Par Laurie Duguay
Rien n’est plus dangereux que des empires qui défendent leurs seuls intérêts en s’imaginant qu’ils rendent ainsi service à l’humanité tout entière.
Eric Hobsbawn
La fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle ont été marqué par des événements qui structureront les relations internationales des prochaines décennies. Parmi ces faits historiques, nous notons la dislocation de l’Union soviétique en 1991, l’élection controversée de George W. Bush à la présidence américaine en 2000 et les attaques terroristes du 11 septembre 2001. Les symboles-clés des États-Unis, soit le World Trade Center évoquant la force économique étasunienne et le Pentagone, les forces armées, sont gravement touchés. Les Étasuniens sont humiliés. Ces événements sonnent la naissance d’une campagne guerrière américaine au Moyen-Orient pour détruire les cellules terroristes. Cette guerre est qualifiée d’illégitime par plusieurs qui dénoncent l’unilatéralisme de Washington; les Nations Unies et plusieurs pays, dont la France et l’Allemagne, n’ont pas donné leur aval à l’intervention armée.
Ainsi, l’invasion américaine de l’Irak en 2003 est-elle une aventure impérialiste au Moyen-Orient? Quelles sont les forces internes qui ont poussé Bush et son équipe à utiliser la force militaire en Irak sans respecter le droit international ni l’opinion de la communauté internationale? Pourquoi vouloir outrepasser le processus démocratique à ce point?
Les États-Unis forment la seule superpuissance militaire mondiale. La place que ce pays occupe dans les relations internationales est importante. Ce pays peut arriver à stabiliser ou déstabiliser totalement une situation internationale. C’est aussi pourquoi plusieurs s’intéressent particulièrement aux forces internes influençant les décisions du gouvernement : les conséquences géopolitiques s’ensuivent rapibid.ent.
Après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, le gouvernement américain suit une doctrine spécifique communément baptisée la « Doctrine Bush ». La guerre préventive entre dans ce cadre de la sécurité nationale étasunienne. Cette guerre est discrétionnaire. Elle menace tous ceux qui osent aller à l’encontre des intérêts américains : les terroristes.
Le concept d’impérialisme est aujourd’hui utilisé à toutes les sauces. Plusieurs médias emploient ce mot sans même être conscients du cadre théorique que porte ce terme. La connotation négative que l’on colle à ce terme a déclenché une utilisation excessive du concept d’impérialisme, surtout par les médias de gauche où le sentiment antiaméricain est élevé.
Il est assez évident que l’invasion américaine en Irak, à la base, a eu des ambitions impériales. Le gouvernement américain a voulu s’imposer sur le territoire irakien et y exercer une influence dans la région. Ces ambitions étaient économiques, politiques, militaires et idéologiques. Elles ont été appuyées et aussi initiées par plusieurs groupes de pression à l’intérieur de la société américaine dont les néoconservateurs. Bien que les États-Unis aient prétendu pouvoir dominer le pays dans les quatre domaines nommés ci-haut, la guerre n’a pas été aussi facile qu’escomptée et « l’empire » de Bush n’a réussi qu’à s’y imposer militairement. Par conséquent, l’invasion de l’Irak en 2003 a été un échec de l’impérialisme américain et c’est pourquoi certains auteurs avancent l’hypothèse du déclin de l’empire et/ou de l’hégémonie étasunienne.
Nous aborderons, dans un premier temps, un bref historique de l’impérialisme depuis le XIXe siècle. Par la suite, nous analyserons les quatre principales forces impériales sous l’angle de l’idéologie et de la politique de la « Doctrine Bush », des forces économiques dominantes aux États-Unis et de la puissance armée. Ensuite, nous traiterons des questions impériales, néo-impérialistes et hégémoniques. L’exemple de l’Irak sera traité dans les différentes parties de l’analyse.
BREF HISTORIQUE DE L’IMPÉRIALISME
L’impérialisme du XIXe siècle et celui de notre époque sont à distinguer et c’est pourquoi nous le baptisons dorénavant le néo-impérialisme. Michael Mann avance une définition traditionnelle du concept d’empire, soit « des systèmes politiques centralisés établis par la violence et maintenus par une contrainte systématique par laquelle un acteur central domine des sociétés en périphérie, sert d’intermédiaire pour leurs principales relations et dirige les ressources en provenance des sociétés périphériques et entre celles-ci ». Son explication de l’impérialisme fait ressortir les relations centre-périphérie où il existe des différences substantielles entre les deux pôles.
L’impérialisme au XIXe siècle
À partir de 1875, et ce, jusqu’en 1914, le nombre de dirigeants se donnant le titre « d’empereur » s’est multiplié mais les plus grands empires sont formés par la France et l’Angleterre. Le monde connaissait alors un nouveau type d’impérialisme : les empires coloniaux. C’était la course à la conquête des plus grands territoires aux plus grandes richesses. La création des empires coloniaux revêt plusieurs dimensions. D’abord, au niveau économique, les empires coloniaux deviennent une nécessité pour le développement d’un pays capitaliste et c’est pourquoi les impérialistes s’arrachent les marchés. En effet, ces États occidentaux dépendent de l’approvisionnement en matières premières pour assurer des progrès économiques et techniques. Cette expansion impérialiste est caractérisée par des rivalités entre les pays. La récession des années 1880 les pousse à agrandir davantage leur territoire. Le monde entre donc dans une nouvelle phase du capitalisme débouchant sur des inégalités économiques basées sur des relations de domination : « les colonies, les semi-colonies et les sphères d’influence ». Il y a aussi la dimension culturelle et politique de cet impérialisme : « l’impérialisme social » est basé sur l’idéologie de la supériorité des Blancs sur les peuples de couleur et redonner la fierté patriotique à la population de l’empire en leur offrant des gloires. Ainsi, il ne faut surtout pas tomber dans l’erreur des socialistes, selon Eric Hobsbawn, qui abordent seulement les motivations économiques tandis qu’elles sont nombreuses : politique, culturelle, idéologique, raciale patriotique, nationale, internationale et, bien sûr, économique.
La période de l’après Seconde Guerre mondiale
La période de l’après Seconde Guerre mondiale signe une nouvelle ère internationale. Les États-Unis sont sortis gagnants et plus puissants que jamais de ce conflit mondial. C’est l’instauration de la Pax Americana. Ils ont utilisé leur puissance et leur influence pour imposer un système universel basé sur les principes libéraux traditionnels. Ils veulent augmenter la libéralisation des échanges et amener un système monétaire stable pour ainsi respecter leurs intérêts politiques et économiques. Les autres pays ont aussi avantages à coopérer avec l’Hégémon pour leur développement économique et assurer leur sécurité. Le nouvel hégémon, que forment les États-Unis, érige donc un nouvel ordre libéral mondial débuté sous la présidence de Roosevelt.
Les organisations internationales deviennent un aspect primordial dans la politique américaine pour la réalisation de leurs objectifs et c’est donc pourquoi les États-Unis s’assurent aussi de diriger le plus possible les institutions qui se créent. Au niveau politique, avec un soutien important des États-Unis, on construit l’Organisation des Nations Unies, avec un Conseil de sécurité où les États-Unis possèdent un droit de veto, ainsi que des institutions sous sa gouvernance. Économiquement, on conclue les accords de Bretton Woods en 1944 ce qui a débouché par la mise en place des institutions économiques internationales qui axent leurs politiques sur le libre-échange entre tous les États, des taux de change fixes et sur la convertibilité en or des monnaies nationales. De plus, l’économie mondiale devient basée sur le dollar. Parmi les institutions internationales créées, nous comptons, entre autre, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement, qui deviendra éventuellement la Banque mondiale, et l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce (GATT). Ces institutions doivent promouvoir le multilatéralisme de l’économie mondiale et sont basées sur des principes de collaboration internationale pour assurer la paix et la sécurité. Ces fondements sont intégrés dans la Charte de l’Atlantique, signée en 1941, qui prévoit une vision de l’après guerre basée sur les points suivants : pas de gains territoriaux, droit à l’autodétermination des peuples, réduction des barrières commerciales, coopération économique globale, liberté des mers et désarmement des États agresseurs. La construction d’une sécurité internationale se fait par le biais du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. De plus, la montée des antagonismes entre l’idéologie du socialisme et le capitalisme amènent les États-Unis à investir dans les économies détruites que forment le Japon et les pays d’Europe de l’Ouest. L’Europe de l’Ouest forme un territoire stratégique pour la protection de la sécurité américaine : les États-Unis craignent une influence grandissante du communisme soviétique dans la région. On met sur pied le Plan Marshall et les États-Unis investissent énormément d’argent pour sa création (1,5% de son produit national brut). Dans la même veine, la formation du Marché commun européen est grandement supportée par les États-Unis bien que ce dernier aille à l’encontre même du « one world » et du principe de non-discrimination, mais l’administration américaine y voit un intérêt sécuritaire. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) est aussi une alliance multilatérale importante dirigée par les États-Unis. Du côté japonais, une entente est conclue entre les deux gouvernements : le traité de sécurité mutuelle qui permet aux États-Unis de protéger leurs intérêts dans la région asiatique. On crée aussi l’Agence internationale pour l’énergie (AIE) qui est une organisation qui dépend du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les États-Unis ont ainsi réussis à atteindre un niveau d’expansion et d’influence au niveau mondial encore inégalé. De plus, comme nous venons de le décrire, ils exercent une influence dans la plupart des institutions internationales et, par conséquent, contribuent à maintenir un ordre mondial où ils assurent leur hégémonie.
Dim 7 Jan - 19:15 par Tite Prout