Politique: Loi sur la colonisation française. Le Professeur Mamadou Koulibaly s'exprime
Edité le 09 janvier 2006
Politique Photo du Pr Mamadou KOULIBALY
Une chose est courante en France, c'est que l'Etat pose souvent des actes en harmonie avec les idées du chef d'Etat. Quelles qu'elles soient, ces idées sont par la suite défendues par une grande majorité des français comme dans une république bananière, selon une image de Jean François Revel dans son sublime " Absolutisme inefficace ". C'est de cette harmonie que découle la loi que vient de voter l'Assemblée Nationale Française sur le rôle positif de la colonisation outre-mer. Pour nous africains qui sommes persuadés du caractère négatif de cette colonisation, nous nous demandons pourquoi depuis près de cinquante ans, nos dirigeants ne se sont jamais formellement exprimés sur la question se contentant de sommet France-Afrique pour quémander et obtenir l'aide publique de l'Etat français. Maintenant que la crise ouverte entre Abidjan et Paris fait remonter les perversions et les avatars de la colonisation, l'heure n'a-t-elle pas sonné pour faire le point ? Contre le révisionnisme parlementaire français.
Cette loi votée par les députés français anime les débats en France ces dernières semaines. Nul ne peut contester que l'analyse des faits historiques relève de la seule compétence de ceux qui en détiennent la science, en l'occurrence les historiens. Ceci étant, peut-on raisonnablement penser que la colonisation française en Afrique relève, aujourd'hui en 2005, uniquement du fait historique ? Pour répondre à cette question, il faut prendre en compte différentes considérations.
D'abord, si l'on considère que le fait colonial a pris fin en 1960 au moment où le premier président ivoirien, Félix Houphouët, est désigné par la France pour gouverner ce pays pour le compte de l'Elysée, après un stage d'apprentissage au palais Bourbon et dans le gouvernement français, alors la colonisation constitue un fait qui a connu son terme depuis quarante-cinq ans et donc une période qui relève de la seule compétence des historiens. En revanche, si au regard des faits qui se produisent encore de nos jours, on accepte que 1960 n'a été qu'un voile fin jeté sur le fait colonial par un pacte discret, et que les actes qui découlent de la colonisation continuent de rythmer la vie de la Côte d'Ivoire, alors nous sommes en définitive hors du champ de l'histoire. L'actualité brûlante reprend sa place et choque nos esprits sans que nous ne puissions nous en détourner sauf par lâcheté ou bien par mauvaise conscience.
Par conséquent, l'analyse de ces événements ne peut pas être considérée comme étant exclusivement du ressort de l'histoire, mais elle relève aussi, et surtout, de l'analyse économique du fait politique. Elle peut aussi pour les non spécialistes être effectuée par la société civile et par tous les citoyens d'aujourd'hui, même si le début de cette colonisation prend ses racines dans une période qui s'inscrit dans un temps reculé.
Le président français Jacques Chirac au sommet France-Afrique
Depuis que le voile dénommé indépendance a été pudiquement jeté sur la face hideuse de la colonisation devenue politiquement incorrecte dans sa forme qui prévalait alors, la France a toujours su mettre en place, avec la complicité active ou naïve de certains dirigeants africains, les instruments politiquement corrects qui maintiennent à son intérêt, les bénéfices que génèrent les effets de la colonisation.
Ces instruments sont aussi variés que les accords de défense et les bases militaires de la France en Afrique et sont plus généralement connus sous l'appellation d'accords de coopération.
Les systèmes de parti unique qui ont annihilé toute contradiction et toute initiative, et bien entendu le contrôle des ressources économiques, et particulièrement de la monnaie relève de cette logique de prédation coloniale. Telle est l'origine du gangstérisme d'Etat frère jumeau du terrorisme international.
Maintenant qu'à la lueur de la guerre que Chirac a décidé de livrer à la Côte d'Ivoire, tout cela n'est plus, ni un sujet tabou, ni un sujet méconnu, il importe que, bien au delà du seul cadre de la crise actuellement en cours, les politiques de tous bords, la société civile de Côte d'Ivoire et l'ensemble des citoyens des pays africains qui ont le français en partage, prennent à bras le corps et en toute équanimité la question de la colonisation française et plus précisément de la présence outrancière de la France en ce début du 21èmè siècle, dans la vie politique, la vie économique et la vie sociale de nos pays en violation complète des droits inaliénables des populations locales qu'elle considère encore comme des indigents incapables de reconnaître tout seuls ces droits et libertés.
Même les dirigeants politiques qui s'appuient sur la France au travers des guerres et autres coups d'Etat pour prendre le pouvoir, seront confrontés à la même équation le jour où ils seront animés de la plus petite volonté de conduire les affaires du pays en priorité selon les intérêts de leurs concitoyens par devoir ou par erreur.
Opération Licorne en CILa guerre actuelle laisse dans le cœur des ivoiriens des blessures indélébiles imputées à la France. Dans sa volonté évidente de ne pas tout perdre en Côte d'Ivoire, la France ne peut pas se permettre l'économie d'affronter la discussion franche et globale que recherchent les ivoiriens au sujet des liens qui unissent les deux pays. Cela ne se fera que lorsque la France décidera de se donner des dirigeants capables de s'émanciper de la tradition jacobine. Mais est ce seulement possible au regard de la classe et du système politique français ?
Le front de la belligérance s'est maintenant apaisé en Côte d'Ivoire et les manœuvres françaises s'opèrent au niveau diplomatique. Certes la position de la France au Conseil de Sécurité des Nations Unies lui donne l'avantage d'être à la source des débats concernant la Côte d'Ivoire, en l'absence de celle-ci qu'elle a vite fait de présenter comme un pays non autonome au sens onusien du terme. Mais la France doit également avoir à l'esprit qu'avec la prise de conscience du peuple de Côte d'Ivoire, et sa maturité politique de 2005, débarrassée des complexes du colonisé des années 60, aucune démarche de passage en force, même par voie diplomatique, ne peut constituer une solution durable à la complexe situation qui est le résultat de la volonté de Paris de mettre au pas la Côte d'Ivoire. La jeunesse de Côte d'Ivoire est à l'image de celle du Togo, du Bénin, du Mali, du Burkina, du Sénégal, du Gabon, du Cameroun, du Congo et de tous les pays colonisés en Afrique par la France. Les aspirations de ces jeunes sont les mêmes, et le grondement est identique d'un bout à l'autre de l'Afrique. Jouer à la sourde oreille, ou vivre dans la chimère de la certitude de pouvoir tout contrôler comme dans les années 60, est pour la France et pour nos dirigeants africains actuels, un risque considérable dont les conséquences sont aujourd'hui difficiles à mesurer. La prestidigitation ne fait plus recette maintenant sauf à nous contraindre avec les chars Leclerc, les paras commandos violeurs, assassins et autres pillards et mercenaires de la Légion Etrangère.
La Côte d'Ivoire de décembre 2005 est un chaudron dont le couvercle n'est maintenu que par l'espoir des ivoiriens de voir l'implication de la communauté internationale produire une solution honorable et acceptable par les ivoiriens. Une solution qui ne soit pas l'objet d'une nécessité de présence perpétuelle d'un contingent de l'Onu pour la protéger. Si telle était le cas, alors l'Onu aura lamentablement échoué en Côte d'Ivoire après qu'elle se soit fourvoyée vis-à-vis du droit international. La Côte d'Ivoire pourrait être un autre Haïti. Et nous y perdrons tous au change.
Dans toutes les capitales des pays francophones africains, la jeunesse est en ébullition, en avant poste des populations, et revendique la même liberté que les jeunes patriotes ivoiriens. Il n'y a pas encore, là bas, de crises ouvertes, mais si le cas de la Côte d'Ivoire ne trouve pas une issue heureuse, il constituera certainement un catalyseur potentiel de crises ouvertes dans les pays voisins. Leur contagion à partir d'Abidjan sera automatique, sournoise et profonde. Ne nous méprenons pas, La crise ivoirienne est une crise d'émancipation qui trouve sa source dans les dérives de la colonisation. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les autres pays africains colonisés par la France réunissent aujourd'hui toutes les conditions pour une explosion sociale, une crise ouverte qui désigne Paris d'un doigt accusateur. La France, peut-elle avoir les moyens de faire face simultanément ou même en cascade à toutes ces crises qui s'annoncent ? C'est maintenant que le sens des responsabilités des dirigeants français doit s'exprimer, afin d'éviter le désastre qui se profile à l'horizon, ici en Afrique mais aussi là bas dans les banlieux. Comme l'a dit Alliot-Marie, Ministre en charge de la défense française, à ses homologues de l'Europe, si l'on n'y prend garde, l'Afrique des prochaines années sera en feu. Ce qu'elle omet d'ajouter, c'est que les populations désigneront Paris comme responsable de ces tragédies. Elle peut se rassurer le feu ne sera ni tribal ni ethnique. L'Inavouable sera connu en temps réel par le monde entier.
Les trois années de crise ivoirienne ont suffisamment démontré qu'il n'y avait pas une opposition entre le nord et le sud de la Côte d'Ivoire, ni une confrontation entre chrétiens et musulmans, encore moins une guerre ethnique, comme Paris s'acharne à le faire croire au reste du monde. Cette crise oppose d'un côté ceux qui veulent sortir de la domination brutale française et revendiquent la pleine souveraineté de la Côte d'Ivoire, la liberté de pensée et de choix pour tous les ivoiriens, et d'un autre côté, ceux qui acceptent de s'appuyer sur cette position indécente de la France pour prendre le pouvoir et permettre aux réseaux maffieux de la françafrique de continuer l'exploitation abusive de nos richesses en dehors de toute règle marchande. Tout le débat est là. Et tant que le droit naturel du peuple ivoirien de gérer sa propre existence ne sera pas accepté par la France, alors le différend persistera entre Paris et Abidjan quelle que soit l'issue de la crise actuelle. Nous sommes peut être parti pour une guerre de cent ans, avec ou sans nous.
La France est-elle prête à garder Licorne en place pendant les trente prochaines années pour protéger une solution imposée non adoptée et non adaptée ?
La France est-elle prête à mettre une force Licorne dans chaque capitale des ses colonies pour le temps qu'il faudra ?
Telles sont les questions graves auxquelles le gouvernement français doit répondre, pour savoir quelle posture adopter dans les années à venir vis-à-vis des colonies. Elles se posent aussi aux populations françaises.
La logique de l'Elysée est que la France a toutes les cartes financière, militaire et diplomatique en main et qu'elle obtiendra au final gain de cause en misant sur l'essoufflement et l'impuissance des patriotes ivoiriens. En face de cette logique d'affrontement que met en œuvre Chirac les ivoiriens sont sereins. Ils savent que leur action s'inscrit dans la durée et que la lutte ne prendra fin que lorsque la Côte d'Ivoire disposera librement d'elle-même en toute responsabilité. La conscience ivoirienne est sortie de la léthargie de ces cinquante dernières années et la brutalité de l'agression française dont elle est victime actuellement lui a procuré la source de motivations nécessaires pour toute la durée de la lutte. Troupe de l'Armée française en CI
En découpant l'Afrique au gré de ses intérêts, la France avait tous les attributs. Aujourd'hui, nous sommes supposés avoir notre indépendance, alors, en vertu de quelles prérogatives la France veut-
elle décider d'accorder une naturalisation massive et automatique à des gens qui ne le demandent pas nécessairement, au mépris de notre Constitution et en malmenant nos Institutions. Comment l'Elysée peut-
elle imaginer que les ivoiriens accepteront sans rien dire qu'on leur impose du jour au lendemain trois millions de nouveaux concitoyens, déséquilibrant ainsi la sociologie nationale. En vertu de quelle loi internationale la France, sur le dos de l'Onu, peut-elle jouer au gendarme et refuser à la Côte d'Ivoire le droit de déterminer qui doit être ivoirien et qui ne peut pas l'être.
Le grand paradoxe, c'est que précisément au même moment, la France se ferme et se barricade, particulièrement face aux jeunes des pays qu'elle veut continuer de coloniser. Le temps du gendarme français poursuivant le patriote africain est révolu !
Si la communauté internationale, sous l'emprise des jeux d'intérêt, laisse se produire en Côte d'Ivoire des choix qui s'opposent à la volonté du peuple ivoirien, elle doit être consciente qu'elle contribue à semer les germes de division qui, même bien des décennies après, seront des causes de conflits que l'on se plaira à qualifier de guerre ethnique, bien qu'ils n'en seront pas. Le drame du génocide rwandais de 1994 a trouvé aussi sa source dans les politiques menées depuis les années 50 par le pays colonisateur. La communauté internationale doit comprendre que la Côte d'Ivoire veut être seule responsable de ses choix. Elle se considère émancipée à quarante-cinq ans, et elle veut se soustraire du colonialisme et surtout de ses perversions que constitue le contrôle de sa pensée, de son orientation politique, de ses richesses et de son économie par la France.
Après autant d'années de luttes âpres, il me semble très difficile que le peuple de Côte d'Ivoire accepte une solution qui ne préserve pas ses intérêts propres. Occulter cette réalité, c'est exposer la Côte d'Ivoire, c'est exposer la sous-région, pas uniquement sur le plan économique, mais également sur le plan de la stabilité sociale, politique et militaire. C'est aussi l'enjeu de ce qui se joue ici.
Que fait l'Onu face à la zone de confiance dont les populations, prises en otages, sont oubliées et abandonnées par tous? Aucune résolution ne reconnaît le droit des populations de ces zones à vivre libre, à circuler librement, à travailler librement et à profiter librement du fruit de leurs travaux et de leurs biens. Et pourtant toutes les résolutions ne visent que l'Etat de Côte d'Ivoire que l'on s'acharne à démanteler. Que fera l'Onu quand il n'y aura plus d'Etat ?
Est elle suffisamment armée pour gérer l'anarchie dans ce pays essentiel de l'Afrique de l'ouest ?
Que fait le Groupe de travail international (Gti) pour les populations prises en otage dans le nord par des rebelles qui, eux, prennent tranquillement le thé au citron et des croissants au beurre, au bord de la piscine de l'hôtel du Golf à Cocody, sous la protection des Casques Bleu de l'Onu?
Que fait l'Onuci face aux pillages de la forêt, du café, du cacao, du diamant, de l'or par le Mali et le Burkina Faso et autres pays de l'Afrique de l'ouest dont les dirigeants sont devenus les grands amis de Chirac ?
Que fait la fameuse communauté internationale quand défile sous ses yeux les dégâts du modèle de développement Colonial de la France ?
Jeu 2 Nov - 10:53 par mihou