Grand remue-ménage dans les coulisses de Washington : attaquer l'Iran, oui, mais comment ?
Et maintenant, quoi ?
Seymour M. Hersh
Traduit par Marcel Charbonnier et révisé par Fausto Giudice
Une administration américaine ayant du plomb dans l'aile peut-elle encore attaquer l'Iran, voire pire si affinités ?
Grand remue-ménage dans les coulisses de Washington : attaquer l'Iran, oui, mais comment ?
Un mois avant les élections de ce mois, le vice-président US Dick Cheney participait à un débat sur la sécurité nationale au siège des bureaux de l’exécutif [Executive Office Building]. Ce débat prit rapidement une tournure très politique : que se passerait-il au cas où les Démocrates remporteraient à la fois le Sénat et la Chambre des Représentants ? De quelle manière cela affecterait-il la politique des USA envers un Iran dont on pense qu’il est à la veille de devenir une puissance nucléaire ? A ce point dans la discussion, a rapporté un des participants à la discussion, Cheney s’est mis à raconter ses souvenirs de monteur de lignes électriques, au début des années 1960, époque où il bossait dans une compagnie électrique de l’Etat du Wyoming… Les fils de cuivre coûtaient cher, et tous les monteurs de lignes avaient reçu l’ordre de rendre tous les bouts inutilisés au-dessus des cinquante centimètres. Personne ne voulait s’emmerder à remplir la paperasse que cela occasionnait, expliqua Cheney, si bien qu’avec ses collègues, ils avaient trouvé une solution idoine, consistant à faire intervenir des « raccourcisseurs » sur les chutes de fil électrique, c’est-à-dire qu’ils coupaient ces chutes en petits morceaux, et qu’ils mettaient tous ces rogatons à la poubelle, à la fin de la journée… Si les démocrates l’emportaient, le 7 novembre, expliqua le vice-président des USA, cette victoire n’empêcherait nullement l’administration de persister dans l’option militaire contre l’Iran. La Maison Blanche n’aurait qu’à traiter les éventuelles restrictions législatives sur ces projets guerriers comme ses chutes de fil électrique, dans sa jeunesse : voilà qui empêcherait le Congrès de lui mettre des bâtons dans les roues… [On voit le niveau ! NdT]
Ce qui tenait la Maison Blanche en souci, ce n’était nullement le risque que les Démocrates coupent les fonds alimentant la guerre en Irak, mais bien que la future législation n’interdît à ladite Maison Blanche de financer des opérations visant à renverser ou à déstabiliser le gouvernement iranien, afin de l’empêcher d’obtenir la bombe atomique. « Ils redoutent que le Congrès ne vote une résolution impérative arrêtant toute frappe contre l’Iran, à la sauce « Nicaragua dans la guerre avec la Contra », m’a confié un ancien haut responsable du renseignement.
A la fin 1982, Edward P. Boland, un Représentant du Parti démocrate, a déposé le premier d’une séries d’ « amendements Boland », qui limitaient la capacité de l’administration Reagan de soutenir les Contras, lesquels ambitionnaient de renverser le gouvernement sandiniste (de gauche) au Nicaragua. Les restrictions Boland conduisirent les responsables de la Maison Blanche à orchestrer des activités de collecte de fonds au bénéfice des Contras, y compris en vendant des armes usaméricaines, via Israël, à… l’Iran. Il en résulta le scandale Iran-Contra, au milieu des années 1980. L’histoire racontée par Cheney, d’après ma source, était pour lui une manière de dire que quoi que puisse bien faire un Congrès démocrate, l’année prochaine, pour limiter l’autorité du Président des USA, l’administration d’icelui trouverait toujours une façon de le court-circuiter [Le cabinet du vice-président, interrogé à ce sujet, a répondu qu’il ne disposait d’aucun enregistrement de cette conversation.]
Au cours de diverses interviews des responsables actuels et passés de l’administration usaméricaine en revenaient toujours à la sempiternelle question de savoir si Cheney aurait toujours autant d’influence, durant les deux dernières années de présidence de George Deubeuliou Bush, qu’il en avait eu durant les six premières. Cheney est toujours très sûr de lui, au sujet de l’Irak. Fin octobre, il a déclaré au Time : « Je sais ce que pense le Président », au sujet de l’Irak. « Je sais ce que je pense. [C’est déjà ça !… NdT] Et nous ne sommes absolument pas en quête d’une stratégie de repli. Non ; ce que nous voulons, c’est la victoire ! ». Il est tout aussi évident que l’administration recourrait, si nécessaire, à la force militaire contre l’Iran. « Les USA laissent toutes les options sur la table quand ils réfléchissent à la réponse à apporter à la conduite irresponsable du régime (iranien) », a-t-il déclaré à un groupe de lobbying israélien, début 2006. « Et nous nous joignons à d’autres pays [Au pluriel, ça fait plus abondant… Mais, en réalité : suivez mon regard… NdT] pour envoyer à ce régime un message extrêmement clair : Nous ne laisserons jamais l’Iran accéder à l’arme nucléaire. »
Rummy, vu par kike (Porto-Rico)
Le 8 novembre, soit au lendemain de la perte, par les Républicains, tant de la Chambre que du Sénat, Bush a annoncé la démission du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, et la nomination de son successeur, Robert Gates, un ancien directeur de la CIA. Cette mesure a été largement perçue comme un aveu du fait que l’administration était en train de payer politiquement la débâcle en Irak. Gates a appartenu au Irak Study Group – dirigé par l’ancien secrétaire d’Etat James Baker et Lee Hamilton, un ancien membre démocrate du Congrès -, lequel avait été chargé d’étudier de nouvelles approches du problème irakien, et en appelait publiquement depuis plus d’un an à l’engagement de discussions directes des USA avec l’Iran. La décision prise par Bush de recourir à Gates était un signe évident du « désarroi » de la Maison Blanche, m’a dit un ancien haut responsable de la CIA travaillant à la Maison Blanche depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Les relations de Cheney avec Rumsfeld figuraient au nombre des plus étroites à l’intérieur de l’administration usaméricaine, et certains Républicains ont vu dans la nomination de Gates un signe évident que l’influence du vice-président à la Maison Blanche risquait de se voir remise en question. L’unique raison que pouvait avoir Gates pour accepter ce job, m’a dit l’ex-responsable de la CIA, c’était que « le père du président, Brent Scowcroft et James Baker » - c’est-à-dire deux anciens conseillers du président Bush Ier – « ont mis le paquet, si bien que le président George Deubeuliou Bush a été contraint de se plier à la tutelle de ces adultes… »
Des décisions cruciales seront prises au cours des mois à venir, m’a dit l’ancien de la CIA. « Cela fait six ans que Bush dit amen à tout ce que lui dit Cheney, et le script du feuilleton sera sans doute le suivant : « Bush va-t-il continuer de préférer Cheney à son papa ? » Nous allons bientôt le savoir. » [La Maison Blanche et le Pentagone ont refusé de répondre à mes demandes détaillées de commentaires à propos du présent article, se contentant de signaler qu’il contiendrait certaines inexactitudes de détail, sans plus de précision…]
Le trio Scowcroft, Baker, Bush l’Ancien est aussi en affaires pétrolières juteuses avec le Kazakhstan
Un général quatre étoiles en retraite, qui a travaillé étroitement avec la première administration Bush, m’a dit que la nomination de Gates signifie que Scowcroft, Baker, Bush l’Ancien et son fiston « sont en train de dire que la victoire aux élections de 2008 est plus importante que les sorts électoraux individuels. Pour eux, l’important, c’est de préserver l’agenda politique des Républicains. La Vieille Garde veut isoler Cheney et donner à sa fifille adorée, Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat, « une chance de donner toute sa mesure » [Bigre ! NdT]. La combinaison Scowcroft-Baker-Bush l’Ancien, travaillant de concert, est « assez puissante pour virer Cheney… », a ajouté le général, précisant afin d’être bien compris : «… ce qu’un seul homme ne peut accomplir… »
Richard Armitage, vice-secrétaire d’État du premier mandat de Bush m’a dit qu’il était persuadé que la victoire électorale démocrate, suivie par la démission de Rumsfeld, cela voulait dire que l’administration avait « reculé » en termes de rythme de sa préparation d’une campagne militaire contre l’Iran. Gates et d’autres décideurs allaient disposer désormais de plus de temps afin de préconiser une solution diplomatique en Iran et de s’occuper d’autres questions, sans doute plus pressantes. » L’Irak est dans une situation aussi catastrophique qu’il en a l’air, et l’Afghanistan est dans une situation encore pire qu’il n’en a l’air », a dit Armitage. « Un an en arrière, les Taliban nous combattaient en unités de huit à douze ; aujourd’hui, ils ont parfois acquis la taille d’une compagnie, voire plus. » Bombarder l’Iran en espérant que la population iranienne va « se lever » et renverser le gouvernement, comme d’aucuns le pensent à la Maison Blanche, a ajouté Armitage, « c’est tout simplement prendre un risque délirant… »
« S’il est un désastre dont nous devons nous dépêtrer à tout prix, c’est bien l’Irak. Et s’il y a un désastre que nous devions éviter comme la peste, c’est bien l’Iran ! » a dit Joseph Cirincione, vice-président chargé de la sécurité nationale au Centre (libéral – de gauche) pour le Progrès Américain [Center for American Progress]. « Gates sera partisan de la discussion avec l’Iran, et aussi d’écouter les bons conseils des chefs de la réunion des états-majors, mais les néocons sont toujours là …. – à la Maison Blanche – « qui persistent à croire que le chaos n’est après tout qu’un prix modique à acquitter pour se débarrasser d’une menace. .. Le risque, c’est que Gates devienne un Colin Powell bis, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas d’accord avec la politique suivie, mais qui finit par faire la leçon au Congrès et par soutenir ladite politique publiquement… »
D’autres sources proches de la famille Bush m’ont dit que les machinations autour de la démission de Bush et de la nomination de Gates furent particulièrement complexes et que l’apparent triomphe de la Vieille Garde pourrait s’avérer trompeur. L’ancien responsable du renseignement, qui travailla naguère étroitement avec Gates et avec le père du président actuel, m’a dit que Bush et ses plus proches conseillers à la Maison Blanche avaient compris, dès la mi-octobre, que Rumsfeld allait être contraint à la démission au cas où le résultat des élections de mi-mandat serait un échec retentissant. Rumsfeld a été engagé dans des conversations portant sur le timing de son départ, avec Cheney, Gates et le président, avant les élections, m’a dit l’ancien responsable du renseignement. Les détracteurs qui ont demandé pourquoi Rumsfeld n’avait pas été viré plus tôt, car cette mesure aurait peut-être permis de donner aux Républicains un petit coup de main, étaient à côté de la plaque. « Une semaine avant les élections, les Républicains avertissaient (pour faire peur, NdT) qu’une victoire démocrate serait à l’origine d’un retrait américain. Et voilà qu’aujourd’hui, Bush et Cheney changeraient quoi que ce soit à leur politique en matière de sécurité nationale ? », s’est interrogé, dubitatif, l’ex-responsable du renseignement.
« Cheney savait que ce qui s’est passé allait se passer. Laisser tomber Rummy [sobriquet ‘affectueux’ de Rumsfeld, NdT] après les élections prit l’allure d’une mesure conciliatoire. « Vous avez raison, vous les Démocrates. Nous avons désormais un nouveau mecton, et nous envisageons toutes les options. Rien n’est exclu. » « Mais la gesticulation conciliatoire n’a été accompagnée d’aucun changement notable dans la politique suive ; bien au contraire, la Maison Blanche a vu dans Gates quelqu’un qui aurait assez de crédibilité pour l’aider à poursuivre son action [catastrophique, NdT] en Irak et éventuellement contre l’Iran. Gates allait aussi représenter, de leur point de vue, un atout devant le nouveau Congrès. Au cas où l’administration aurait besoin de plaider que le programme d’armements de l’Iran représenterait une menace imminente, Gates serait un meilleur avocat que quelqu’un qui était mouillé dans les flops du renseignement en Irak. L’ancien responsable du renseignement m’a dit : « Gates n’est pas le type qui nous a raconté qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak ; il y a donc quelque chance que le Congrès le prenne au sérieux... »
Gates, installé au Pentagone, aura affaire à l’Iran, à l’Irak, à l’Afghanistan ; lourd héritage laissé par Rumsfeld – sans oublier Dick Cheney. Un ancien responsable de l’administration Bush, qui a également travaillé avec Gates, m’a dit que celui-ci était parfaitement conscient des difficultés qui l’attendaient dans son nouveau job. Il a ajouté que Gates ne se contenterait pas d’endosser la politique de l’administration actuelle, en disant, « oriflamme au vent : En avant ! En avant ! ». Très peu pour lui… surtout pas au prix de sa propre réputation… « Il ne désire pas particulièrement voir ses trente-cinq années de bons et loyaux services dans l’administration gouvernementale balancés par la fenêtre », a ajouté l’ancien responsable. Toutefois, sur la question de savoir si Gates tiendrait activement tête à Cheney, cet ancien responsable a fini par lâcher, après une pause : « Je n’en sais rien… »
Lun 27 Nov - 18:39 par Tite Prout