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 Le bestiaire africain de la diaspora : « retour au peuple »

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mihou
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mihou


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Localisation : Washington D.C.
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Le bestiaire africain de la diaspora : « retour au peuple » Empty
21122006
MessageLe bestiaire africain de la diaspora : « retour au peuple »

Le bestiaire africain de la diaspora : « retour au peuple » et idéologie

dans le conte haïtien.



Par

Dr Alioune Badara Kandji

Assistant, Département d’Anglais

Université Cheikh Anta Diop de Dakar





Résumé:

Le monde du conte de la diaspora est peuplé d’animaux et d’êtres qu’on retrouve dans l’espace ouest-africain, notamment dans l’aire soudano-sahélienne. Ce qui vérifie l’hypothèse selon laquelle le folklore de la diaspora noire a puisé dans le fond commun africain, en particulier ouest-africain, si l’on sait que l’Afrique de l’Ouest fut le point de départ de beaucoup de négriers qui avaient dans leurs cales des millions d’africains vendus comme esclaves dans les plantations du Nouveau Monde.

Les esclaves africains ont traversé l’Atlantique avec d’une part des légendes et des ethnotextes propres à leurs terroirs, et d’autre part des contes puisés dans la mémoire collective ancestrale, qu’ils ont dispersés dans les plantations du Nouveau Monde : Haïti, Guyane, Jamaïque, Cuba, le sud des Etats – Unis, etc.

Mais une fois dans le Nouveau Monde, le conte animalier africain va survivre, subir des transformations et va devoir s’adapter, à travers plusieurs variantes, dans l’espace de la plantation, qui est l’espace de l’ordre, de la révolte, par opposition à l’espace de la savane africaine, espace de « désordre », de liberté et d’oralité.

Ainsi l’objet de la présente communication est d’analyser comment, par le phénomène de la transposition d’un univers de liberté à la claustration de la plantation, le conte va perdre l’aspect ludique et pédagogique qu’il revêtait en Afrique de l’Ouest au profit d’une idéologie de la résistance, qui permet à l’esclave de se cramponner sur sa culture ancestrale et de rejeter les valeurs du maître. Il s’agira aussi de voir comment, de par les survivances du conte animalier africain, l’idée de « retour au peuple » , qui renvoie aux traditions africaines, est affirmée par le peuple haïtien, qui restera pour longtemps encore le dépositaire des valeurs africaines.



Le bestiaire africain de la diaspora : « Retour au peuple » et Idéologie

dans le conte haïtien

Par
Dr Alioune Badara KANDJI

Assistant, Département d’Anglais

Université Cheikh Anta Diop de Dakar


Introduction

Toute diaspora renvoie à une dispersion. Ici, celle qui nous préoccupe concerne le peuple noir issu de l’esclavage dans le Nouveau Monde. L’esclavage, du reste, ne se limitait pas exclusivement à l’Amérique du Nord. Il incluait également l’Amérique latine, dont le Brésil, la Bolivie, l’Uruguay et les Caraïbes, notamment Haïti :

Le concept de diaspora africaine englobe tout ce qui suit : la dispersion globale, volontaire comme involontaire des Africains au cours de l’Histoire ; l’émergence d’une identité culturelle à l’étranger, fondée sur l’origine et la condition sociale et le retour psychologique ou physique à la terre natale, l’Afrique.1

Toutefois, il convient de faire remarquer que le concept de la diaspora africaine n’est pas toujours aussi tranché qu’on veut le faire croire. Il existe au Brésil des noirs qui pratiquent encore le culte de la divination ifa des Yoroubas, qui sacrifient aux divinités de Shango, d’Obatala auxquelles ils ont donné le nom d’Oxala, mais chez qui l’origine africaine demeure diffuse. On pourrait en dire autant des survivances du vaudou en Haïti et du conte africain chez ce même peuple, ou des contes d’origine mandingue ou congolaise à Trinidad où, d’ailleurs, on a retrouvé après l’Emancipation, des villages entiers qui parlaient le hausa ; sans mentionner l’ensemble du bestiaire africain Bouki-l’hyène, Ti-malice le lièvre, Anansi-l’araignée, la tortue, qui peuplent les contes haïtiens. Et pourtant, dans ces peuples diasporiques beaucoup de gens savent qu’ils sont africains d’origine mais ne peuvent se rattacher à aucune ethnie, aucune race, et ne peuvent se réclamer d’aucune généalogie ou mémoire ancestrale que déclinerait un griot porteur de traditions. Et, c’est là que réside l’un des paradoxes de l’exil diasporique ; des gens qui sont pourtant habités par l’ardent désir de renouer avec la terre africaine de leurs ancêtres à laquelle ils ont été arrachés de force. Comme l’ont bien montré l’histoire et la fiction, notamment la saga africaine d'Alex Haley, Roots, à mesure que les négriers rompaient les amarres et prenaient le large, certains esclaves n’hésitaient pas à se jeter par dessus bord pour justement ne pas quitter la terre-mère. D’autres s’étaient tout simplement suicidés quelque part dans les plantations du Nouveau Monde, pensant pouvoir ainsi être ressuscités en terre africaine. Tandis que d’autres encore se réfugiaient derrière le folklore, le mythe, et légendes africains, notamment les contes ayant survécu, pour récréer leur environnement africain par les costumes qu’ils portaient lors des carnavals si ce n’est dans la langue de leur terroir d’origine.2

1. L’Esclave et le Retour à la terre ancestrale

Avant d’aborder le corpus de contes, essentiellement haïtien de notre étude sur le bestiaire africain en terre diasporique, je voudrais davantage insister sur le thème du retour ou du désir du retour, sans lequel il ne saurait y avoir d’expérience diasporique. Quoique la question du retour à partir des Caraïbes n’ait pas fait l’objet d’études systématiques, il y a eu à partir du 19e siècle des retours effectifs. C’est ainsi que Mohamadu Sisei (1788-1838), un esclave qui vivait à Trinidad, est retourné dans son pays, la Gambie, après l’émancipation des Noirs dans cette partie de la diaspora.3 De nombreux Brésiliens sont repartis dans différents pays de l’Afrique de l’Ouest, dont le Bénin, où l’on retrouve encore des noms de famille brésiliens, Desouza, Dacosta, par exemple. Dix huit mille Congolais naguère esclaves à Cuba sont retournés au Congo en 1901.4 Cette date de 1901 n’est pas fortuite : en effet, en 1901 l’étudiant noir Henry Sylvester Williams, originaire de Trinidad a impulsé une dynamique de résistance à l’assimilation des Noirs et a défendu avec beaucoup d’ardeur et de véhémence le rapatriement dans une perspective panafricaniste, tandis que des retours ont été organisés des Caraïbes en direction du Ghana. Sylvester Williams lui-même en avait donné l’exemple en émigrant, pendant un certain temps, au Ghana.

Tous ces mouvements et tant d’autres ont été quelque peu systématisés et devaient servir à jeter les bases d’un panafricanisme, dont la Renaissance de Harlem consolidera, et la forme littéraire, et le contenu idéologique.

Arraché à l’espace africain, l’esclave doit s’adapter à la vie dans les plantations où l’alignement, la symétrie et l’ordre sont de rigueur, et contrastent avec le beau désordre de la savane africaine, espace de liberté, mais aussi espace de l’oralité. Le retour physique étant quasi impossible, l’esclave va se cramponner de façon symbolique à ses traditions ancestrales.
Par ailleurs, la Renaissance de la culture africaine a été de nouveau vécue en Haïti bien après l’abolition de l’esclavage. En effet l’occupation américaine d’Haïti, entre 1915 et 1934, avait cristallisée l’attention de la lutte des Noirs sur ce pays, qui avait derrière lui une solide expérience d’affirmation de l’idéologie noire avec la Révolte de Saint Domingue. Cette occupation avait aidé à raviver les valeurs traditionnelles africaines : les mœurs, la tradition orale, les contes populaires, la sagesse populaire et tout un agrégat de pratiques cultuelles telle le vaudou, comme une forme de résistance idéologique. Tout cela constitue ce qu’on a appelé « un retour au peuple » et aux valeurs populaires de ce peuple qui, quant au fond reste le dépositaire des valeurs africaines.
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Le bestiaire africain de la diaspora : « retour au peuple » :: Commentaires

2. Retour aux valeurs populaires : le conte haïtien : contenu et idéologie



Je vais à présent présenter 3 à 4 motifs de contes haïtiens et les idéologies qui les sous – tendent. Ces contes sont tirés de l’anthologie de Harold Courlander sur le folkore africain – américain : A Treasury of Afro – American folklore (1976).

Motif 1 : l’aigle et ses petits

Les modalités de réactivation de la mémoire populaire d'origine diasporique comprennent le recours aux métaphores. Une illustration peut en être trouvée dans le conte Ashanti intitulé The Eagle and his Children (l’aigle et ses petits). On y raconte comment l’aigle protège ses enfants, en les portant sur ses ailes pour leur apprendre à voler et à partir sur les hautes mers. Pour ce faire l’aigle vole quelque temps au dessous de ses petits. Cependant, ceux-ci ne tardent pas à se rendre compte que leur mère ne peut plus les supporter. Ils apprennent ainsi à se débrouiller et partent dans toutes les directions. Ici, l’image ornithologique, qui charrie la métaphore nautique, nous rappelle la traversée de l’Atlantique, le voyage de l’esclave vers le Nouveau Monde. Ce conte évoque aussi la séparation : l’aigle qui se sépare de ses petits rappelle l’Afrique qui, elle aussi, s'est séparée de ses propres enfants qui ont pris toutes les directions et se sont dispersés dans les plantations du Nouveau Monde. Le bestiaire exprime, de mon point de vue, certaines des plus belle métaphores de l’esclavage et de l’expérience diasporique africaine. L’image des aiglons qui prennent leur essor rend parfaitement compte de cette expérience de dispersion sans espoir de retour, accompagné de la perte du territoire originel.

Motif 2 : La tortue qui chante

L’idéologie, dans le conte haïtien intitulé "La Tortue qui chante"5 , entre dans cette veine. C’est l’histoire d’une tortue qui est capturée, après une course folle, par le propriétaire d’un champ. Quand ce dernier commence à la battre, la tortue se met à chanter6. Ebahi par sa découverte, Pierre Jean, le propriétaire, s’en va à Port-au-Prince conter son histoire au Président. Mais le Président ne croit mot de son histoire. Il lui lance un défi acceptant de lui payer 100 gourdes ( le contenu des gourdes n’est pas précisé dans le conte) s’il réussit à faire chanter la tortue, au cas contraire, il serait lui même tué. Au même moment où les paris sont lancés, Madame Pierre Jean ayant entendu parler de la découverte de son mari sort la tortue de la boîte et lui demande de chanter pour elle, mais le reptile de rétorquer qu’il ne peut chanter que près de la rive du fleuve. Madame Pierre Jean l’amène sur la rive et le reptile réussit à se glisser subrepticement dans l’eau pour s’échapper. Arrivé à la maison avec le Président, Pierre Jean se saisit de la boîte et demande à la tortue de chanter mais aucune réponse ne se fait entendre. Le Président ordonne aux gardes de l’attacher à un arbre près du fleuve et de le tuer. Et c’est à ce moment que la tortue sort la tête de l’eau et se met à chanter. Le Président finit par libérer Pierre Jean et lui paie se cent mille gourdes.

Ce conte haïtien est polysymbolique et illustre bien le thème de l’esclavage ; il englobe une pluralité de sens et peut être perçu comme un condensé de la vie de l’esclave. On y voit, par métonymie, les différentes étapes de l’esclavage : la capture, le travail, la libération et la fuite. Ainsi, l’image de la tortue poursuivie et capturée par Pierre Jean renvoie à la capture de l’esclave. En d’autres termes, ici, c'est l’histoire des origines qui est relatée, quand les négriers investirent et razzièrent les forêts et les savanes africaines et chargèrent leurs navires d’esclaves. Mais cette course poursuite dans le champ de Pierre Jean, c’est aussi l’image de l’esclave qui tente de s’échapper de la plantation pour regagner les colonies libres, mais qui, en fin de compte, parce que gagné par la lassitude, à l’image de la tortue dans le conte, est capturé, comme c’était souvent le cas, par les hommes du maître, aidés dans leur chasse par une meute de chiens.

Mais il s’avérait, parfois, que cette tentative d’évasion fut couronnée de succès ; quand l’esclave parvenait à regagner, non pas la terre de ses ancêtres, mais les colonies libres, peuplées d’esclaves affranchis et de fugitifs. C’est à l’image de la tortue qui parvient, par la ruse, à s’échapper de l’emprise de Madame Pierre Jean pour se glisser dans l’eau du fleuve, son milieu naturel. Mais dans le cas contraire, c’était les coups de fouet du maître. Pierre Jean, ligoté et attaché à un arbre, rappelle le supplice du fouet qui était la sanction immédiate des fugitifs capturés et des récalcitrants, si ce n’est le stigmate du fer rouge.

La figure du maître est représentée dans le conte par Pierre Jean. L’onomastique suggère qu’il s’agit d’un homme de race blanche, et cet homme est détenteur d’un pouvoir. Pierre Jean s’est approprié la tortue comme le blanc s’est approprié l’esclave. Mais la figure du maître renvoie aussi à celle du Président qui a droit de vie et de mort sur Pierre Jean, comme le maître en avait sur son esclave.

La libération ou l’abolition de l’esclavage est suggérée à la fin du conte. La tortue finit par chanter et Pierre Jean est libéré. Au bout de la résistance de l’esclave se trouve la liberté. D’ailleurs, ce binôme Résistance/Liberté parcourt de façon linéaire la trame de ce conte.

Le peuple haïtien est décrit en filigrane comme un peuple libre et indépendant, avec à sa tête un Président et une capitale, Port-au-Prince. Pareille description met en lumière toute une symbolique quand on sait que la Révolution haïtienne, initiée par Toussaint L’Ouverture et d’autres leaders noirs, a conduit à la proclamation de la première république noire, qui vient de voir célébrer, en 2004, son bicentenaire.

Motif 3 : Bouki et Ti Malice vont à la pêche

Le couple légendaire Bouki-l'hyène et Leuk-le lièvre, qu’on retrouve dans le conte ouest-africain notamment dans l’espace sénégambien et de façon générale dans l’aire soudano-sahélienne, est resté très populaire dans le conte haïtien. Dans le conte intitulé Bouki et Ti Malice vont à la pêche, on raconte, en résumé, que ces deux compères sont allés à la pêche dans la même pirogue. Mais au moment de se partager la prise, Ti Malice fait remarquer à Bouki que la pêche n’est pas bonne pour être partagée entre eux deux ; et que lui Ti Malice préfère laisser tous les poissons à Bouki et attendre la pêche du lendemain pour tout prendre. Mais se sentant floué, Bouki refuse la proposition de son compère, préférant, à son tour, attendre le lendemain quand la pêche sera bonne pour tout prendre. Et Ti Malice de repartir à la maison avec toute la prise du jour. Le lendemain, c'est le même schéma. Ti Malice fait remarquer que la pêche n’est pas bonne et propose à Bouki de tout prendre mais ce dernier refuse de nouveau préférant attendre le lendemain quand la pêche sera plus intéressante. Et il en est ainsi pendant des mois ; et chaque jour qui passe, Ti Malice devient de plus en plus gros et Bouki, affamé, est de plus en plus maigre.

Ici, Bouki a gardé le même nom que dans le conte sénégambien, alors que Leuk-le-lièvre est devenu Ti Malice pour mettre en relief son caractère malicieux et sa ruse légendaire.
Toutefois, ces deux personnages, Bouki et Ti Malice ne sont pas explicitement identifiés comme des animaux dans le conte haïtien. Mais leurs physionomies, leurs comportements et les rôles qu’ils jouent dans le récit montrent bien qu’ils s’agit d’une survivance du fameux couple Bouki et Leuk. En effet, comme dans le conte sénégambien, Bouki, dont on ne nous dira jamais s’il s’agit d’un animal ou d’une personne, est décrit dans le conte comme très noir, plus gros que Ti Malice, marginal, symbole d’une voracité gargantuesque, et de la sottise. Tandis que son compère, Ti Malice, y apparaît comme agile, de petite taille, symbole de la ruse que stigmatisent ses longues oreilles, toujours prêt à jouer des tours à son entourage, le plus souvent pour tirer profit d’une situation qui n’est pas à son avantage.
Rapporté au référentiel de la plantation, les deux personnages du conte renvoient à la figure de l’esclave. Ti Malice est obligé d’user de la ruse, d’inventer des subterfuges pour pouvoir survivre dans un environnement hostile. Et tel fut le cas de l’esclave dans la plantation du maître. Dans cet univers, la ruse passe aussi par l’utilisation d’un code fabuleux, d’un code secret qui remplace le contenu ludique véhiculé par le folklore : les contes, la danse et le chant. D’ailleurs, cette stratégie de survie se retrouve aussi dans l’homochromie du lièvre dans le conte, qui est un animal qui s’adapte en prenant la couleur du milieu où il se trouve. Aussi, à un moment donné de sa vie, l’esclave est contraint, pour une question de survie, de s’adapter à un monde hostile. Et cette adaptation passe, par exemple, par la création d’un idiolecte et d’un code linguiste, inaccessible au Blanc, à partir de plusieurs langues africaines.
Mais face à la ruse de Ti Malice, Bouki développe une résistance, lui qui, malgré ses mésaventures et tel le Phénix, renaît toujours de ses cendres. Ce qui fait qu’à y voir de plus prés, cet animal symbolise dans l’imaginaire du Sénégalais moyen la punition aveugle et immédiate, la débrouillardise, comme le montre l’expression wolof « suul buki, suli buki ». Tout cela contribue à mettre en relief cette résistance, cette capacité à endurer la souffrance dont l’esclave fallait faire montre au sein de la plantation, lui qui était en butte à toute forme de privation et de vexation ; mais aussi au code dilatoire, qui consiste à tout renvoyer au lendemain, comme principe et mode de survie.
Motif 4 : Anansi-l’Araignée
Autour de cet animal se tisse toute une trame de contes africains et haïtiens ; et même des poèmes. C’est ainsi que le poète antillais Edward Braithwaite lui a consacré un beau poème, intutilé « Ananse », dans son recueil The Arrivants (1973), où il attribut la complexité de ce personnage au fait qu’il s’agit d’un dieu déchu.
La figure d’Anansi–l’Araignée, très populaire dans le conte du peuple Ashanti du Ghana, se retrouve aussi dans le conte haïtien. Les contes ashantis sur Anansi sont des récits fondateurs, des légendes étiologiques sur le mythe des origines. Dans l’un de ces contes l’on nous apprend, par exemple, qu’Anansi–l’Araignée a six enfants qui sont très doués. Et un jour, Anansi se perd dans la forêt et est secouru par ses enfants. Sur le chemin du retour, il ramasse une boule de lumière qu’il veut offrir à l’un de ses enfants. Mais au moment où ses derniers se disputent la garde de la boule, Nyamé, le Dieu des Choses, prend la boule et la fait monter haut dans le ciel, où elle continue de briller sous la forme du disque solaire.
Mais une fois dans le Nouveau Monde, cette dimension étiologique va se muer en une dimension idéologique par un procédé connu du folklore, et par lequel le conte se vide de sa macrostructure d’origine pour insérer, en lieu et place, un contenu culturel dont s’inscrit la culture de réception, qui en est la microstrucure.
Dans le conte intitulé l’Anniversaire d’Anansi, on y raconte, en résumé, qu’Anansi - l’Araignée a invité tous les animaux à venir fêter son anniversaire. Mais elle ne veut pas que la tortue y prenne part. Alors, ayant constaté la présence de la tortue Anansi demande à ses invités de se laver les mains avant de passer à table. Mais à chaque fois que la tortue se lave les mains elle les salit de nouveau, quand elle marche pour rejoindre la table. C’est alors résignée qu’elle quitte la fête pour rentrer chez elle.

Ici, Anansi perd de sa dimension mythique et céleste pour, en contre partie, devenir le décepteur, celui que la littérature anglo-saxonne appelle the trickster. Le trickster c’est celui qui joue des tours. Mais le conte nous rappelle aussi, par l’image de la tortue qui se lave et qui se salit les mains sans cesse, la condition de l’esclave asservie par la corvée du travail dans la plantation.
D’un conte à l’autre , Anansi va de paradoxe en paradoxe, tantôt bon tantôt méchant, tantôt révolté tantôt soumis, ce personnage s’inscrit au cœur des contradictions de l’esclave, c’est – à – dire dans une dialectique intrinsèque du maître et de l’esclave. L’araignée est souvent un animal négativement surdéterminé, féroce, liant ses proies d’un liant mortel, et qui joue le rôle de la goule6 . Mais l’araignée prise dans sa propre toile est aussi une métonymie de la capture de l’esclave. On sait que les occidentaux capturaient les esclaves, mais on sait aussi que les chefs africains ont collaboré en capturant des esclaves, parmi leur propre peuple, qu’ils revendaient, surtout dans les régions allant du Sénégal à l’Angola. Cet animal est aussi symbole de la douleur résignée. La lutte de l’esclave contre le destin peut être comparée à celle de l’araignée prise dans sa propre toile7.
Conclusion
La réminiscence des contes, notamment animalier, était pour les esclaves une forme de résistance culturelle face à l’entreprise d’acculturation du maître, qui se traduisait d’abord par un changement de nom, Le maître assignait à l’esclave un nom à sa convenance ; mais aussi par l’interdiction qui lui était faite de parler sa propre langue. Toutefois, l’absence d’une culture de l’écriture chez l’esclave va favoriser le transfert sous le mode de l’oralité.


Le conte animalier et le folklore participent de cette volonté de l’esclave de rejeter le modèle du maître tout en mettant en avant sa propre culture. Et le monde animal est ici utilisé comme une prosopopée, une dissimulation au sens générique du terme qui rend compte de la condition de l’esclave dans la plantation et qui caricature la figure du maître.















Notes :

1. J. Harris, Cité par Stéphane Dufoix dans Les Diasporas, Collection Que Sais-Je, Paris, PUF, 2003, p.15.
2. Tony Martins, « Le Panafricanisme de 1441 au XX Ie siècle : Tirer parti de la vision de nos ancêtres », Conférence des Intellectuels d’Afrique et de la Diaspora, Dakar 6–9 Octobre 2004. (Document inédit à ce jour).
3. Ibid
4. Ibid

5. Harold Courlander, A Treasury of Afro-American Folklore, Crown Publishers and Co., New York, 1976, pp.70–71.

6- Gilbert Durant, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992.

7- Ibid

Autres Ouvrages Consultés :

1. Edward, Braithwaite, The Arrivants : A New World Trilogy, Oxford University Press, 1973.

2. Langston, Hughes, The African Treasury, Crown Publishers, New York, 1960.

3-Leila, Sebbar-Pignon, « Le mythe du bon nègre ou l’idéologie coloniale dans la production romanesque du XVIIIe siècle », in Les Temps Modernes (1973–4), pp. 2349–2375.

4-C. Chevallon, La diaspora noire des Amériques .Expérience et thèmes, Paris, C.N.R.S, Ed., 2003.

5-J. Harris, ed., Global Dimensions of the African Diaspora, Washington, Howard University Press, 1993 (first ed. 1982).
 

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