La guerre des images dans le conflit libanais
Amaury de Rochegonde
L’image est souvent l’information la plus difficile à maîtriser dans un conflit comme celui du Liban car c’est souvent le principal vecteur de l’émotion. Dans une situation compliquée, comme celle qui a vu s’affronter un pays, Israël, et une organisation, le Hezbollah, l’image joue un rôle d’autant plus crucial que c’est souvent la seule chose que retiendront les lecteurs ou les téléspectateurs distraits par le flot de nouvelles qui leur arrive chaque jour. Or, ces images, les médias américains comme européens ont dû les manier avec d’infinies précautions car elles avaient le pouvoir d’influencer fortement l’opinion.
La plupart du temps, les grands médias qui se veulent impartiaux ont donc marqué leur volonté d’apporter une couverture équilibrée en montrant tantôt les conséquences des bombardements sur Beyrouth tantôt les dégâts des roquettes du Hezbollah sur Israël. C’est notamment le cas de la chaîne ABC, de Time ou du New York Times qui se sont faits forts de montrer les deux côtés de la guerre en alternant les images sur le Liban ou sur Israël.
Cette approche, qui se veut équitable, n’en est pas moins fortement contestée. Nombreux sont ainsi au Liban ceux qui dénoncent cette vision qui met sur le même plan une offensive militaire d’un état souverain qui a fait un millier de morts, dont une majorité de civils, et des attaques sporadiques du Hezbollah qui ont fait 150 morts dont une majorité de militaires. Roger Assaf, le directeur du théâtre de Beyrouth, a même envoyé un communiqué intitulé « Messieurs de TF1 faite votre métier correctement ou taisez-vous ». Il dénonçait la couverture par la Une d’une attaque présentée comme l’enlèvement par Tsahal de cinq membres du Hezbollah qui aurait fait 17 morts dont huit enfants.
A l’inverse, comme le rappelle le New York Times, les pro-isréaliens estiment qu’on ne peut pas mettre sur un même plan un état démocratique qui exerce, je cite, son droit à l’autodéfense alors que le Hezbollah est une organisation terroriste qui utilise le peuple libanais comme bouclier humain. Mais cet argument se retourne aussi facilement. Car c’est bien avec sa responsabilité d’Etat qu’Israël se rend coupable des meurtres de civils même si le Hezbollah terroriste n’en est pas moins condamnable. Les éditorialistes ne l’ont peut-être pas suffisamment rappelé alors que leurs médias s’efforçaient de montrer tous les aspects d’une même guerre.
Le conflit libanais a également mis à jour un cas de manipulation de l’information. Il s’agit d’une photo de l’agence Reuters, prise ce mois-ci par un pigiste libanais. Elle montrait Beyrouth dans les flammes mais pour donner un peu plus de relief et de contraste à son cliché, le photographe avait noirci les flammes, ce qui donnait encore plus de gravité à cette image. C’est un bloggeur, grand utilisateur du logiciel de retouche d’image Photoshop qui a découvert le pot aux roses. Le pigiste a été licencié, le bloggeur félicité et les journaux sont désormais suspectés d’utiliser des photos truquées non détectées.
Le problème, c’est que c’est finalement les blogs, malgré leur lot habituel d’inepties, qui font la leçon à la presse. Du coup, les agences peuvent être tentées de ne plus faire appel à des collaborateurs locaux alors que ce sont souvent eux, par leur connaissance du terrain, qui évitent aux médias embarqués d’être manipulés. Finalement, c’est peut-être la démission de la presse devant les difficultés d’une couverture de guerre qui pose le plus de problèmes. Il suffit de voir la rareté des Unes consacrés ce mois-ci au Liban par les magazines français pour s’en convaincre.
En partenariat avec l’hebdomadaire Stratégies
par Amaury de Rochegonde
[26/08/2006]
http://www.rfi.fr/actufr/articles/080/article_45773.asp