L’impérialisme juridique des Etats-Unis en matière de gouvernance d’entreprise
Publié le 27/05/07 |
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Le 30 juillet 2002, le Sarbanes Oxley Act (SOX), réforme majeure de la
gouvernance d’entreprise aux Etats-Unis, est promulgué par le Président
Bush. Il fait suite aux retentissants scandales Enron et Worldcom, qui
avaient soulevé, entre autres, la question de l’indépendance des
commissaires aux comptes et le problème de la responsabilité des
dirigeants sociaux.
Les principales mesures qu’il impose sont :
la création d’un organe de surveillance des sociétés d’audit (Le Public
Companies Accounting Oversight Board), l’exigence renforcée
d’indépendance des membres du comité d’audit (l’équivalent du conseil
de surveillance), l’amélioration de la transparence de la direction de
l’entreprise par la publication de rapports internes, l’interdiction
faite aux sociétés d’audit de prendre part, d’une manière ou d’une
autre, à l’activité de l’entreprise qu’elle contrôle (séparation des
missions d’audit et de conseil).
Que l’on ne s’y
trompe pas : le SOX est avant tout le fruit d’une indéniable volonté
d’améliorer le fonctionnement de la gouvernance d’entreprise en vue
d’une meilleure protection des investisseurs. A cet égard, il est
opposable à tous les émetteurs de titre, qu’ils soient américains ou
étrangers (Ces derniers avaient, en principe, jusqu’au 31.07.2005 pour
le transposer). A l’aune de cette extraterritorialité du SOX, de
véritables enjeux de puissance se profilent.
Afin de mieux
saisir la portée du SOX, il convient, au préalable, de restituer le
contexte dans lequel il s’incorpore : il participe, de fait, à une
évolution de fond de la Corporate Governance en faveur du modèle
anglo-saxon.
Deux modèles de gouvernance d’entreprise sont
traditionnellement opposés : Le modèle Anglo-Saxon, qui s’attache
essentiellement à défendre les actionnaires au sein de l’entreprise
(modèle « shareholder »), et le modèle d’Europe continentale (modèle «
stakeholder »), qui cherche à concilier les intérêts des différents
groupes qui participent à la vie de l’entreprise (actionnaires,
employés, syndicats, créanciers, Etat…).
Cette distinction
fondamentale s’explique essentiellement par le choix de modes de
financement de l’entreprise distincts: les marchés boursiers pour les
entreprises anglo-saxonnes ; les établissements financiers (banques,
assurances), voire l’Etat, pour les sociétés européennes.
Principale
conséquence de ces divergences : les agents régulateurs varient selon
le modèle. Dans les pays anglo-saxons, où le financement par les
marchés domine, ce sont les autorités régulatrices de ces mêmes marchés
(la Security Exchange Commission aux Etats-Unis), garantes de la
protection des investisseurs, qui, avec l’appui du législateur pour les
grandes réformes, édictent et font respecter les règles à observer en
matière de gouvernance d’entreprise. En Europe continentale, où
différents intérêts coexistent, c’est au législateur que revient cette
charge, par la production d’un droit des sociétés codifié. On oppose
ainsi la gouvernance d’entreprise par le droit des marchés financiers,
tournée vers les exigences du marché, et la gouvernance d’entreprise
par le droit des sociétés, à l’écoute de l’ensemble des parties
prenantes de l’entreprise.
L’explosion des marchés de
capitaux à travers le monde a logiquement favorisé l’expansion du
modèle anglo-saxon, la classe des actionnaires prenant une place
dominante dans le processus de décision. Il s’agit de rendre les
marchés de capitaux les plus attractifs possible en assurant une
protection maximale des investisseurs.
La mondialisation a
contribué à amplifier ce phénomène dans la mesure où de plus en plus
d’entreprises européennes se sont inscrites dans des bourses
Anglo-saxonnes pour lever des fonds, et que toujours plus
d’investisseurs étrangers se positionnent sur les marchés financiers
européens. C’est dans ce contexte que les fonds de pension américains
ont pris toute leur importance : disposant d’une puissance financière
importante, ils influencent le législateur aussi bien directement - en
faisant pression sur celui-ci - qu’indirectement, le législateur étant
conscient de l’importance de l’élaboration de règles favorables aux
investisseurs étrangers.
De fait, l’extraterritorialité des
règles édictées par la SEC qui découle de ce processus de globalisation
n’a rien d’un phénomène nouveau. Depuis sa création en 1933, la SEC a
toujours eu vocation à établir des normes applicables à tout
investisseur, qu’il soit américain ou étranger. L’objectif principal de
la SEC est de protéger les investisseurs américains. Bien entendu,
c’est également le but du SOX, qui a considérablement renforcé ses
compétences. C’est l’internationalisation des marchés de capitaux,
corollaire de la mondialisation, qui contribue à amplifier la portée de
ces règles, le nombre d’acteurs susceptibles de tomber sous leur coup
s’étant considérablement accru.
La puissance du marché
boursier sur lequel elles reposent et dont elles se nourrissent permet
aux règles de la gouvernance d’entreprise américaines d’avoir un
rayonnement mondial. En effet, le génie du modèle de Corporate
Governance américain est de s’être construit sur une base solide qui
favorise tant son perfectionnement (en étant perpétuellement à l’écoute
du marché), que son expansion. Le marché boursier américain reste, en
effet, le plus attractif (il représente plus de la moitié de la
capitalisation boursière mondiale) et peut se permettre, par le biais
de la SEC, d’édicter des normes applicables dans le monde entier afin
de protéger les investisseurs américains.
D’une certaine manière,
les Etats-Unis sont à la fois juge et partie, ils sont et font le
marché. C’est le premier enseignement à tirer du SOX.
Au-delà
de la contestation du principe même d’extraterritorialité, il convient
de voir quelles sont, concrètement, les mesures du SOX les plus
contraignantes pour les entreprises européennes. Deux règles retiennent
particulièrement l’attention des émetteurs européens: les sections 102
et 404 du SOX.
La section 102 instaure la création du Public
Companies Accounting Oversight Board, organisation privée à but non
lucratif qui a pour compétence d’établir si une société d’audit -
qu’elle soit américaine ou étrangère - est habilitée à contrôler les
sociétés cotées sur le marché boursier américain. Dans sa fonction de
contrôle des entreprises d’audit, le PCAOB produit des normes qui ont
une vocation extraterritoriale. Il est ainsi à craindre que les
standards comptables américains et les sociétés d’audit américaines,
déjà en position de force, pérennisent leur domination. Lorsque l’on
connaît le caractère stratégique du métier de commissaire aux comptes
(l’auditeur a effectivement accès aux mouvements de fonds de
l’entreprise qu’il contrôle, ces derniers révélant souvent une partie
sa stratégie), on comprend mieux en quoi le SOX peut satisfaire la
volonté de puissance des Etats-Unis.