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 Décision iranienne d'utiliser l'Euro dans ses échanges

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Tite Prout
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Tite Prout


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06012007
MessageDécision iranienne d'utiliser l'Euro dans ses échanges

Economie et pouvoir financier
Vingt centimes : la décision iranienne de passer à l'Euro dans ses échanges implique la fin du dollar et de l'hégémonie usaméricaine

L'arbre irakien nous cache la forêt du Moyen-Orient, du Liban jusqu'à l'Iran et au-delà. Surtout en ce moment, où l'exécution de Saddam Hussein joue le rôle de divertissement de masses et de prétexte à littérature. Lorsque le Groupe d'Etudes sur l'Irak (GEI) a rendu public son rapport, tout le monde se voyait déjà fêter le retrait des troupes d'occupation de l'Irak. Mais il ne s'est rien passé [1], et il ne se passe toujours rien, tandis que Bush rassemble sa suite dans son ranch et décide de se donner encore du temps pour « reconduire le cap donné à la guerre ». Temps qui, comme par hasard, se mesure à la même unité que celui que la nouvelle Résolution du Conseil de Sécurité de l'ONU accorde à l'Iran pour mettre fin à son programme nucléaire [2]. Et dans les deux situations, un même fil conducteur : le pétrole.


Alberto Cruz

Traduit par Maria Poumier et révisé par Fausto Giudice


Vingt centimes : la décision iranienne de passer à l'Euro dans ses échanges implique la fin du dollar et de l'hégémonie usaméricaine
Le GEI fait 79 propositions au gouvernement de Bush, mais il faut en souligner trois qui révèlent la raison principale de l’invasion de l’Irak. Il s’agit des numéros 28, 62 et 63, et elles ont un même dénominateur commun : la privatisation du pétrole. En Irak on assiste à une augmentation progressive de la production, modeste mais soutenue, d’un mois sur l’autre. La stratégie énergétique de Washington suppose qu’à la mi-2007 l’Irak aura atteint 2, 8 millions de barils par jour (nous en sommes presque à 2, 1) ce qui garantira un argument de poids au sein de l’OPEP pour faire baisser le prix du baril aux environs de $30. Il faut tenir compte du fait que l’Irak n’est pas tenu aux engagements de l’OPEP pour réajuster les prix selon l’évolution du marché.

En ce moment, le prix s’est stabilisé à $61, après avoir atteint les $74 pendant la guerre d’Israël contre le Liban, pendant l’été 2006, après la décision de l’OPEP, sur l’initiative du Vénézuéla, de restreindre la production pour empêcher les prix de continuer à descendre. Il faut ajouter à cela l’entrée récente de l’Angola dans l’OPEP, à l’occasion de la rencontre qui s’est tenue au Nigeria le 14 décembre dernier. Apparemment, ce fait n’a guère de signification, si ce n’est pour les USA qui voient augmenter leur dépendance immédiate du cartel pétrolier. Le Financial Times l’a reflété à la perfection : « avec l’entrée de l’Angola dans l’OPEP, les USA ont accru leur niveau de dépendance , revenant à ce qu’il était il y a 15 ans » [3]. Selon ce journal, l’entrée de l’Angola implique que l’OPEP contrôle désormais 54% du total des importations de pétrole des pays industrialisés, même si cette adhésion ne va pas donner lieu à une augmentation de prix pour le moment.

Comme chacun sait, le dollar est la monnaie des transactions pétrolières, du moins jusqu’à maintenant. Le 18 décembre dernier, l’Iran a annoncé sa décision formelle d’adopter l’Euro comme monnaie officielle pour ses échanges, ce qui implique que ses transactions financières internationales vont se faire à partir de ce moment en Euro. L’Iran avait annoncé tout au long de l’année 2006 son intention de mettre en marche une bourse du pétrole en Euro [4] mais la décision qu’il vient de prendre va au-delà. L’effet de cette mesure n’est pas immédiat. De fait, Gholanhossein Nozari, directeur de la Compagnie Nationale du Pétrole Iranien, estime que l’Iran recevra en Euro le prix de 57% de ses exportations de pétrole. Comme dirait Chávez, « pour le moment ».

Comment interpréter la décision iranienne ? Le pays se justifie en disant que le changement de divise signifie que les pays producteurs perdront moins d’argent. Le baril est à 61 dollars, comme nous le disions, et il est monté jusqu’à $74. Mais si ce prix avait été énoncé en Euro, la fluctuation aurait été moindre, de 48 à 58. « Le dollar est faible, et l’Euro est fort », disent les Iraniens, « ce pourquoi il nous faut commencer à faire du commerce avec une monnaie forte, comme cela a été fait jadis avec le dollar, après l’abandon de l’étalon-or, il y a presque 40 ans ». Et ils se justifient en disant que la Russie a déjà la moitié de ses réserves économiques en Euro et en yens, et que les Émirats Arabes Unis avaient annoncé qu’ils allaient convertir en Euro 8% du total de leurs réserves monétaires, ce qui est devenu effectif le 27 décembre dernier [5]. Ils ajoutent en outre que déjà depuis le mois de novembre les USA font pression sur les banques pour qu’elles gèlent les comptes iraniens, en invoquant le « soutien au terrorisme » de l’Iran (avec mention expresse du Hezbollah et du Hamas) et que, comme conséquence de cette pression, les Européens sont de plus en plus réticents à régler les ventes iraniennes en dollars ou à émettre des crédits dans cette monnaie. Il y a au moins trois banques qui depuis lors retiennent les actifs iraniens : le Crédit Suisse, le Crédit Lyonnais et HSCB.


L’objectif du taux de change à 1=1,50


Mais il s’agit aussi bien sûr d’une mesure politique. Cette initiative de l’un des pays producteurs de l’OPEP constitue un défi sans précédent pour l’économie usaméricaine dans la mesure où le commerce du pétrole est justement ce qui soutient le dollar.

Ce n’est pas la première fois que cela se produit ; Saddam Hussein avait déjà agi de la sorte en tant que gouvernant de l’Irak avant l’invasion, mais à cette époque l’exportation de pétrole était soumise à un régime de sanctions qui était relativement efficace, ce qui n’empêchait pas quelques contournements, et le prix du pétrole tournait autour de $30 le baril. L’une des premières mesures imposées par les occupants à leurs collabos fut le retour à l’étalon-dollar dans les transactions pétrolières, ce qui reste en vigueur aujourd’hui. L’adoption de l’Euro comme monnaie officielle d’une nation productrice de pétrole aussi importante que l’Iran, avec des prix au-dessus de $60, constitue une énorme menace stratégique pour l’économie des USA parce que cela signifie le début de la fin.

Les experts considèrent que l’effondrement du dollar se produira quand le taux de change par rapport à l’Euro atteindra 1, 5 ; pour d’autres, il faudrait plutôt 1, 70. Actuellement, un Euro vaut $1, 32. Vingt centimes, voici ce qui retient les USA au bord du déclin et de la disparition de leur hégémonie en tant que super-puissance. Voilà pourquoi ils sont si pressés d’imposer des sanctions à l’Iran, et c’est la raison du délai de 60 jours avant d’augmenter les sanctions, au cas où l’Iran ne renoncerait pas à son programme nucléaire, le tout dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui autorise l’emploi de la force. Le déficit commercial des USA et le gouffre sans fond que représente l’Irak obligent l’administration à réagir avec force face à la moindre insinuation, sans parler de constat, sur le fait que les marchés internationaux peuvent cesser d’utiliser le dollar. La seule solution serait de réduire les dépenses sociales, d’augmenter les impôts ou les deux choses à la fois. En une année électorale comme 2007, aucune de ces mesures n’est guère populaire.

En politique internationale rien n’est le fruit du hasard. L’Iran a retardé cette décision autant qu’il a pu. C’est quand la résolution de l’ONU est entrée dans les faits qu’il a franchi le pas. Cette résolution a été précédée par des manœuvres militaires des USA, de la Grande-Bretagne et de quelques pays arabes du Golfe, et par des réunions des membres de l’administration Bush avec huit pays de la région, Égypte, Jordanie, Bahreïn, Koweït, Qatar, Oman, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis, afin de mesurer les possibilités de créer un bastion sunnite face à l’Iran [6] ; il y a eu aussi l’envoi dans la région d’une partie de la flotte de guerre des USA, et la déclaration de Blair selon laquelle l’Iran est la principale menace pour la paix et la stabilité au Moyen Orient. Il semble que l’étau se referme et que la guerre soit inévitable.

Mais l’est-elle vraiment ? Il y a beaucoup d’intérêts économiques en jeu, et une guerre contre l’Iran ne resterait pas circonscrite au territoire de ce pays. Voyons-en quelques décors possibles.

Sur le plan économique, la Chine, la Russie et l’Inde ont des intérêts fort succulents en Iran. Les Chinois ont signé un accord sur 25 ans pour l’importation de gaz naturel, les Russes soutiennent le programme nucléaire iranien et ont obtenu que les installations de Busher ne soient pas mentionnées dans la résolution de l’ONU, les Indiens aussi ont signé des contrats pour l’approvisionnement en gaz et la construction d’un oléoduc conjoint Iran-Pakistan-Inde. Il faut ajouter à cela qu’en août 2006 l’Organisation de Coopération de Shanghai a admis l’Iran en qualité d’observateur. La référence irakienne est très présente pour ces pays. Le gouvernement de Saddam Hussein avait signé des accords commerciaux avec eux et avec d’autres Européens dont la France, qui n’ont pas été respectés par les puissances occupantes après l’invasion de 2003 et ils craignent quelque chose de semblable dans le cas de l’Iran.

Dans le domaine militaire, les installations de pétrole et de gaz des pays du Golfe et d’Arabie Saoudite sont extrêmement vulnérables à une attaque iranienne en réponse à une attaque éventuelle, ce qui produirait la panique sur les marchés financiers, en faisant grimper le baril de pétrole aux alentours de $100. Il ne faut pas perdre de vue, en outre, que dans ces pays le pourcentage de population chiite n’est nullement négligeable. A Bahreïn, il est de 80% (malgré le fait que les sunnites contrôlent le pouvoir) ; au Koweït, il est de 30% ; Dubaï, qui s’inscrit dans les Emirats Arabes Unis, est un centre d’influence iranienne, où font des affaires et résident 200 000 Iraniens ; l’Arabie Saoudite a une minorité chiite précisément dans la province où se situent les principales réserves de pétrole.

Que reste-t-il donc, alors ? Ou bien une action unilatérale d’Israël , et là il faut tenir compte de ce que publie la presse israélienne sur « le manque d’énergie de Bush pour attaquer l’Iran, alors qu’une attaque usaméricaine sur l’Iran est indispensable pour assurer notre existence » [7] et la nécessité de renforcer le lobby sioniste aux USA, particulièrement à l’intérieur du Parti Démocrate pour qu’il soutienne publiquement une action militaire contre l’Iran ; et on finit par dire que « si les Américains ne font rien nous devons le faire nous-mêmes » ; ou bien la déstabilisation interne, qui se pratique déjà sur deux fronts : le front occidental, avec les USA et la Grande-Bretagne en tête, et le front arabe, avec les Saoudiens dans le rôle principal. Là les Israéliens sont très clairs : « nous devons coopérer clandestinement avec l’Arabie Saoudite de façon à ce qu’elle persuade les USA d’attaquer l’Iran » [8].

Les USA sont déjà investis dans cette seconde option. Ils ont installé à Dubaï leur principale station d’espionnage [9] et prétendent influer sur les résidents iraniens là-bas pour qu’ils suscitent un changement de régime. On sait déjà que le régime de Bush pousse à la révolte au Baloutchistan, en Azerbaïdjan et au Kazakhstan [10] ; ajoutons le contact établi avec les Kurdes iraniens, ce qui a été révélé par Seymour Hersh [11]. Mais le facteur le plus important est l’affrontement sectaire entre sunnites et chiites.

Le 12 décembre dernier, le New York Times a informé que l’Arabie Saoudite avait fait parvenir à l’administration Bush un document posant trois conditions : que les troupes ne soient pas retirées d’Irak avant 2008, qu’aucune négociation ne s’engage avec l’Iran, et que soient reprises « immédiatement » les négociations de paix entre Israël et l’Autorité Palestinienne pour contrer l’influence croissante de l’Iran dans le Hamas, dont le Premier ministre allait se rendre dans les jours suivants à Téhéran pour demander un soutien politique et économique. Les trois conditions sont bel et bien en train de se réaliser.


Le facteur chinois


L’économie des USA est de plus en plus vulnérable. Si l’initiative iranienne se consolide, il s’agira d’un coup brutal, mais c’est la Chine qui aura le dernier mot. Même si ce n’est pas le moment de développer cette question, rappelons que la Chine vend une grande quantité de produits aux USA, accumule dans ce processus des dollars qu’elle prête ensuite aux USA eux-mêmes en échange de bons du Trésor, et ainsi elle fait des USA son principal débiteur, un peu plus chaque jour. Au moment où la Chine fermera le robinet, la crise financière sera totale. Une action militaire contre l’Iran de la part des USA serait le signal que ce moment est venu.


Notes

[1] Alberto Cruz, “Muqtada al Sader, el verdadero problema de EEUU en Iraq” http://www.rebelion.org/noticia.php?id=41022
[2] Résolution 1737 du 27 décembre 2006.
[3] The Financial Times, 2 janvier 2007.
[4] Alberto Cruz, “Irán, la crisis nuclear y la bolsa petrolera” http://www.igadi.org/index.html
[5] Bloomberg, 27 décembre 2006.
[6] The Financial Times, 29 novembre 2006.
[7] Yediot Aharonot, 30 décembre 2006.
[8] Ibid.
[9] Times, 16 novembre 2006.
[10] Alberto Cruz, “Irán, la crisis nuclear y la bolsa petrolera” http://www.igadi.org/index.html
[11] The New Yorker, 21 novembre 2006.

Source: alterinfo.net
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