Le Devoir
PERSPECTIVES, samedi 12 août 2006, p. b3
Le Liban redoute le réveil de ses vieux démons
Une fois la guerre finie, la solidarité pourrait laisser la place aux divisions intercommunautaires
Isabelle DELLERBA, Libération
Beyrouth - Des Libanais aidant d'autres Libanais malgré les rancoeurs de la guerre civile, ce sont les images qui défilent sur tous les écrans télévisés du monde. Pourtant, derrière la solidarité affichée se cache une autre réalité. Celle de l'angoisse de l'après-guerre. Que se passera-t-il quand le bruit des armes se sera tu?
Les Beyrouthins ont de plus en plus peur que de nouvelles divisions surgissent une fois que l'émotion des premières semaines laissera place à un problème bien concret: la nécessité de reconstruire un État.
Dans son immense majorité, la population non chiite ne supporte plus l'idée que le Hezbollah puisse conserver son arsenal militaire. «Nous refusons qu'un parti qui ne nous représente pas ait la possibilité d'entraîner tout un pays dans la guerre», dit Sami Nader, un politicien proche de la majorité parlementaire. Et, surtout, chrétiens, sunnites et druzes sont exaspérés par le fait que seule l'une des communautés confessionnelles dispose d'une puissance de feu.
Cheval de Troie
Il y a quelques mois, des élus de la majorité parlementaire, portée au pouvoir l'année dernière après le départ des troupes syriennes du Liban, ont commencé à réclamer l'application de la résolution 1559, adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU en septembre 2004, qui demande «que toutes les milices libanaises et non libanaises soient dissoutes et désarmées». Le chef druze Walid Joumblatt, qui considère le Hezbollah comme un dangereux cheval de Troie syro-iranien à l'intérieur du pays, fut l'un des premiers à oser défendre, haut et fort, cette position. Oser, car l'aile militaire du parti de Dieu fait office de résistance officielle au Liban, celle qui se bat pour le retrait de Tsahal des fermes de Chebaa, occupées depuis 1967, pour le retour des prisonniers libanais détenus dans des geôles de l'État hébreu et pour la défense du territoire national.
Depuis mars, les leaders politiques de tous bords, dont le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avaient entrepris de débattre du problème. Il fut alors question de définir une stratégie de défense nationale qui permettrait de placer les combattants intégristes sous l'autorité de l'armée, et surtout de délimiter les frontières du pays. En effet, aux yeux de la communauté internationale, les fermes de Chebaa sont syriennes.
Dès lors, aucune démarche ne pouvait être lancée, au nom du Liban, pour obtenir un retrait israélien de ces quelques kilomètres carrés. La guerre a chamboulé les cartes. Évoquer, aujourd'hui, le désarmement de la «résistance», alors que l'aviation israélienne détruit chaque jour davantage le pays et a déjà tué plus d'un millier de civils, est hors de propos pour les responsables.
Sale boulot
Malgré tout, les Libanais non chiites en veulent au parti de Dieu, et si, dans les mois qui viennent, le gouvernement n'arrive pas à convaincre le mouvement de Hassan Nasrallah d'abandonner son arsenal pacifiquement, une petite minorité de chrétiens, de sunnites ou de druzes est désormais prête à ]en découdre par la force avec la milice.
«Des gens viennent nous réclamer des armes», s'inquiète, sous le couvert de l'anonymat, un responsable du Courant du futur, le parti de l'ancien premier ministre assassiné Rafic Hariri.
Pour l'instant, les velléités des uns et des autres restent à l'état de projet parce que beaucoup pensent qu'Israël espère justement que les Libanais finiront eux-mêmes le sale boulot en partant à la chasse aux combattants chiites. Parce que les différents chefs confessionnels n'ont eu de cesse de prôner la solidarité. Enfin, et surtout, parce que chacun croit encore en une solution
politique.
Les cartes sont désormais entre les mains des Nations unies. Si celles-ci n'imposent pas à l'armée israélienne de se retirer du territoire libanais, y compris des fermes de Chebaa, le Hezbollah n'aura aucune raison de renoncer à son arsenal militaire et le gouvernement de Fouad Siniora aura toutes les peines du monde à faire aboutir un processus de négociation vital pour l'avenir du pays.
Catégorie : Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Frontières et territoires; Conflits armés
Type(s) d'article : Article
Taille : Moyen, 496 mots
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Doc. : news·20060812·LE·115734