapitulent depuis le début du mois d'avril les grands moments de la débâcle de 1939-945.
In Memoriam
Dominique Amigou Mendy est né le 4 août 1909 à Ziguinchor (Sénégal). Il s'est endormi dans le Seigneur, muni du viatique, les derniers sacrements de l'église catholique, le 24 juin 2003 à Dakar ; entouré de l'affection de son épouse, Mme Marie Touré-Mendy, fée du logis et compagne attentionnée, qui l'a assisté jusqu'au dernier moment. Les obsèques ont eu lieu en la paroisse de St Pierre de Baobabs à Dakar, le 30 juin 2003. Dominique Mendy fut sous-lieutenant des Forces Françaises Libres durant la seconde guerre mondiale. Détenu à Neuengamme en Allemagne, il y restera un an et demi. Le 7 avril 1945 lors de libération du camp, Dominique Mendy est sauvé par la Croix Rouge Danoise qui l'emmène par bateau à Copenhague. Il est soigné et envoyé en France. De là, il regagne sa patrie, le Sénégal.
Dominique Mendy a exercé son métier jusqu'en 1980 à titre de photographe particulier du Président Léopold Sédar Senghor. Le 4 novembre 1982, La France l'a décoré chevalier de la Légion d'honneur. Le décret fut publié dans le Journal Officiel du 9.9. 1982 : Grade de chevalier
Guerre 1939-1945
Déporté-résistant (1)
Prisonnier des Nazis
Dominique Mendy
Une foule nombreuse était venue rendre hommage à cet homme qui a vécu presque un siècle. Il a connu les grands moments du 20 ème siècle : la période coloniale dans sa Casamance natale, où il cultivait les champs de ses parents.
Plus tard, il se rend dans la capitale, Dakar et il est employé comme mécanicien dans la marine marchande. Engagé volontaire durant la première guerre mondiale, il fait partie du premier contingent des "tirailleurs sénégalais". Il est démobilisé à l'Armistice de 1918 et il retourne dans sa patrie. Quelques années plus tard, il obtient la possibilité d'entreprendre une formation en France pour devenir photographe. Il travaille avec les grands journaux français comme le "Sud-Ouest", et "France-Soir". Il vit en France lorsque la seconde guerre mondiale éclate. En 1940, il répond à l'appel du Général de Gaulle :
"[i La France a perdu une bataille, mais la France n'a pas perdu la guerre (..)
L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.
Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. [...] Voila pourquoi je convie tous les Français, où qu'ils se trouvent, à s'unir à moi dans l'action, dans le sacrifice et dans l'espérance ". ]
(Appel du 18 juin 1940 prononcé sur la BBC par le Général de Gaulle) !
Déporté allemand d'origine camerounaise (dans le documentaire de Serge Bilé)
Dominique Mendy s'engage dans le réseau de résistance de Bordeaux-Loupiac où il travaille comme photographe au service du deuxième bureau, c'est-à-dire aux renseignements généraux. Le réseau militaire de la Résistance le charge d'héberger, de cacher et de convoyer les aviateurs et parachutistes anglais à Bordeaux. En outre, il transporte du matériel de guerre entre la France et l'Angleterre. Les Nazis ne font pas attention à lui, car dans leur simplicité d'esprit, ils ne peuvent pas s'imaginer qu'un Noir puisse accomplir une telle mission. Mendy a juste le temps d'amener le dernier lot de matériel à Oradour, symbole de la douleur nationale française, quand la ville est assiégée par les Allemands. Il évite de justesse la mort.
C'est à Oradour-sur-Glane, ville-martyr, que les Nazis massacrent presque toute la population. Arrivé à Courtrai, trahi par l'un des siens, Dominique Mendy tombe aux mains de la Gestapo (la police secrète de l'état nazi) qui le torture, le soumet à des épreuves avilissantes et brutales. Il est arrêté le 21 avril 1944 et interné au camp de transit de Drancy. Durant des heures, il subit toutes sortes de supplices afin qu'il livre le nom des autres résistants. Mais Dominique est une véritable carpe, pas un mot, pas une dénonciation ne sort de ses lèvres. Des cigarettes incandescentes sont écrasées sur sa poitrine, la main gauche est entièrement abîmée. Jusqu'à sa mort, il portera un gant blanc à la main gauche, car il ne peut plus s'en servir. La Gestapo le condamne à mort. A 3h. du matin, les Nazis simulent son exécution. Ils lui font croire qu'il va être fusillé sur-le-champ ; car à chaque fois que la Gestapo arrête un maquisard, elle fusille 50 personnes prises au gré du vent. Mais Dominique Mendy reste de marbre et ne trahit personne. Devant son refus obstiné, les Nazis décident de le déporter en Allemagne dans un wagon-bestiaux. Un des soldats allemands qui s'est paradoxalement pris d'affection pour lui, le rassure qu'en Allemagne, on l'appellera uniquement par son numéro de matricule mais il ne sera plus torturé. (2)
Le camp de concentration de Neuengamme
Des noirs dans les camps de concentration nazis
© serge-bile.com
Arrivé à Neuengamme, les Nazis séparent Dominique Mendy de ses copains Français. Ces derniers craignant le pire se mettent à pleurer. Les Nazis vivent à l'heure de la ségrégation raciale. Alors commence un interrogatoire sans fin. Dominique joue le naïf et parvient à faire croire au Kapo (surveillant d'un camp nazi) que les Français l'ont raflé à Dakar et embarqué en France ; et puis l'ont abandonné, qu'il n'a pas de profession et qu'il ne sait que piocher la terre et balayer. Il affirme par ailleurs, avoir peur des Blancs, et souhaiterait retourner en Afrique. La main de Dieu veille sur Dominique Mendy, car ironie du sort, ce " Kapo " (surveillant) est né au Cameroun. Il a pitié de lui et l'engage comme domestique pour lui éviter de travailler à l'extérieur où les températures oscillent entre moins 0 et moins 10.
Au camp de concentration, les soldats font preuve de méchanceté inouïe, et un jour ils rouent Mendy de 50 coups sans raison. Ils l'apostrophent en le nommant "Bimbo", terme péjoratif en allemand pour désigner les Noirs. Cependant, le commandant et son épouse le prennent en amitié. Cette dernière lui apporte parfois une pomme ou une poire qu'il partage avec dix autres compagnons. Les S.S. prennent Dominique Mendy pour un demeuré mental, surtout lorsqu'il se propose d'aller au peloton d'exécution à la place d'un père de famille juif. Dominique Mendy en supportant avec humour les humiliations des SS, a pu parfois obtenir de minimes faveurs comme par exemple un morceau de savon pour "nettoyer sa peau noire".
"Les SS me taquinaient en me demandant pourquoi tu es noir, je leur répondais. Je suis Noir. C'est parce qu'il n'y a pas de savon ici pour se laver. Alors, il me donnait un morceau de savon " (2).
Grâce à son travail de planton, il peut soutirer un croûton de pain qu'il partage toujours avec ses co-détenus. Il a ainsi sauvé la vie à ses compagnons français. Les officiers allemands lui laissaient voir toutes les atrocités du camp, pensant qu'il ne comprenait rien. C'est ainsi qu'il vit comment les bébés, les enfants et leurs mères étaient tués à l'arrivée. Seuls les hommes étaient épargnés, sauf ceux qui étaient dirigés vers des "blocs spéciaux" pour servir de cobayes. Mendy fait probablement allusion aux 20 enfants juifs âgés de 5 à 12 ans (10 filles et 10 garçons) qui ont été déportés d'Auschwitz et qui servaient aux expériences pseudo-médicales du Dr. Heissmeyer. Ces enfants, " Les enfants de Bullenhuser Damm " furent pendus dans la cave de l'école Bullenhuser Damm à Hambourg la nuit du 20 avril 1945. Leurs corps furent calcinés le lendemain dans les fours crématoires de Neuengamme, le 21 avril 1945 ainsi que les 2 médecins français et les infirmières polonaises qui les accompagnaient. (3)
Dominique Mendy compare son séjour à Neuengamme à celui des esclaves Africains qui ont été capturés du 15e au 18e siècle, à Gorée, île située à 3 kms de Dakar (Sénégal). Tout comme les esclaves subissaient toutes sortes d'humiliations et de violences : bastonnades, coups de pied et manque de nourriture ; pour les déportés Africains, ces mêmes violences physiques et morales étaient à l'ordre du jour au camp de concentration.
Dans le même camp se trouvait un autre Sénégalais, Sidi Camara, né le 3 mars 1902 à St Louis-du Sénégal, déporté le 24 mai 1944 soit à la même date que son compatriote, numéro de matricule 31810. Les deux Sénégalais s'encourageaient mutuellement en parlant leur langue maternelle, le wolof, et en se confiant à Dieu. Les expressions comme "muñel, Yalla am na" (Prends patience, Dieu est grand !) revenaient sans cesse dans leurs conversations.
Tout comme John William, lors d'un entretien nous a affirmé avoir puisé dans sa foi le courage pour surmonter cette épreuve ; les deux Sénégalais en se référant aux valeurs ancestrales de leur terroir, (l'honneur le " jom " et la dignité,le " fadaay ", le " muñ ", la patience et la " kersa ", le sens de la retenue) ont pu survivre dans cet enfer. Vers la fin de la guerre, les prisonniers Français et ceux d'origine africaine furent transférés à pied à Lubeck. Les détenus étaient tués et enterrés sur place quand ils étaient exténués.
"Le voyage fut terrible. Un de mes copains tomba et je voulus le porter. Il me dit de le laisser que si je l'aidais, il m'arriverait la même chose que lui et il ajouta qu'il fallait regarder la distance que l'on avait parcourue depuis Neuengamme et se souvenir qu'il était enterré ici. (2)"
Beaucoup de ses camarades sont morts lors de ces convois ou Marches de la Mort pour diverses raisons, entre autre pour avoir bu une eau mélangée à des excréments.
Combattant africain
© senegalaisement.com
L'auteur de ces lignes s'est rendue à Neuengamme. Elle a pu vérifier toutes les données mentionnées ci-dessous. Le camp est situé en rase campagne et un vent glacial souffle sans arrêt. Pour les prisonniers cela signifiait une mort certaine puisqu'ils n'étaient pas vêtus en conséquence. Le nom de Dominique Mendy y est mentionné dans les archives avec sa date d'arrivée, 24 mai 1944 et son numéro de matricule : 32090 ainsi que celui d'autres détenus noirs. Le chanteur Franco-Ivoirien Ernest Armand Huss alias John William numéro de matricule 31 130, (4) l'Antillais Isidore Alpha numéro de matricule 32108 et Sidi Camara numéro de matricule 31810. Tous ces détenus sont arrivés le même jour, le 24 mai de Compiègne. L'Antillais Paul Pintard, a été déporté le 7 juin 1944 à Neuengamme, numéro de matricule 34333. Par contre Doudou Diallo et le Gambien Coco Samba Nje (Ndiaye ? Njaay ?) dont parle Dominique Mendy dans l'émission de télévision " Témoins de notre Temps " ne sont pas mentionnés dans les archives de Neuengamme. Le Martiniquais Ambroise Bilan, a été déporté le 31. 7.1944. (5) A part sa date d'arrivée au camp, Neuengamme ne possède aucun autre renseignement sur lui. Son numéro de matricule est inconnu aux archives. Il serait décédé au camp quelques jours avant la Libération.
Peu de temps avant la fin du conflit mondial, Sidi Camara, né le 3 mars 1902 à Saint-Louis-du Sénégal fut transféré au camp de concentration de Bergen-Belsen. D'après la liste des Déportés Français établie le 20 avril 1945 que nous avons consultée, son nom était inscrit sur la liste des détenus du comité du camp qui devaient être libérés. Camara est décédé peu après, soit entre le 21 avril 1945 et le 4 mai 1945, au moment de la libération du camp. Selon l'archiviste du Mémorial de Bergen-Belsen, Sidi Camara a été enterré dans une fosse commune à Bergen-Belsen peu avant la Libération.