Michael Mann (2005). « Impérialisme américain : des réalités passées aux prétextes présents », Études internationales, vol. XXXVI, n.4 : 445-467.Résumé de Laurie Duguay
Dans la conjoncture actuelle du système international contemporain, le néo-impérialisme prôné par l’administration Bush fils sera un échec. Michael Mann prévoit cet échec en affirmant qu’un réel empire doit se baser sur 4 types de pouvoirs pour porter l’étiquette impériale, soit le pouvoir idéologique, économique, militaire et politique. Les États-Unis n’exercent actuellement que le pouvoir militaire; l’imposition de leur puissance dans les autres secteurs ayant échouée. De plus, le contexte international contemporain, caractérisé par une ère de développement des États-nations, ne se prête plus, selon lui, à des puissances étatiques ayant des ambitions impériales.
Le texte de Michael Mann tente de démontrer ce qu’est l’impérialisme et amène certains déterminants à ce concept pour ensuite pouvoir situer les ambitions impérialistes des États-Unis dans le contexte international actuel. Quelles étapes du pouvoir impérial ont-ils franchi à ce jour ? À quoi doit-on s’attendre demain à ce sujet ?
Michael Mann explique certains concepts utiles pour comprendre, d’abord, ce qu’est un empire, et, par la suite, les types de pouvoir que peuvent utiliser les empires pour s’imposer.
Je prendrai la définition intégrale de l’auteur pour sa définition d’empire. Ce sont « des systèmes politiques centralisés établis par la violence et maintenus par une contrainte systématique par laquelle un acteur central domine des sociétés en périphérie, sert d’intermédiaire pour leurs principales relations et dirige les ressources en provenance des sociétés périphériques et entre celles-ci ».
Il distingue 4 sous-catégories d’empire.
En premier lieu, il y a l’empire direct où l’on utilise le moyen militaire pour annexer le système politique du territoire concerné.
L’empire indirect est la pratique de l’exercice du pouvoir par l’empire, mais où l’État périphérique exerce une grande autonomie.
Le troisième type d’empire est l’empire informel où l’État périphérique est souverain, mais son autonomie est grandement limitée par l’État central.
Le quatrième type ne fait pas partie des sous-catégories d’empire, mais reste un type de domination important. C’est l’hégémonie où l’État central exerce un pouvoir sur les États périphériques, mais cette influence est légitimement acceptée.
Dans la même veine, Michael Mann distingue 2 catégories de système économique pour 2 types de contrôle distinct.
D’une part, il y a l’impérialisme territorial qui vise le contrôle du territoire pour exploiter les ressources économiques de ou des États périphériques.
D’autre part, l’impérialisme de marché va plutôt utiliser la violence pour imposer des règles économiques avantageuses pour l’État central.
Avant toute analyse des étapes de l’impérialisme américain actuel, l’auteur dresse un bref portrait historique de l’empire américain de la fin du 19ième siècle à nos jours.
À priori, les États-Unis ont pratiqué un impérialisme territorial et direct envers les peuples autochtones, et ce, jusqu’à la fin du 19ième siècle. Les Étasuniens n’ont pas eus d’ambitions impérialistes à l’international au début des années 1900. Les ambitions coloniales ont été abandonnées suite à la mauvaise expérience aux Philippines. Un impérialisme de plus en plus informel s’impose de connivence avec un impérialisme de marché. C’est le début de l’empire du dollar. Au début du 20ième siècle, les États-Unis commencent à intervenir militairement si le régime en place n’est pas pro-américain. À partir des années 30, une politique de non-intervention est suivie. On accorde de l’aide seulement aux gouvernements jugés responsables. L’auteur amène une phrase qui décrit bien la vision américaine. En parlant du dictateur Somoza au Nicaragua, il dit : « C’est peut-être un fils de pute, mais c’est notre fils de pute ». C’est toujours l’impérialisme informel et de marché qui prévaut pendant cette période.
Parallèlement, pendant cette même période, la Grande-Bretagne et la France sont en déclin. La présence américaine est partout sauf en U.R.S.S. et en Chine. Ce n’est pas seulement les États-Unis qui voulaient s’imposer, c’est aussi les autres États « périphériques » qui veulent s’intégrer au « monde libre ».
L’auteur trace ainsi des zones géopolitiques du monde libre : ces zones sont divisées entre l’Ouest, l’est et le Sud-Est asiatique ainsi que les pays du Tiers Monde..
Après les deux Guerres mondiales, les moyens pour exercer une contrainte économique globale change. On institue des organisations économiques internationales telles que le GATT, l’ONU, le FMI, etc. On impose des politiques telles que les PAS. Selon Michael Mann, on voulait « redistribuer la main-d’œuvre en capital et le capital local en capital étranger ».
Ainsi, les États-Unis sont passés d’un impérialisme territorial au 19ième siècle et début 20ième siècle à un impérialisme de marché, de empire à hégémonie.
Le contexte international après l’effondrement soviétique donne encore plus de place à l’hégémonie américaine.
La Guerre froide aura amené certaines conséquences.
D’abord, les États-Unis continueront d’apporter leur aide dans les pays du Tiers Monde et ce, avec les forces armées ou pas, de façon directe ou non.
Deuxièmement, le pétrole est une ressource indispensable pour les Occidentaux. Pendant la Guerre froide, les États-Unis se sont assurés de créer un alignement géostratégique car l’on craignait que l’Union soviétique accède au Golfe persique et empêche l’approvisionnement américain en pétrole.
En troisième lieu, les dépenses militaires américaines ont diminué et ensuite réaugmentées avec Bush fils au pouvoir.
Trois (3) lacunes ont été constatées dans les forces armées américaines. De un, la faiblesse américaine face à une menace de prolifération nucléaire, chimique ou bactériologique. De 2, vu une technologie militaire avancée, les forces armées américaines souffrent d’un manque d’infanterie. Et, finalement, les troupes installées dans les divers pays sont déséquilibrés : il y a trop de bases militaires en Europe et en Asie par rapport à l’Afrique et au Moyen-Orient.
Les États-Unis s’allient avec l’Europe de l’Ouest le Japon pour imposer un pouvoir institutionnel international représenté par l’ONU, le FMI, l’OMC, le G7, etc.
Avec l’arrivée au pouvoir de Bush fils, l’on commence à parler de néo-impérialisme. L’équipe de Bush est alors entouré de néoconservateurs qui ont construit le « Project for the New American » qui stipule que les États-Unis doivent avoir recours à leur puissance militaire, que les intérêts étasuniens doivent être sécurisés et que l’on doit s’assurer de l’accès aux réserves de pétrole.
Michael Mann démontre bien, avec deux citations distinctes, le changement dans la politique étrangère américaine.
Il écrit, auparavant, nous, en parlant des États-Unis, agissions de façon « multilatéral si nous le pouvions et unilatéral si nous le devions ». Sous Bush fils, on agit de façon « unilatéral tout le temps et multilatéral si le reste du monde souhaite nous suivre ».
Le principal obstacle que l’administration Bush a du affronter est celui de convaincre le public d’avoir une politique étrangère ouvertement plus agressive. Les événements du 11 septembre s’en sont occupés.
L’intervention américaine en Irak devait ressembler à un impérialisme direct temporaire : on voulait étendre les intérêts et valeurs américaines et le militaire était le moyen pour s’imposer. Finalement, la situation n’a pas été si facile. Les plans prévus par l’administration n’ont pas tenus la route et le néo-impérialisme américain a lors connu une cuisante défaite car aucun alliés n’étaient sur le terrain ce qui a résulté par une augmentation de l’utilisation des forces armées et, par conséquent, un manque encore plus flagrant de collaboration des Irakiens et un cercle vicieux est enclenché.
Les États-Unis ont donc échoué à imposer un impérialisme territorial. De plus, ils voulaient l’imposition de certaines normes néolibérales qui ont été refusées par le gouvernement mis en place par les États-Unis.
L’exploitation pétrolière a aussi été un échec. Les objectifs fixés n’ont toujours pas été atteints et cela est en partie causé par l’utilisation de moyens de plus en plus sophistiqués dans les attaques irakiennes des installations pétrolières.
De plus, l’assimilation culturelle est aussi une cuisante défaite. Les États-Unis sont maintenant sur une terre étrangère et hostile.
L’invasion américaine en Irak a aussi des conséquences sur leur influence contre la Corée du Nord et l’Iran qui ont un terrain un peu plus libre pour leurs ambitions nucléaires.
Ce que les États-Unis auront gagné, ce sont des bases militaires en Irak. Ces bases referment le cercle stratégique du réseau pétrolier dans la région.
Donc, le nouvel impérialisme sera (ou est) un échec. Cela est du à l’incohérence des actions américaines. Selon l’auteur, le contexte international contemporain vit une ère des États-nations où une domination impériale n’a pas sa place. La solution, selon Michael Mann, est, dans le cas américain, de se lier d’amitié avec ceux qui possède du pétrole et laissez les forces du marché agir.
Donc, Mann avance que nous nous trompons tous au sujet de l’hyperpuissance américaine car les États-Unis forment un « empire incohérent ». Ils prétendent dominer le monde, mais ne possèdent pas les moyens de le faire. Donc, l’Amérique impériale est un leurre et leur interventionnisme à l’international ne fait que rendre le monde plus dangereux encore. L’Irak exprime caricaturalement cette contradiction entre les ambitions américaines et les moyens de leurs ambitions. D’un côté, l’on veut reconstruire un pays suivant les critères américain et, de l’autre, on est incapable d’instaurer un pais et de garantir la sécurité de ses alliés locaux et même de leurs soldats. L’imposition d’une pax americana est actuellement une tâche ardue pour les Américains.
Pour Mann, l’impérialisme américain est un échec ou le sera.