Sacrilège d’Etat au Congo Brazzaville : Un mausolée pour Savorgnan de Brazza, colonisateur, auteur de crimes de viols
10/10/2006
Sacrilège et incrédulité ! Trois pays africains, le Congo, le Gabon le Centrafrique brandissant drapeaux et attributs d’indépendance décident d’honorer comme jamais nul ne l’a fait par ailleurs un explorateur, c'est-à-dire un colonisateur, un de ceux qui, aux prix de massacres et de tueries inqualifiables, ont fait rentrer l’Afrique, l’Afrique centrale, dans l’orbite française. Historique ! Pierre Paul Camille Savorgnan de Brazza [1852-1905] avait ouvert la voie au colonialisme français dans ce qui serait plus tard l’Afrique équatoriale française et c’est au moment où l’intelligentsia française signe sa tradition de consanguinité aux crimes du colonialisme en débattant sur ses effets positifs, que d’éminents dirigeants africains refont allégeance à leur mise en tutelle, leur assignation à servitude historique.
Cela ressemble à un scénario de fiction à peine croyable, mais c’est brutalement la vérité. Celle de Brazzaville, capitale du Congo-Brazzaville officiellement créée par De Brazza en 1880, qui le 03 octobre 2006 accueillait les cendres du premier colonisateur français d’origine italienne, d’ailleurs rejeté et tombé dans l’oubli depuis dans son propre pays d’adoption la France.
Le Congo-Brazzaville trop démocratiquement dirigé par M. Sassou Nguesso, n’a pas recouvré d’une guerre civile extrêmement meurtrière à la fin des années 90 qui fit des milliers de victimes et détruisit un pays où règne désormais, avec la désolation, le maître des céans, sans partage ni cadre institutionnel d’expression collective. Ce Congo-là ne trouve pas mieux à faire, -on penserait banalement à la création des conditions durables pour une réconciliation nationale véritable- que de dépenser six millions d’euros co-financés par la France et le Gabon dans une construction gigantesque en marbre à la mémoire de Sarvorgnan de Brazza ré-inhumé avec sa famille sur les rives du fleuve Congo. A la bêtise politique s’ajoute le sacrilège d’Etat, avec la participation active de la puissance coloniale…
Voilà en effet un an que cette question de la ré-inhumation de Pierre Savorgnan de Brazza agite une partie des dirigeants pro-colonialistes français, congolais et gabonais. Les cendres auraient du être rapatriées à l’occasion du centenaire de la mort du colonisateur en 2005 mais des problèmes semblent-ils seraient survenus avec la famille des descendants du roi Makoko qui fut amené à céder [?] son royaume à la France, en en faisant un protectorat.
En février 2005 à Brazzaville les présidents français, congolais et gabonais posaient la première pierre de l’encore futur mausolée De Brazza et l’église catholique locale, rarement en avance d’un train de l’histoire comme son obligée vaticane, s’apprêtait à lancer en juillet de la même année l’étude de la béatification de l’«explorateur» qui eut pourtant recours, à l’instar des autres, aux armes à feu pour percer les secrets de la forêt équatoriale et de ses civilisations. Une maladie que cette Brazzamania politique soudaine qui pourrait cacher des enjeux d’une nature inavouée [détournements financiers, affiliation maçonnique -De Brazza et les présidents associés à cette commémoration étant des frères «lumière»] tant les acteurs de ces mises en scène obscènes ne se sont jamais fait remarqué ni pour leurs sens des commémorations -si ce n’est de leurs mythologies personnelles-, ni pour leur passion désintéressée en de quelconque objets collectifs.
Un vent d’indignation salvatrice heureusement traverse tout de même le Congo et ses élites, et naturellement les Françafricains en faction n’en ont aucune cure. L’historien, égyptologue et linguiste Théophile Obenga s’insurge avec autorité contre cette insulte au peuple congolais et africain tout entier, alors que des vies sont tombées sur le champs de bataille de l’anticolonialisme, elles sont rayées et effacées par des décisions françafricaines si humiliantes : mettre à l’honneur le pionnier de la colonisation dans le pays colonisé. Comparativement, la France qui se prête à ce sacrilège devrait méditer l’idée d’un mausolée sur son sol pour les soldats allemands qui l’ont envahie en 1939-45.
Théophile Obenga a fait des révélations historiques d’une gravité particulièrement lourde sur la mission et les conditions criminelles de la mission de De Brazza au Congo publiées dans une vidéo iconoclaste par le site Congopage et reprise sur Mwinda.org le 28.09.06 [http://www.mwinda.org/article/obenga.html]. Selon l’historien qui a au préalable exposé sa méthode d’enquête de terrain et les sources écrites et orales existantes sur De Brazza, la mission de l’explorateur a été marquée par des crimes de viols commis par de Brazza, «connus de tous» mais appartenant au non dit de l’histoire congolaise.
En effet, la vie des «explorateurs» n’a jamais été celle des fictions libertaires qui dépeignent des hommes épris de liberté et de rencontre entre les peuples. Au contraire, il s’est toujours agit d’experts au maniement des armes, marins et guerroyeurs, frustres personnages ne reculant devant aucune horreur pour obtenir des informations, des capitulations, des protectorats.
C’est ainsi que De Brazza, a violé une princesse Batéké à Mbé, chargée du feu royal. Il séjournait à la cours sous la protection du souverain et posa cet acte criminel qui eut des conséquences énormes dans l’équilibre même des institutions symboliques du pouvoir. Cette princesse, attachée au feu royal était vierge, comme le veut la tradition qui accorde à cet état le privilège de protéger l’incandescence du royaume et du souverain devant les mânes et les forces surnaturelles. L’acte de De Brazza, du point de vue de la tradition faisait donc basculer la monarchie, obscurcissant son pouvoir mystique. C’est pour cela que, à titre de compensation symbolique, De Brazza offrit son casque colonial, présenté comme un équivalent du feu royal, dépositaire des attributs du pouvoir des Blancs aux Tékés. Ceci explique que la femme du roi Téké -détentrice effective du pouvoir- porte, et c’est un fait rare sinon unique selon le professeur Obenga, le casque colonial laissé par De Brazza. Mais il est probable que l’un ne valait guère l’autre, puisqu’un tel sacrilège était considéré dans la tradition comme apocalyptique, le feu royal étant celui de la vie même du royaume et de ses protecteurs invisibles, sa souillure ne pouvait qu’exposer au pire…
Théophile Obenga est très prolixe sur cette question et sur les récidives de De Brazza sur ce terrain criminel, il relève la haine de soi qui caractérise une société [politique] qui rend un honneur pharaonique à quelqu’un qui a violé une de ses princesses, et qui plonge dans l’oubli ses propres enfants, ceux qui tant bien que mal ont de fait contribué au Congo d’aujourd’hui.
Ce qui est grave c’est que le Congo n’est pas un micro climat de cette haine de soi, elle est la trace même des colonisations réussies, entretenues, auto-entretenues par les élites somnambules des rapports d’aliénation et de sujétion.
Le 21 septembre à l’Unesco lors du cinquantenaire du premier congrès des écrivains et artistes noirs de 1956, le juriste et avocat angolais Manuel Jorge, auteur d’un ouvrage dit de référence «Pour comprendre l’Angola» paru chez Présence africaine [2003], expliquait avec suffisance et déclamation que l’ingérence -étrangère- pouvait renforcer la souveraineté des peuples africains ! Il confirmait sa pensée inoubliable en affirmant que si l’Afrique était dans la situation actuelle c’était bien parce qu’elle manquait de vertu et ne fonctionnait que selon le vice. Nous parlons d’un «intellectuel» enseignant dans une université française dont le pays a été ravagé par une lutte de libération contre le colon portugais puis déchiré dans une guerre civile où les intérêts étrangers furent très efficaces à faire durer le conflit tout en pillant le diamant local... Au vu et au su de tous, sauf de Manuel Jorge.
Comme quoi les présidents congolais, gabonais, centrafricains ne sont pas des cas isolés. Ce n’est en rien démoralisant, cela donne en grandeur nature les dimensions du travail de conscience, de mémoire, d’histoire, de vérité, d’éthique, à accomplir pour parvenir à des sociétés qui de nouveau s’aimeront et s’accorderont la dignité immanente d’être libres, d’être.
Afrikara
Ven 13 Oct - 10:35 par mihou