Vu du Liban
La guerre est une aubaine pour la Syrie et l'Iran. Cela, Bernard-Henri
Lévy ne l'a pas compris
J'ai toujours respecté les prises de position de M. Bernard-Henri Lévy
concernant l'ex-Yougoslavie ou la Tchétchénie et sa volonté d'être, comme le
disait Sartre, " en situation dans son époque ". Peu d'écrivains, aujourd'hui,
savent encore se mobiliser pour une cause, monter au créneau, comme il le fait.
Et quand il affirme que les civils israéliens souffrent aussi, quand il évoque
l'existence d'un " fascisme islamiste " (mais le mot " extrémisme " n'est-il pas
suffisamment éloquent ?), il est difficile de ne pas lui donner raison. Mais
quand il reproche au Liban d'avoir " permis à une milice armée (le Hezbollah) de
bâtir son Etat dans l'Etat " (Le Monde du 28 juillet), il se trompe.
Le Hezbollah s'est développé à l'ombre de l'occupation syrienne, avec le
soutien de l'Iran, deux pays qui ont toujours cherché à déstabiliser le pays du
Cèdre. En outre, c'est à la communauté internationale, qui, aujourd'hui, voue le
Hezbollah aux gémonies, de répondre à cette question : pourquoi a-t-elle croisé
les bras pendant un quart de siècle ? Et pourquoi les Etats-Unis ont-ils réitéré
ce qui s'est produit avec les talibans en Afghanistan et fermé les yeux pendant
si longtemps sur un phénomène qu'ils jugent à présent inacceptable ?
En 1996, lors de son passage à Beyrouth, l'ancien ministre Jacques Toubon
avait répondu à la question d'un journaliste : " Considérez-vous le Hezbollah
comme une organisation terroriste ou comme un mouvement de résistance à
l'occupation ? " par cette réplique : " C'est une organisation terroriste. Point
final. " Pourquoi, dès lors, a-t-on laissé prospérer cette organisation qui
s'est enracinée dans les régions les plus défavorisées du Liban et a réussi à se
créer une respectabilité en envoyant des députés au Parlement et des ministres
au gouvernement ?
Si la Syrie n'avait pas eu les mains libres au Liban pendant plus de
trente ans, de connivence avec les Etats-Unis et peut-être Israël, nous n'en
serions sans doute pas là... Mais trêve de regrets. Regardons les choses en face
: éradiquer le Hezbollah est une illusion. Il est trop tard. Face à une telle
guérilla, bien armée, bien organisée, beaucoup plus difficile à mater qu'une
armée régulière, Tsahal risque de se casser les dents.
Aussi, qu'on le veuille ou pas, le Hezbollah est devenu si bien ancré dans
la communauté chiite au Liban, et donc au sein de la société libanaise, qu'il
est désormais impossible de le " déraciner ". La force ne résoudra rien. La
provocation du Hezbollah est certes condamnable, surtout qu'elle a fait fi de la
volonté du gouvernement libanais et foulé aux pieds le " dialogue national "
amorcé il y a quelques mois entre les différentes communautés du pays.
Mais la réaction d'Israël est si disproportionnée, et une chose est sûre :
les " dommages collatéraux ", les bavures commises par Tsahal, les dégâts
considérables causés à l'infrastructure du Liban ont soudé les Libanais qui ont
cessé de s'interroger sur l'opportunité de l'opération du Hezbollah et ne
considèrent plus le conflit comme une expédition punitive mais comme une guerre
ouverte engagée contre un pays qui ne compte plus ses morts et qui a subi, en
quinze jours, des pertes évaluées à trois milliards de dollars et l'exode de
plus de sept cent mille réfugiés.
Cette guerre ne sert que les intérêts de la Syrie et de l'Iran puisqu'elle
détruit le Liban, met Israël en difficulté et crée une diversion inespérée pour
deux pays " terroristes " confrontés à des dossiers brûlants, à savoir l'enquête
internationale relative à l'assassinat de Hariri et le nucléaire.
Pour sortir de cette crise et éviter des morts inutiles dans les deux
camps, seule une solution diplomatique doit être préconisée. Elle devrait
comprendre les propositions suivantes : 1) Un cessez-le-feu immédiat ; 2) Le
déploiement de l'armée libanaise et de l'ONU au Liban sud, ce qui constituerait
un premier pas sur la voie de l'application de la résolution 1559 de l'ONU qui
exige le désarmement de toutes les milices ; 3) Un échange de prisonniers, comme
par le passé...
Si le Hezbollah ne cède pas sur le deuxième point et si Israël refuse le
troisième, alors cette guerre " punitive " risque fort de s'éterniser. Et pire,
d'embraser le Moyen-Orient tout entier !
Alexandre Najjar
Alexandre Najjar publie, à l'automne,
Le Silence du ténor (éd. Plon).
Avocat et écrivain
Mar 1 Aoû - 21:19 par mihou