Négrophobie, de Boubacar Boris Diop, Odile Tobner, François-Xavier Verschave, éd. Les Arènes, 2005, 200 pages, Prix : 19,80 €
Ouvrage indispensable pour comprendre et l’Afrique et la dérive raciste banalisée des faiseurs d’opinion français. Ci-dessous les deux premières pages :
«Avertissement de l'éditeur
Imaginons un instant qu'un journaliste décide d'écrire un essai délicatement intitulé
Bougnoulogie qui comporte - entre autres - ces lignes: « Le monde arabe est un paradis naturel de la cruauté [...]. Des Arabes se massacrent en masse, voire - qu'on nous pardonne! - se "bouffent" entre eux [...]. Ils sont habités par un refus d'entrer dans la modernité autrement qu'en passagers clandestins ou en consommateurs vivant aux crochets du reste du monde. [...] Si 6 millions d'Allemands pouvaient, par un échange standard démographique, prendre la place des Marocains, le désert fleurirait. »
Peut-on concevoir qu'il se trouve en France un éditeur réputé pour décider de publier un tel ouvrage, qui reléguerait aussitôt les pamphletsantimusulmans d'Oriana Fallaci au rang de bluettes? Que cet essai soit salué par la critique? Que des hommes politiques de premier plan tressent des couronnes à son auteur? Qu'il obtienne un prix littéraire décerné par un média de service public? Peut-on imaginer que se propagent sans réactions de telles énormités où le mépris le dispute aux descriptions apocalyptiques, ravalant «les Arabes» au niveau d'une sous-humanité?
C'est pourtant ce qui est arrivé en France.
L'auteur du livre, Stephen Smith, est alors rédacteur en chef au
Monde, après avoir passé dix ans à
Libération. L'éditeur est l'une des plus vieilles et prestigieuses maisons d'édition françaises, Calmann-Lévy, à l'histoire douloureuse (elle a été «aryanisée» pendant la guerre). Le président du jury du prix Essai France Télévisions, Bernard Pivot, est une figure respectée et populaire entre toutes, qui n'a jamais commis d'impair en quarante ans de critique littéraire.
Il n'est, bien sûr, pas question des «Arabes », dans le livre de Stephen Smith, mais d'une autre boîte à fantasmes: les «Africains» (1). Et là, tout change. En France, dès qu'il s'agit d'Afrique « noire », ce qui paraît inimaginable devient aussitôt acceptable. Pourquoi? C'est tout l'enjeu de ce livre.
Pourquoi des dizaines de milliers de lecteurs français (avec un jury littéraire prestigieux en guise de cerise sur le gâteau) acceptent-ils sans broncher d'avaler un discours racialiste, des simplifications ridicules (600 millions d'hommes traités comme un seul) et l'agitation du spectre du «Noir», où l'indigène prend bien évidemment les traits d'une brute sanguinaire et anthropophage, tandis que la femme fait une apparition sous les traits d'une dactylo paresseuse? Pourquoi tout ce que notre pays compte de vigies antiracistes et d'associations des droits de l'Homme sont-elles restées muettes face à des pages qui auraient pu paraître telles quelles dans
La Revue coloniale en 1883 et être saluées par le Congo de Léopold II (2) ? Quelle nostalgie d'empire nous habite donc dès lors qu'il s'agit de l'Afrique?
À ces questions, les initiés de la Françafrique sont tentés d'en ajouter une autre: à quoi sert ce livre?
Car l'auteur de
Négrologie, Stephen Smith, n'est pas n'importe quel journaliste. Depuis le génocide des Tutsi au Rwanda, le rédacteur en chef des pages Afrique du
Monde n'a eu de cesse de jeter un rideau de fumée sur la culpabilité française dans ce [… la suite dans
Négrophobie]».
_______________________________________
«1. Les citations exactes de
Négrologie sont donc: «L'Afrique est un paradis naturel de la cruauté [...]. Des Africains se massacrent en masse, voire - qu'on nous pardonne! - se "bouffent" entre eux [...].
[Ils sont habités par un] refus d'entrer dans la modernité autrement qu'en passager[s] clandestin[s] ou en consommateur[s] vivant aux crochets du reste du monde. [...] Si 6 millions d'Israéliens pouvaient, par un échange standard démographique, prendre la place des Tchadiens, à peine plus nombreux, le Tibesti fleurirait. »
2. En 2005, la secrétaire du prix Essai France Télévisions a admis avoir fait pression sur le jury pour qu'il évite de couronner l'ouvrage de Serge Bilé
Noirs dans les camps nazis (Le Serpent à Plumes), après avoir été alertée par des historiens des lacunes de l'ouvrage. L'absence de réactions à propos de
Négrologie apparaît d'autant plus cruelle.»
Dim 9 Juil - 10:32 par Delugio