Le fin mot de l'histoire: Alea jacta est (Le sort en est jeté!) -- Jules César
Pierre Rousseau
Historien et archiviste
Édition du lundi 28 juillet 2003
L'histoire, la grande, retient souvent quelques phrases qui traversent le temps mais dont le contexte s'efface des mémoires. Le Devoir publie, tous les lundis de l'été, des textes qui rappellent où, quand, comment, pourquoi des paroles qui deviendront célèbres ont été prononcées.
En 58 avant Jésus-Christ, Jules César devient proconsul de la Gaule cisalpine, région située en deçà des Alpes, dans le nord de l'Italie actuelle. Cette charge lui permet d'exercer, dans les limites de cette province romaine, les pouvoirs civils, judiciaires et, bien sûr, militaires. La gloire militaire étant à l'époque un excellent moyen d'accéder aux plus hautes charges de l'État, César profite de l'occasion qui lui est offerte pour entreprendre la conquête de toute la Gaule. Une victoire sur les Gaulois lui permettrait d'accroître son prestige et peut-être même de surpasser celui de Pompée qui, quelques années auparavant, a conquis l'Orient. César se lance donc à l'assaut de cette Gaule libre que Rome n'a pas encore soumise. C'est le début de la célèbre «guerre des Gaules». Elle durera près de dix ans.
Au cours des premières années, tout va bien pour César. Et comme prévu, son prestige et sa gloire ne cessent de croître auprès du peuple de Rome. Mais durant l'hiver 54-53, il connaît de sérieuses difficultés alors que des troupes romaines sont anéanties dans le nord-ouest de la Gaule. Encouragés par de tels succès, de nombreux peuples gaulois s'unissent et se révoltent contre l'envahisseur romain. À la tête de ce soulèvement se trouve le chef du peuple arverne, le jeune Vercingétorix. Espérant conjurer le mauvais sort, César décide de passer à l'offensive. Il se porte alors sous les murs de la capitale arverne, Gergovie. Après de rudes combats, il est contraint de battre en retraite. C'est le pire échec de toute sa carrière. Mais les dieux ne sont pas très loin et vont bientôt lui accorder à nouveau leur soutien. Vercingétorix, en effet, estime que la victoire est incomplète et décide de poursuivre César. Il le rejoint et charge l'armée romaine avec sa cavalerie. L'attaque échoue et les Gaulois doivent se replier et s'enfermer dans Alésia. César assiège aussitôt la ville. Après un peu plus de six semaines de siège, Vercingétorix et ses guerriers, isolés et n'ayant plus de vivre, tentent quelques courageuses sorties. Elles tournent toutes à l'échec. Vaincus, les Gaulois capitulent. Vercingétorix restera six ans prisonnier à Rome avant d'être mis à mort. Il avait environ 26 ans.
À la fin de l'an 52 avant Jésus-Christ, la Gaule, mis à part quelques révoltes sporadiques d'irréductibles Gaulois, est conquise. De cette campagne, longue et difficile, César revient avec une énorme puissance. Il dispose d'un butin considérable mais, surtout, il se retrouve à la tête de plusieurs légions réputées invincibles et dont les hommes sont dévoués corps et âme à leur chef. Mais au cours de cette même année, Rome connaît de nombreux troubles. Des partis s'opposent activement et la ville est le théâtre d'émeutes et de bagarres quotidiennes. Le Sénat, dans l'espoir de mettre un terme à tous ces débordements de violence, accorde les pleins pouvoirs à Pompée, qui se retrouve seul aux commandes de l'État.
Mais à la tête de ses troupes, l'ambitieux César représente une menace pour l'État et, par le fait même, pour Pompée. Ce dernier prend donc l'initiative et presse le Sénat de sommer César d'abandonner son commandement et de licencier son armée. Rentrer à Rome sans la protection et l'appui de ses fidèles soldats, c'est, pour César, se livrer pieds et poings liés à ses adversaires. Il décide donc de transgresser les ordres. Dans la nuit du 11 au 12 janvier 49, César s'adresse à ses légionnaires : «Jusqu'à ce moment, nous pouvons encore revenir en arrière. Mais une fois passé ce pont, tout devra être réglé par les armes... Allons où nous appellent les signes des dieux et l'injustice de nos ennemis.» Puis, tout juste avant de faire le pas décisif, il lance : «Le sort en est jeté (Alea jacta est).» À la tête de sa XIIIe légion, César franchit alors le Rubicon, ce petit fleuve qui marque la frontière entre la province gauloise et le territoire métropolitain.
La République romaine avait prévu cette situation où un chef militaire à la tête d'une armée victorieuse se retrouverait aux frontières du pays. Pour apaiser la convoitise d'un chef trop avide de pouvoir, le Sénat avait voté une loi interdisant à tout général romain de franchir, à la tête de ses troupes et sans en avoir reçu l'ordre, la frontière séparant sa province du territoire métropolitain. Par le geste qu'il vient de faire, César s'est donc rendu hors la loi. Mais il a pris sa décision et marche résolument sur Rome. Il lui faudra quatre années pour venir à bout des armées pompéiennes et ainsi se hisser au sommet de l'État romain. Dans sa longue marche vers le pouvoir, César s'empare d'abord de l'Italie. Ceci lui permet, à la fin de 49, de rentrer à Rome en conquérant et, l'année suivante, de se faire octroyer le consulat, c'est-à-dire l'autorité suprême, qu'il doit toutefois assumer en association avec un autre magistrat. Tout cela lui permet également de renouer avec la légalité. Pompée, qui a fui Rome avant l'arrivée de César, n'est plus alors qu'un usurpateur. C'est donc tout à fait légitimement que César se dispose à en finir avec son rival. Ainsi, dans le petit matin d'une journée d'été de l'an 48, deux armées romaines se font face dans la plaine de Pharsale, en Thessalie (Grèce). À midi, tout est terminé. Les troupes de Pompée n'ont pas fait le poids devant les vieux légionnaires de César rescapés de tant de guerres. Pompée s'enfuit alors en Égypte où il est assassiné par les agents du roi Ptolémée XIV, époux et frère de Cléopâtre.
Débarrassé de son rival, César doit maintenant réduire le parti pompéien, qui tente de se regrouper. C'est d'abord une victoire à Thapsus en Afrique. Puis enfin la bataille victorieuse et décisive contre les deux fils de Pompée à Munda, en Espagne. En 45 avant Jésus-Christ, César peut regagner l'Italie en triomphateur.
Détenant désormais la force des armes, la richesse et l'appui du peuple, César est bel et bien le maître incontesté de Rome.
Le fin mot de l'histoire: «Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur» -- Winston Churchill
Pierre Rousseau
Historien et archiviste
Mer 30 Aoû - 1:31 par mihou