Cap sur 2007 : En attendant le réveil des Damnés du Derme
09/01/2006
L’an 202 de l’avènement de la première république contemporaine noire, Haïti, s’ouvre sur des chemins et un horizon indécis que les Noirs de France et des Outre-Mers devront travailler d’arrache-pied à gagner à leurs causes communes. Et les élections présidentielles de 2007, en tête de cortège d’une cascade d’autres élections de représentants de la république française annonceront probablement le la d’un début de recomposition du paysage politique, peut-être pas révolutionnaire, mais possiblement significatif, fondateur. Il ne tiendra en tous cas qu’aux Damnés du Derme d’être présents à ce rendez-vous de l’histoire, massivement et dans un esprit de responsabilité.
L’année 2005 écoulée restera dramatiquement monstrueuse, incarnant les contraires, le pire et le meilleur, à coup sûr une année où la question noire aura été débattue davantage que les 20 dernières années réunies !
Les négritudes, non point littéraires mais bien celles du phénotype, ainsi du champ infini des charges quasi pénales qu’elles transportent à travers l’histoire, sont redécouvertes telles qu’en elles, nues devant le déchaînement des éléments, des catastrophes, des stigmatisations.
De l’ouragan Katrina dans le Sud des Etats-Unis, comme programmé pour exterminer de la négritude aux incendies parisiens, ethniquement sélectifs [et dont on attend toujours les résultats d’enquête], des crashs aériens africains répliquant cyniquement à celui du Venezuela qui endeuillait toute la Martinique, une chape de plomb, telle un sort macabre a semblé s’acharner sur les Mélanodermes.
Ces Damnés du Derme ont dû encore courber l’échine, s’effacer, faire le dos rond devant le déferlement d’insultes médiatiques et bientôt cotées en bourse, en provenance tantôt des aristocrates rentiers de la parole, prolixes sous le paraphe de leur élection à l’intelligentsia blanco-française, tantôt, le zeste de science en moins, des politiques attirés par la lueur de l’évènement à hypertrophier. Affronter les crachats et éructations d’élus jetés tels des canins enragés dans une course au plus négrophobe fut le sort peu enviable de bien des « sans », noirs cirés ou teintés légèrement. Electoraliste est l’exercice, chacun le sait.
Alors que de ces nègres jetés en pâture, leur dignité couverte de fèces, leur intimité passée sous l’urinoir des télévisions, les médias et politiques se donnaient à rutiler pareillement à des montres en toc, s’échouaient aux barricades de l’Europe, avec pertes et fracas, des vagues presque sauvages d’immigrations africaines. Clandestines. Le tout en prime time. Apocalyptique, négritudes pétrifiées, écrasées, tirées au canon, agonisantes, langues pendues… exposées au regard de millions de téléspectateurs.
En face de ces déferlements qui passeraient pour organisés si un film déroulait mécaniquement la séquence lourde des événements de 2005, des incendies, crashs aériens, ouragans, injures officielles, stigmatisations publiques, colonnes de réfugiés refoulés dans le désert, pour une fois, autre chose que Rien !
2005 a été, par l’autre versant, l’année des réactions, des prises de position -insuffisantes mais réelles-, celle des combats autour de la mémoire, de l’interdiction de fait de la marchandisation des archives de la traite négrière, celle des répliques intellectuelles qui ont fait fondre la consistance hâtivement présumée des icônes du microcosme, Finkielkrault en premier.
2005 a apporté une cuvée régénératrice d’actions militantes, encore balbutiantes, mal coordonnées, reposant sur des bases institutionnelles et associatives fébriles mais dont l’énergie et l’envie d’affronter les iniquités banalisées et mélanophobies routinières a plusieurs fois fait vaciller le consensus monochrome.
Les COFFAD, MNH, les associations de défense de la mémoire, mouvements pour les réparations, la Martinique combattante, à elle seule résumé fidèle du meilleur des réactions aux agressions raciales et au mépris d’Etat, tant d’acteurs individuels et collectifs qui ont mis leur millième de souffle dans la bataille. Et si Césaire s’y est mis, expulsant le ministre de l’intérieur d’une visite politicienne en Martinique, comme un vulgaire sans-papiers, c’est dire si la situation l’exigeait.
Qu’un Claude Ribbe, malgré des attitudes par ailleurs au moins déroutantes sinon décevantes ait à lui tout seul interdit Napoléon d’un sacre supplémentaire, lui ôtant les honneurs des officiels de la république est immense, on ne devrait pas l’oublier. Quel que soit son ancrage politique ou associatif actuel, celui qui s’est permis de pourrir la Napoléonite ambiante depuis 5 ans se présentait encore jusqu’à peu comme Guadeloupéen, Français, Descendant d’Africain. Avec de telles coordonnées on ne trouble les agapes des intouchables de la Grande France… et pourtant.
L’humoriste Mbala Mbala, fourvoyé depuis dans une conversion récente et suspecte contre la loi Taubira au nom de laquelle il n’a cessé de réclamer des moyens pour un film sur le Code noir [ ?] aura joué les éclaireurs, ou les déménageurs, selon. Eléphant fier dans un magasin de porcelaine, il aura focalisé une attention nationale sur sa personne et sur les thèmes qu’il a opportunément développé, contribuant de façon décisive à raturer le black-out sur la question de la place des Noirs dans la société française. Et les émeutes de banlieues, tout en participant involontairement de la communication extrême droitière du gouvernement, ont présenté un visage de révolte et de frilosité de la puissance publique, impuissante face aux mots qu’elle a générés et depuis lors perdue dans des intimidations verbales oiseuses.
Une année 202 après l’avènement de la république de Haïti où les mobilisations des nègres ont enfin franchi le rubicond en passant à l’action judiciaire, avec Dieudonné, le COFFAD ou le MNH ... Un progrès incontestable à confirmer au cours d’une année 2006 prometteuse pour les avocats intéressés. La création d’une fédération d’associations communautaires, le CRAN, souhaitée par beaucoup sur le fond mais guère crédible sur la forme et le casting administratif, s’inscrit autant dans l’avenir en tant que mode d’institutionnalisation, qu’elle risquerait de se condamner à la mort subite si elle ne mettait pas son encadrement et ses missions à la mesure des demandes sociales urgentes …
Le haut du pavé, à bonne distance aura été tenu, sans surprise par Christiane Nzinga Taubira tant dans le travail parlementaire [ovationnée après sa prise de parole lors du débat pour l’abrogation de la loi du 23 février 05], que dans l’action de terrain auprès des associations, son implication brillante dans le débat républicain et intellectuel se faisant à son avantage écrasant, corrigeant les effets désastreux des manioco-dépressifs, fière plagiaire, Soppo-soporique et autres négro empêtrés et grenouillant, aspirant sûrement à une papauté universitaire… ou à un prix vide émanant d’une «anomalie» républicaine, le Sénat.
2006 devra confirmer ces frémissements, ces négritudes en phase de combats, de végétation, d’éclosion au jour de l’action positive et non plus simplement acteurs de réaction, fondamentalement en retard sur le sens des événements.
La nécessité de protéger «le meilleur d’entre nous» qui se trouve être «la meilleure d’entre nous» est patente, tant est imaginable et à portée [même passablement sportive] de négritudes, un[e] candidat[e] noir[e] à l’élection présidentielle terminant autour de 7% des suffrages exprimés. A partir de ce poids électoral effectif critique, des exigences de projets, de lois, de nominations, de politiques pourront tenir en joue les élus, les forçant à intégrer l’agenda des Damnés du Derme, même si le tout ne se limitera pas au politique. Ceci passera par une double mobilisation digne de véritables campagnes de pression, de lobbying et de sensibilisation populaire, l’une pour renforcer la loi Taubira, l’autre pour l’abrogation de la loi du 23 février, loi justement nommée loi de la Honte par le Comité Devoir de Mémoire de Martinique.
La créativité, mais d’abord la mobilisation et le savoir-faire organisationnel dont les Noirs de France devront faire montre en 2006, derrière le slogan «Renforcer le 10 Mai, Abroger le 23 février», seront un test et un défi posé à la capacité collective à soutenir et porter une candidature nationale aux échéances présidentielles de 2007.
Afrikara
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