Les populations noires et le logement en France
01/11/2006
Lucien Pambou revient sur l'épineux problème du logement en France qui a spectaculairement affecté certains africains dans les derniers mois
Par Lucien Pambou
Après les incendies des mal logés du boulevard Vincent Auriol en 2005 et le squat de Cachan en 2006, la question du logement est au cœur des discriminations dont souffrent les populations noires en France.
Le logement est à la fois une question historique, économique, politique et sociale. Historique car les discriminations dont sont victimes aujourd’hui les populations noires, d’autres populations d’Europe de l’Est en ont payé le prix en habitant en France au moment de la reconstruction.
Des squats concernant des populations européennes ont brûlé en France au nom de la logique économique qui voulait que la main d’œuvre française autochtone considére ces populations comme allogènes. Ces discriminations aujourd’hui portent sur les populations noires plus visibles dans l’espace. Sur le plan économique, la question du logement est à la conjonction de deux préoccupations : celle du marché, c'est-à-dire des promoteurs privés qui doivent à tout prix rentabiliser les espaces de construction qu’ils obtiennent en édifiant des structures qui profitent plus aux classes moyennes et aisées et l’autre versant économique du logement est le fait des pouvoirs publics qui, par faute d’imagination et de ressources financières, se contentent de constater de façon implicite que la politique du logement leur échappe et qu’il ne leur reste que le discours faute de moyens et d’initiatives.
Sur les plans politique et social, le logement est le lieu de débat et de confrontation entre les associations en charge de ces questions auprès des immigrés, comme le DAL, et les pouvoirs publics. Dans ce débat, plus de moyens que de résultats. Les associations noires sont absentes alors que les populations qu’elles disent représenter sont les premières victimes. Les associations noires peuvent dénoncer l’absence de résultats et de politique gouvernementale, or force est de constater que dans ce domaine les prises de position radiophoniques des responsables d’associations ne sont que des prêches sans lendemain par manque de moyens et de stratégie. Comment remettre la question du logement, qui après l’emploi et peut-être demain l’éducation, est l’une des questions centrales concernant l’intégration des populations noires en France ? Dépassons les faux débats du type : population noire née en France ou population noire immigrée venant d’ailleurs. La question essentielle est celle concernant les populations noires résidentes et citoyennes sociales.
Que faire ? Les propositions que j’ avance sont des éléments de réflexion et de débat que les associations noires représentatives se doivent d’utiliser en fonction de leurs structures, de l’état d’avancement de la question au sein de leurs membres et du désir qu’elles ont de travailler pour la dignité des populations noires. La question noire au cours des années 90 et 2000 a permis à des associations nouvelles comme le Cran (conseil représentatif des associations noires) d’exister. Le Cran va fêter son premier anniversaire au mois de novembre. C’est une fédération jeune qui, avec d’autres associations plus anciennes concernées par les questions noires, doit se saisir cette problématique du logement pour la faire exister non pas simplement dans les colloques mais surtout dans l’action. Voici quelques éléments d’appréciations et d’organisation.
Les associations noires doivent dire haut et fort que les populations noires sont une composante de la République, ce qu’elles disent déjà, elles doivent aller plus loin en demandant aux populations noires d’intégrer les éléments de responsabilité et d’organisation stratégique quant à la problématique du logement. Concrètement, le logement doit devenir une préoccupation centrale des associations noires en France. Elles doivent débattre de cette question pour s’organiser. La plupart des populations noires issues de l’Afrique de l’Ouest sont habituées à vivre en collectivité.
Rien de mal à cela, or la France est un pays où le modèle individualiste est un élément sociologique important. Il existe autour des populations noires issues d’Afrique de l’Ouest des hommes et des femmes responsables d’associations, capables d’organiser les conditions d’une mise en commun des fonds financiers, la précision est importante, pour créer les conditions d’achat d’appartement en s’appuyant les mécanismes traditionnels de la tontine. Certains de nos amis noirs de peau du Sud-Est asiatique ou du Moyen-Orient, comme les Tamouls, les Indiens ou les Pakistanais, arrivent à créer des conditions d’un habitat social mutualisé pour vivre soit en groupe, soit de façon individuelle dans des habitats financés par l’organisation collective. Il faut dépasser les schèmes des mentalités françaises que nous critiquons, que la colonisation et la décolonisation nous font exister comme des miroirs de référence, même si nous les dénonçons dans nos interventions radiophoniques et télévisuelles. La guerre mémorielle est une chose qu’il ne faut pas laisser tomber, mais avant d’arriver à des succès probants, n’oublions pas de vivre dans la société, n’oublions de nous loger de façon décente. Une fois que les stratégies visibles seront mises en place, une fois que les actions concrètes seront prises, nous serons alors plus forts pour interroger et pour obliger les pouvoirs politiques et les élus lors d’une conférence nationale réunissant les associations noires sur la question du logement.
On peut demander aux partis politiques ce qu’ils sont prêts à faire pour nous, sortons de ce schéma d’assistanat chronique et traditionnel pour dire à la face de la France : voici ce que nous avons commencé à faire au niveau du logement et les populations noires attendent au nom de la solidarité que leurs actions de départ soient encouragées par des initiatives gouvernementales. Il faut développer une culture de l’anticipation et de l’initiative auprès des associations noires. Une fois les actions prises, une conférence sur la question du logement devient nécessaire. Cette conférence sera aussi le moment pour les associations noires d’insister sur la diversité comme moyen de promouvoir l’égalité républicaine. Les associations noires auront gagné, montré qu’elles sont responsables, qu’elles sont capables d’actes et non plus simplement d’incantations, qu’elles peuvent se réunir sur l’essentiel afin de promouvoir l’image positive du noir dans la République, image qui reste pour l’instant floue et dans certains cas en dessous de tout. Ce n’est pas du pessimisme mais du réalisme pour l’action.
Lucien Pambou est administrateur du CRAN, Conseil Représentatif des Associations Noires, membre fondateur, ancien secrétaire général
Professeur d’économie et de Sciences politiques
http://www.grioo.com/info8307.html