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 Femmes d'Afrique et environnement (1)

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Tite Prout
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Tite Prout


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12082006
MessageFemmes d'Afrique et environnement (1)

Le Devoir
LES ACTUALITÉS, mardi 8 août 2006, p. a1

Femmes d'Afrique et environnement (1)
À l'avant-garde du combat écolo au quotidien

Durand, Monique

Déforestation, désertification, explosion des villes et des bidonvilles, pollution de l'eau et de l'air, autant de fléaux qui menacent l'Afrique. Mais les femmes veillent au grain. Elles sont les premières sur le front des luttes visant à assainir l'environnement. Notre collaboratrice Monique Durand a sillonné l'Afrique, à leur rencontre. Elle nous livre ici le premier d'une série de cinq articles.

Elles accouchent de bébés, mais aussi de mil, de patates douces et d'arbres. Elles sont depuis toujours responsables d'assurer la suite des générations et des cultures. Penchées sur les entrailles de la terre et sur leurs propres entrailles vagissantes, enturbannées sur leurs reins, les femmes africaines prennent soin du sol nourricier depuis la nuit des temps.

Si l'avenir environnemental d'une Afrique encore largement rurale repose sur leurs épaules, c'est parce qu'elles y représentent la principale force de travail. Et qu'elles sont à l'avant-plan des combats écologiques au quotidien.

Partout elles se rassemblent en petits comités pour nettoyer un bout de terrain, une plage, organiser le ramassage des ordures ménagères, faire de la récupération, éprouver des techniques nouvelles contre l'érosion. Actions humbles et quotidiennes. Petits gestes faits et refaits, machinaux. «Les femmes sont naturellement sensibles à l'ordre de la terre comme à l'ordre de la maison», m'avait dit Reine-Marie Coly, directrice régionale de l'environnement à Dakar.

«Les femmes sont plus enclines que les hommes à la protection de l'environnement, m'avait dit aussi sa compatriote Julienne Kuiseu. Elles sont sensibles à la santé de leurs champs comme à celles de leurs familles. Quand on améliore le sort des femmes, alors on améliore celui de l'environnement.»

C'est à elles qu'on fait appel pour planter des arbres, initier leurs voisins et voisines à la modération dans l'usage des fertilisants chimiques, mettre les produits dangereux à l'abri des enfants, balayer la poussière de tout un continent livré aux vents du désert.

La dégradation environnementale et la pollution sont en Afrique plus visibles, plus violentes, qu'ailleurs. Portrait-charge peut-être de ce qui existe, à des degrés divers, partout sur le globe.

Une Afrique que la sécheresse est en train de grignoter, sous les coups de boutoir du désert qui avance de milliers de kilomètres carrés par année, brûlant tout sur son passage, transformant les jardins d'antan en sablières et les fleuves d'autrefois en ruisseaux faméliques.

Dans les villes africaines, c'est une pollution bleue qui vous prend à la gorge, fruit souvent de carburants trafiqués, dont une partie se vend dans des vieilles bouteilles de Coke et d'alcool sur les trottoirs. Pollution pétaradante des motos qui déboulent sur les artères, taxis collectifs bondés crachant leurs saletés par les pots d'échappement, trafic intense du lever au coucher du soleil, ajoutant au capharnaüm de toute cette vie qui bat, presque affolante. Sans compter la chaleur suffocante et la poussière omniprésente.

Choc de voir, partout sur le continent africain, ces tas d'immondices accumulés sur les plages, dans les champs, le long des routes, ces déchets qui jonchent le sol, pas un centimètre carré vierge, des détritus partout et jusque dans les arbres. Des arbres recouverts de sacs de plastique que le vent a déposés là, longs pendentifs suspendus aux branches. «Pourquoi les gens lâchent-ils ça dans la nature?» Je demande un peu partout. Haussements d'épaules. «C'est comme ça.»

Autre choc: ces ruisseaux où coulent un filet d'eau putride que les femmes, encore elles, vont recueillir pour les besoins de la maison. Une large partie de ce coin de la planète n'a pas encore accès à l'eau potable. Scène vue en plein coeur de Kigali, au Rwanda: des femmes, les pieds dans un ruban d'eau saumâtre, un bébé noué sur les reins, puisent le liquide avec des bassines qu'elle porteront ensuite, sur la tête, jusque sur leur colline lointaine. «C'est l'Afrique...» me dira simplement Godeliève, avec une moue plus sage que résignée.

Autre problème environnemental galopant à travers l'Afrique: le développement sauvage à l'intérieur et aux abords des villes, où explosent population, pollution et misère. À la grandeur du continent, les ruraux descendent en ville, dans l'espoir d'améliorer leur sort, formant de nouveaux pans de bidonvilles, addenda que les pouvoirs publics, souvent sans moyens, laissent enfler à vue d'oeil.

Alors les femmes africaines se battent, nombreuses, pour remettre la terre à l'endroit. Malgré le gigantisme de la tâche. Pour faire un peu d'ordre et de propreté, chez elles et autour de chez elles. Chacune nettoyant, lessivant, balayant son petit pan de pays. Elles s'activent pour empêcher la terre de s'épuiser, les eaux de se tarir, les enfants de perdre leurs jeux et leur vie dans la misère et la poussière .

On est parfois découragé pour elles. Mais on se dit qu'on n'a pas le droit de l'être davantage qu'elles. Après tout, il n'y a pas si longtemps que, chez nous, on n'éjecte plus nos papiers gras par la fenêtre de la voiture (quoique...), qu'on ne laisse plus les cadavres de bouteilles de bière dans le décor (quoique...) ou qu'on ne va plus «porter les vidanges au fleuve». Peut-être vous souviendrez-vous de cette époque, qui remonte à pas si longtemps, où le plaisir des riverains à Saint-Sulpice, Sorel, Pointe-du-Lac, Verchères et ailleurs consistait à aller lancer leurs déchets domestiques en yacht au large du Saint-Laurent?

Les militantes, elles, s'attellent à plus vaste que la maisonnée: à leur quartier, leur ville ou village, leur pays, leur continent. C'est Césarie, au Rwanda, qui préside un syndicat de paysans et combat l'érosion. C'est Hortensia, au Bénin, qui collecte un peu d'argent, chaque mois, auprès des locataires de son immeuble pour le nettoyage des latrines communes. C'est Tiné, au Sénégal, qui s'est lancée dans la culture biologique. Ou encore Liliane, au Kenya, qui s'en va haranguer les paysans, le samedi, pour les convaincre de planter des arbres.

C'est ainsi que s'installe, tout doucement, une conscience régionale et continentale de l'environnement à travers toute l'Afrique. Cette conscience fournit bien sûr une nouvelle palette d'interventions environnementales possibles, mais d'abord et avant tout le sentiment qu'on n'est plus seul, au fond de son pays à soi, à vouloir lutter. «Je ne vois plus les choses de la même façon», me dira Immaculée Ingabire, la Rwandaise, très active au sein d'une association qui s'occupe de bonne gouvernance dans 11 pays d'Afrique de l'Est. «Je ne résonne plus seulement pour le Rwanda, maintenant je pense régional, continental, global. Et ça m'aide à vivre.»

«L'Afrique n'a plus le choix»

L'Afrique se préoccupe d'environnement, comme on le fait partout ailleurs dans le monde. Au fond, elle fait tout ce que le reste de la planète fait, mais avec moins de moyens, et des écueils plus redoutables devant elle. Elle aussi commence à penser bio, écolo, équitable. Et envisage des actions d'envergure pour assainir la terre, l'air et l'eau, y compris des lois et règlements pour contraindre, interdire, sanctionner. «L'Afrique n'a plus le choix», répète-t-on partout.

Le Rwanda, par exemple, est un des premiers pays africains à interdire la coupe des arbres sous peine d'amende. Un des premiers pays aussi à proscrire les sacs de plastique non biodégradables.

Sur tout le continent fleurissent les départements d'études environnementales, formant la conscience écologique d'une nouvelle génération d'Africains et d'Africaines galvanisée par leur héroïne: Wangari Maathai, écologiste kényane lauréate du prix Nobel de la paix en 2004. Tandis que les écoles de journalisme préparent aussi des êtres attentifs à la santé de la terre, de l'air et de la mer. Eugénie Aw, directrice de l'école de journalisme de l'Université de Dakar au Sénégal, qui a vécu 14 ans au Québec, fait plancher ses étudiants sur l'effroyable pollution de la baie de Hann, à Dakar même. Où les femmes vendent, sur l'immense dépotoir pétrifié qu'est devenue la plage, du poisson frais...

«C'est le cycle de la pauvreté, avec à sa base le manque de connaissances, qui engendre la dégradation de l'environnement», avance Eugénie Aw. «Attention!» fait sa compatriote, Reine-Marie Coly. «On ne peut pas tout mettre sur le compte de la pauvreté! Il ne faut pas fuir devant l'énormité des problèmes environnementaux, il faut agir! Et éduquer!»

L'Afrique lutte pour préserver l'environnement à la mesure de ses moyens. Mais avec un enjeu en plus, et un enjeu colossal: la survie au quotidien. Ce qui suppose des choix à faire plus dramatiques qu'ailleurs, qui s'apparentent parfois au choix de Sophie.

L'Afrique doit-elle consacrer ses ressources à sauver la nature ou à sauver les humains? Doit-elle penser aux ventres qui crient famine maintenant ou à ceux, encore plus nombreux, qui crieront famine demain? Car famine il y a. Au nord du Kenya. Au sud et à l'ouest du Rwanda. En Somalie, en Éthiopie, en Érythrée.

Et encore, l'Afrique doit-elle utiliser ou pas des fertilisants chimiques, devant l'épuisement généralisé des sols et les besoins accrus en nourriture? Doit-elle consentir ou pas aux OGM, pour augmenter la production? Toute la filière du coton, notamment, l'une des principales ressources du continent, jongle avec cette question.

Et qu'est-ce que Justa doit choisir: préserver un arbre parce qu'il empêche l'érosion des berges et l'avancée du désert ou l'abattre pour les besoins de la cuisine et de la famille, elle qui, ce jour-là, a déjà marché cinq kilomètres pour trouver du bois?

«Entre survie et environnement, m'avait dit la Rwandaise Godeliève Mukasarasi en faisant une longue pause... «je crois qu'il faut choisir de travailler pour nos enfants et petits-enfants. Pour les Africains de demain. Parce que pour nous, de toute façon c'est trop tard.»

«Je dis souvent à ma fille, raconte sa compatriote Immaculée Ingabire, ta vie sera ce que tu en feras. Et l'Afrique deviendra ce que vous en ferez, vous les jeunes. Tu dois avoir des principes et les défendre, même si tu luttes pour ta survie. C'est la différence entre les humains et les animaux sauvages. C'est un minimum. Et peut-être la seule chose qui te restera parfois.»

***

Collaboration spéciale

Monique Durand s'est rendue dans plusieurs pays africains grâce à un programme de l'ACDI destiné aux journalistes, et avec le soutien des organismes Oxfam-Québec, Droits et Démocratie et Développement et Paix.

Demain: Les fraises du désert


Illustration(s) :

Des femmes descendues à la rivière Mzinyathi, dans la province du KwaZulu-Natal, en Afrique du Sud. S'installe tout doucement, écrit Monique Durand, une conscience de l'environnement dans toute l'Afrique.

Catégorie : La Une; Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Pollution de l'eau
Type(s) d'article : Article
Taille : Long, 1277 mots

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Doc. : news·20060808·LE·115444





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Femmes d'Afrique et environnement (1) :: Commentaires

Tite Prout
Re: Femmes d'Afrique et environnement (1)
Message Sam 12 Aoû - 9:31 par Tite Prout
Le Devoir
LES ACTUALITÉS, mercredi 9 août 2006, p. a1

Femmes d'Afrique et environnement (2)
Les fraises du désert

Durand, Monique

Déforestation, désertification, explosion des villes et bidonvilles, pollution de l'eau et de l'air, autant de fléaux qui menacent l'Afrique. Mais les femmes veillent au grain. Elles sont les premières sur le front des luttes visant à assainir l'environnement. Notre collaboratrice Monique Durand a sillonné l'Afrique, à leur rencontre. Elle nous livre ici le deuxième d'une série de cinq articles.

C'est la pire journée pour sortir de Dakar. Mais Tiné nous attend. En ce jour de la fête musulmane du Magal, des centaines de milliers de Dakarois et de Sénégalais embarquent dans tout ce qui a des roues et convergent vers Touba, un lieu de pèlerinage. Mais nous n'allons pas à Touba. Nous allons à Mbaoyune, à une soixantaine de kilomètres de Dakar, chez Tiné Ndoye, présidente de l'Association des femmes rurales sénégalaises. Tiné est une pionnière de l'agriculture biologique dans son pays.

C'est son fils Mbaye qui m'y emmène, enfin pas vraiment son fils. Parce que Mbaye est né de la seconde épouse de son père. Et Tiné est la troisième épouse. Mais, dans la tradition africaine, les épouses sont les mamans de l'ensemble de la progéniture.

Mbaye conduit un énorme taxi jaune et noir auquel il ne reste que la peau et les os. Les portières ne ferment plus, les fenêtres ne ferment plus, le capot non plus. Qu'à cela ne tienne, nous faisons route vers Mbaoyune. «J'ai remis le moteur à neuf, je serai encore bon pour sept ou huit ans», poursuit Mbaye.

Nous mettons un temps infini à sortir de la capitale. Il faut traverser des grappes humaines qui se bousculent à bord de «cars rapides», des chapelets de cars rapides, dont chacun porte un nom. «Amdoulillah» (merci) ou encore «Merci maman». Les bus surpeuplés sont la métaphore de la ville: pas le moindre petit espace où il n'y ait d'humains. Les garçons s'accrochent au pare-choc arrière des véhicules. Les bagages déboulent. Ici, un car en panne poussé par une vingtaine de jeunes hommes fringants. Là, des vendeurs de noix, de bananes, de cigarettes, de colifichets. Une fumée bleue épaisse monte de cette pâte d'humains et d'engins. De cette anarchie sourd une sorte de beauté. On se demande comment tout ça arrive à tenir.

Mbaye a deux femmes et neuf enfants. Il nourrit la plus vive admiration pour sa «maman» Tiné, «une femme de progrès», déclare-t-il. En route, il fait deux haltes pour lui acheter beignets et des bananes en cadeaux. «C'est un bon fils», m'avait dit Tiné au téléphone. Mbaye roule avec son Coran dans la boîte à gants. «Quand c'est trop long entre deux clients.»

Nous arrivons aux limites de la ville: il y a deux bonnes heures que nous avons quitté le centre de Dakar. Changement de paysage: c'est la campagne. Nous traversons plusieurs villages avec, chacun, sa mosquée, son marché et son puits commun où filles et femmes viennent puiser le liquide rare et précieux. Partout des nuées de garçonnets et d'adolescents glandouillent, jouent au ballon, font les drôles. Jamais de filles qui auraient l'air de s'amuser ou de se divertir. Non. Les filles sont à pied d'oeuvre, comme leurs mères. Du matin jusqu'au soir. On les voit au bord de la route, portant eau, fruits, lessive, bois, marchant interminablement.

Aridité du paysage. Tout ici n'est que sable soulevé par le vent, horizon mat barré de temps à autre par des palmiers dattiers. Il n'a pas plu dans cette région depuis des mois.

Nous voilà rendus. Une flopée de garçons nous accueille, qui voudrait bien pouvoir monter dans le taxi de Mbaye. Ce dernier les chasse tendrement, comme des mouches, et me conduit chez Tiné. Immense et royale dans son boubou blanc immaculé, elle m'accueille dans sa petite maison au milieu des poules. Pour l'occasion, elle a invité son amie et complice Yaouma, elle aussi dans la mi-cinquantaine.

«J'avais suivi un atelier appelé Femmes et pesticides en 1988, me dit Tiné. Ça m'a ouvert les yeux. J'ai eu envie d'essayer de cultiver mon jardin sans ajouter quoique ce soit de chimique. Venez voir ce que ça donne!»

Il faut marcher environ 200 mètres dans le sable jusqu'aux chevilles. Et tout à coup c'est l'apparition: un îlot de verdure qui fait cligner des yeux dans une telle sécheresse, un grand carré de carottes qu'on reconnaît à leurs tiges longues et délicates qui sourdent des sillons de sable. Tiné a inventé un système, aussi simple qu'ingénieux, pour irriguer son potager, en jouant avec la pression de l'eau et un long tuyau. Méthode qu'elle a pu mettre au point parce qu'elle est allée chercher des conseils. «Yaouma et moi sommes les plus éduquées du village et nous maîtrisons le français toutes les deux.» Le français est la langue officielle au Sénégal. «Contrairement à la plupart de nos voisines, il nous est possible de communiquer avec l'administration locale, d'obtenir aide et conseils et de remplir des formulaires quand c'est nécessaire. Ça nous donne confiance en nous-mêmes. C'est pour ça que je crois à l'éducation et à l'alphabétisation des filles et des femmes en Afrique!»

Oxfam-Québec est d'ailleurs au coeur d'une vaste entreprise d'alphabétisation qui touche des dizaines de milliers de femmes au Sénégal, depuis quelques années.

Tiné est assistante du maire de son village. Je demande: «À quand Tiné Ndoye, mairesse de Mbaoyune?» Elle rit. «Les femmes font tout ici. Eau, bois, maraîchage, cuisine, entretien, ramassage, nettoyage. Mais quand il s'agit de pouvoir, de postes et d'élections, les hommes sont là, je vous assure. Il n'y en a que pour eux!»

Tiné resplendit dans son champ de carottes. La visite continue: rangs bien ordonnés de salades, de choux, de navets, d'oignons. Et puis le clou, une surprise: des petites têtes rouges et dodues sorties du désert, des fraises! «Je suis la seule du village à faire pousser des fraises. Les autres ne savent pas comment.» Émouvante Tiné au milieu de ses baies juteuses, comme des lumières de Noël dans le paysage sec.

«La culture bio réduit de beaucoup les coûts de production, explique Julienne Kuiseu, une environnementaliste formée à l'Université de Dakar. Parce que ces agricultrices n'ont plus à acheter de pesticides, très chers en Afrique. Cette culture favorise aussi une production de fruits et légumes meilleurs pour la santé.» Julienne, 39 ans, enseigne aux femmes sénégalaises les vertus de l'agriculture biologique. «En lieu et place des engrais chimiques, elles utilisent de la bouse de vache, des coques d'arachides et des déchets de poissons et de poulets.» C'est le secret de Tiné.

L'entreposage des pesticides constitue un problème environnemental important en Afrique. «C'est largement dû à l'ignorance, poursuit Julienne. Les gens laissent traîner ces produits hautement toxiques derrière leur maison, ou les perchent dans les arbres. Ils conservent les bidons pour y stocker de l'eau à boire. On rapporte chaque année des centaines de cas d'enfants intoxiqués.» Et puis, phénomène relativement nouveau, des femmes se suicident en ingérant des pesticides.

Retour dans la maison de Tiné, avec Yaouma. Tiné rêve de pouvoir acheter une moto-pompe à eau. Mais elle n'a pas les 800 000 francs CFA nécessaires (l'équivalent de 1800 $). «Tout mon champ serait irrigué, vous vous imaginez? Ma production de légumes et de fruits pourrait doubler, tripler!»

Moment de grâce. Un vieil homme est là, dans une chaise, comme momifié. Il n'entend ni ne voit. «J'ai beaucoup aimé cet homme avec qui j'ai été mariée à 19 ans. Je suis devenue sa troisième épouse. Ah! ce qu'il était beau! Aujourd'hui, c'est un vieillard aveugle dont je prends soin.»

Tiné enchaîne sur la solidarité des femmes de Mbaoyune et de toute l'Afrique. «Comme moi, avec Yaouma.» Des voisines qui créent entre elles des coopératives informelles, pour accélérer le travail dans les champs et les potagers. Ou pour ramasser les déchets qui traînent un peu partout dans le paysage. Des femmes qui s'épaulent, en une sorte de connivence des sans-pouvoir, avec les mots du silence.

Le soleil va se coucher bientôt sur Mbaoyune. Tiné me raccompagne au taxi où son fils Mbaye m'attend, en mangeant des bananes et en lisant le Coran. Les garçons, en grappe, continuent à faire les pitres. Tiné disparaît bientôt, enveloppée par le sable et la poussière soulevés par les pneus de la voiture.

***

Collaboration spéciale

Monique Durand est allée au Sénégal grâce à un programme de l'ACDI destiné aux journalistes, et avec le soutien des organismes Oxfam-Québec et Droits et démocratie.

Demain: De l'eau et des arbres


Illustration(s) :

Tiné Ndoye, présidente de l'Association des femmes rurales sénégalaises et pionnière de l'agriculture biologique dans son pays.


Catégorie : La Une; Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Agriculture et services connexes
Type(s) d'article : Article
Taille : Long, 1069 mots

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Doc. : news·20060809·LE·115528





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Tite Prout
Re: Femmes d'Afrique et environnement (1)
Message Sam 12 Aoû - 15:00 par Tite Prout
Le Devoir
LES ACTUALITÉS, jeudi 10 août 2006, p. a1

De l'eau et des arbres
Des femmes africaines prennent en main la lutte contre la déforestation et la désertification

Durand, Monique

Déforestation, désertification, explosion des villes et des bidonvilles, pollution de l'eau et de l'air, autant de fléaux qui menacent l'Afrique. Mais les femmes veillent au grain. Elles sont les premières sur le front des luttes visant à assainir l'environnement. Notre collaboratrice Monique Durand a sillonné l'Afrique, à leur rencontre. Elle nous livre ici le troisième article d'une série de cinq.

Elle est là, Liliane Muchungi, avec sa casquette à longue visière blanche et son T-shirt aux couleurs du Green Belt Movement, la quarantaine déterminée, tout entière à son discours. Debout au milieu d'un pré, sous un arbre immense, une cinquantaine de villageois sont venus l'écouter, surtout des hommes, assis sur l'herbe, et une poignée d'officiels, maires, adjoints, notables de la région, assis sur des chaises droites.

Derrière l'oratrice coule un ruisseau aux eaux métalliques, autrefois une large rivière, la Ragati. Autrefois? Il y a tout juste cinq ans. Mais la sécheresse a accompli son oeuvre implacable, comme dans l'ensemble du Kenya et presque partout sur le continent africain. En janvier dernier, pour la première fois, les habitants du village de Madera se sont levés un matin pour découvrir que leur cours d'eau, leur unique et précieux cours d'eau était pratiquement tari.

C'est samedi après-midi. Un paysage grandiose sous un soleil de plomb, à une centaine de kilomètres au nord de Nairobi, au Kenya. Un paysage de collines douces tachetées de palmiers dattiers, de bananiers, de bocages d'eucalyptus. L'auditoire, un peu méfiant, médusé devant cette conférencière emportée, est rassemblé sous le fameux arbre à palabres si cher aux Africains, où ils vont parler, discuter, faire le point, ou prendre des décisions, conseillés par les plus anciens.

Liliane, voix de stentor, s'adresse au groupe dans sa langue, le swahili. Elle fait rire, sourire, fait de grands gestes dans l'air, s'enflamme. Son entrain ne faiblit pas. Elle est ici pour convaincre. Convaincre de quoi? De planter des espèces d'arbres bien précises sur les berges de la Ragati pour que ses eaux ne se tarissent plus jamais. Et d'en planter aussi sur les bords des routes, devant les écoles et les édifices publics, partout où c'est possible. Semences, pots et tuteurs seront fournis gratuitement aux villageois. Petits arbres deviendront grands, et formeront une palissade contre la déforestation et l'avancée de la sécheresse.

Me revient à l'esprit ce que m'a dit la militante rwandaise Immaculée Ingabire, à propos de l'assèchement presque total de la rivière Akanyaru de son enfance, la rivière qui sépare le Rwanda du Burundi. «Les habitants font pousser le manioc, le sorgho et les patates douces tout au bord de l'Akanyaru, parce que ça pousse mieux. Je leur dis: "C'est vrai pour toi aujourd'hui. Mais tu pénalises déjà ton voisin qui vit dans les terres à 5 kilomètres de la rivière. Tu condamnes ton fils. Et pour ton petit-fils, il n'y aura plus rien."»

Trente millions d'arbres ont été plantés au Kenya et en Afrique depuis la création, en 1977, du Green Belt Movement. Son instigatrice, Wangari Maathai, écologiste kényane et professeure à l'Université de Nairobi, avait fondé cet organisme pour deux raisons principales: d'abord faciliter aux femmes la cueillette du bois en voie de raréfaction; puis reboiser le Kenya aux prises avec une déforestation mortifère. L'idée, c'était aussi de payer les femmes pour chaque arbre qu'elles planteraient.

Depuis, celle que Liliane et son groupe appellent «Professor», en mordant chaque fois dans le mot, est devenue un personnage mythique en Afrique. Lauréate du prix Nobel de la paix en 2004, elle est la première femme africaine et la première écologiste à avoir obtenu une telle récompense. «Elle a complètement changé ma vie! s'exclame Liliane. Avant, je n'étais préoccupée que de ma petite famille, mon mari, mon fils, dans le train-train de la vie. La Professor Wangari a élargi ma vision des choses et m'a rendu consciente de ce que l'Afrique était en train de perdre.»

Elle brûle de me raconter ce fameux jour. «Nous avons reçu un appel d'Oslo au bureau de Green Belt. Wangari était chez elle, mais son téléphone était en dérangement. C'est un émissaire du gouvernement kényan qui s'est rendu à sa demeure pour lui annoncer. Elle est arrivée au bureau en pleurant. À vrai dire, tout le monde pleurait. Puis un hélicoptère du gouvernement est venu la chercher pour les premières félicitations officielles et les dizaines et dizaines de demandes d'entrevues qui affluaient déjà. Elle, que les mêmes autorités avaient harcelée, traînée dans la boue et jetée en prison quelques années auparavant!» Wangari Maathai a invité Liliane à l'accompagner en Norvège pour recevoir le prix Nobel.

Liliane, comme des millions d'autres filles africaines, a été élevée à la campagne où elle aidait sa mère à ramasser le bois nécessaire à la cuisson quotidienne, marchant chaque jour de plus en plus loin pour trouver la précieuse matière. Des kilomètres de marche. «Beaucoup de filles sont privées d'école à cause de ça. Et sont battues si elles ne reviennent pas à la maison, la tête surmontée d'un bon fagot. Avec les arbres de Wangari, il y a maintenant davantage de petites kényanes qui vont à l'école.»

Mais cet après-midi-là, Liliane prêche sa bonne parole sous l'arbre, illuminée par celle dont elle voudrait chausser les souliers un jour, «mais ses souliers sont très grands», dit-elle avec un large sourire. Elle devient toute chose quand elle parle du «Professor». «Je l'admire. J'admire sa liberté dans un pays qui ne laisse pas les femmes être ce qu'elles veulent. Et je voudrais, à mon tour, devenir une leader dans ma communauté. Peut-être faire de la politique un jour.»

Je pense à toutes ces jeunes femmes africaines, elles aussi galvanisées par le personnage de Wangari Maathai et qui ont trouvé en cette dernière une héroïne, un modèle. C'est Rose, au Rwanda, qui oeuvre pour un organisme étatique de protection de l'environnement. C'est Hortensia, au Bénin, ingénieure agronome, détentrice d'un doctorat en développement régional obtenu à l'Université du Québec à Rimouski. Ou bien Julienne, au Sénégal, zoologiste et environnementaliste: «Je voudrais accomplir quelque chose de visible, de grand. Pouvoir sensibiliser mes soeurs africaines à l'écologie, à l'hygiène, aux règles de prudence dans les champs. Les aider à s'en sortir. Vous savez, l'environnement commence par là!»

Retour sous l'arbre à Madera. Je m'étonne que ce soit des hommes, en grande majorité, qui soient venus entendre Liliane, alors que c'est surtout aux femmes qu'incombera la tâche de planter les arbres et que c'est à elles que s'adressent d'abord les campagnes de reboisement du Green Belt Movement. J'en fais la remarque à Liliane. «Ah! je sais. Mais un jour, vous verrez, les Africaines prendront la place qui leur revient. Dans tous les domaines de la vie. Je suis devenue féministe comme Wangari.»

On me demande tout à coup si je veux bien faire l'honneur à l'auditoire de planter un arbrisseau au bord de la Ragati, qui coule là à nos pieds. Le maire du village me présente une pelle. Les villageois applaudissent, je suis émue. Le petit Timothy, 7 ans, dans les bras de son père, n'a jamais vu de personne blanche avant moi. Moi, je n'ai jamais planté d'arbre sur la terre africaine avant ce jour de Madera.

Collaboration spéciale

***

Monique Durand est allée au Kenya grâce à un programme de l'ACDI destiné aux journalistes, et avec le soutien des organismes Droits et démocratie et Développement et paix.

***

Demain: Rien ne se perd, tout se crée


Illustration(s) :

Catégorie : La Une; Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Industries et services
Type(s) d'article : Article
Taille : Long, 929 mots

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Doc. : news·20060810·LE·115614





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Tite Prout
Re: Femmes d'Afrique et environnement (1)
Message Sam 12 Aoû - 15:11 par Tite Prout
Le Devoir
LES ACTUALITÉS, vendredi 11 août 2006, p. a1

Rien ne se perd, tout se crée

Durand, Monique

Déforestation, désertification, explosion des villes et bidonvilles, pollution de l'eau et de l'air, l'Afrique fait face à des fléaux qui la menacent. Mais les femmes veillent au grain. Elles sont les premières au front quotidien des luttes pour assainir l'environnement. Notre collaboratrice Monique Durand a sillonné l'Afrique, à leur rencontre. Elle nous livre ici le quatrième article d'une série de cinq.

Cotonou - Principale ville du Bénin avec un million d'habitants. Ville construite à l'embouchure du grand fleuve Nokwe qui se jette dans le golfe de Guinée. Cotonou, comme la plupart des grandes agglomérations africaines, grossit chaque jour davantage avec l'arrivée des ruraux qui viennent y chercher une vie, espèrent-ils, plus douce. Ces nouveaux citadins ont jeté leur quotidien sous des toits de fortune le long du Nokwe, où ils pêchent, boivent et défèquent, ou sur les bords de mer, et jusque dans les marais appelés ici «bas-fonds». Ces développements sauvages, où le choléra demeure toujours une menace, donnent des maux de tête aux autorités sanitaires. La collecte des ordures s'y avère souvent impossible, les camions de ramassage ne trouvant plus de voies pour pénétrer sur ces tas d'immondices stratifiés.

Mais Cotonou est bien autre chose que cela. C'est aussi une ville de fleurs odoriférantes et de petits marchés colorés. C'est ici que les Chinois ont construit un Palais des congrès ultra-moderne qui fait la fierté des Béninois. Dans ses rues règne la pétulante anarchie de l'Afrique et vrombit une nuée de motocyclettes légères, dont les conducteurs, vêtus d'un jaune éclatant, font office de taxis. Et vous emmènent, par exemple, à la boutique de prêt-à-porter «Harcèlement» ou aux magasins généraux «La Confiance» ou «La Gloire».

C'est sur l'une des ces motos pétaradantes que Jacqueline Djidonou, 30 ans, se rend tous les jours au grand marché de Cotonou, le marché Dantokpa, l'un des plus importants en Afrique. Elle va voir ses chères ouailles, ses Gohotos ou «femmes récupératrices». Elles sont environ 350 à récupérer tout ce qui est récupérable à Cotonou, surtout des bouteilles vides de toutes natures et dimensions. Ces femmes se disséminent à travers la ville au petit matin et achètent aux gens, parfois de porte en porte, les précieuses bouteilles à recycler qu'elles revendront ensuite aux commerçants de Dantokpa en mal de contenants. C'est de cette vente qu'elles tirent leur marge de profit.

Les Gohotos exercent ce métier de mère en fille depuis des générations. «Nous aidons des femmes qui n'ont jamais été aidées», explique Laurent Gauthier, directeur du projet Gestion des déchets solides et ménagers d'Oxfam-Québec au Bénin. Grâce au financement de l'Agence canadienne de développement international, Oxfam-Québec a regroupé ces femmes, leur a donné la chance d'apprendre à lire et à compter dans leur langue, le fon, et les a aidées à s'organiser de meilleure façon. Depuis, leurs revenus ont plus que triplé! Même la Société béninoise des brasseries vient s'approvisionner en milliers de bouteilles chez les femmes récupératrices. Oxfam-Québec finance en outre la construction d'un vaste kiosque qui abritera leurs activités au marché. C'est à Jacqueline, une assistante sociale âgée de 30 ans, que l'organisme québécois a confié la tâche d'accompagner la mutation de ces femmes, autrefois pauvres parmi les pauvres, en véritables commerçantes.

Jacqueline m'emmène, ce matin-là, voir les fondations de ce qui deviendra le kiosque des Gohotos, en plein coeur du marché. Les maçons s'y affairent déjà. Elles y auront des espaces pour étaler et entreposer leurs bouteilles, et pour les laver à grande eau. Une sorte de rêve pour ces femmes qui arpentent, de l'aube jusqu'à la mi-journée, les quartiers de Cotonou en criant à la cantonade «Gohotos! Gohotos!» à la recherche de bouteilles, fioles, matériaux récupérables en tous genres. Avec, souvent, un bébé noué sur les reins, elles marcheront en moyenne une vingtaine de kilomètres quotidiennement, avant de venir finir leur journée au marché Dantokpa. «Avant, ces femmes-là ne faisaient que subir. Grâce à notre projet, elles ont acquis un statut et une certaine maîtrise de leur vie», dit Jacqueline.

La plupart d'entre elles viennent de la campagne. Elles passent la semaine à Cotonou pour les fins de leur commerce, et rentrent chez elles la fin de semaine. Là, elles remettent la plus grande partie du pécule durement gagné à leur mari. Et là les attend, pour ainsi dire, une autre semaine de travail...

Marché Dantokpa toujours. Jacqueline me présente une Gohoto à la faconde joyeuse, Marie Tokpanou, la présidente de l'Association des femmes récupératrices. «Je vais danser de joie quand le kiosque sera inauguré», s'exclame-t-elle. Toutes les filles de Marie font le même métier qu'elle. Mais pas ses petites-filles. «Je te suis de près, Marie!», fait Jacqueline en rigolant. «Les petites doivent aller à l'école!» Marie opine du chef.

Marie vend d'anciennes bouteilles d'eau de Javel, d'alcool, de Coca-Cola, d'anciennes pintes de lait, d'anciens flacons de Jergens, des bidons de toutes tailles et de toutes provenances. Les marchands de Dantokpa viennent acheter ces contenants qui leur serviront ensuite à vendre eau de Javel frelatée, huile à moteur trafiquée, et autres liquides. Marie a aussi une autre clientèle: les guérisseurs. Ils viennent lui acheter des bouteilles de pilules, de sérum, et des petites fioles diverses pour les remplir de leurs potions médicinales et les vendre. Aucun produit neuf ou d'origine, ou si rarement, ne s'achète ni ne se vend ici: que du recyclé. C'est ainsi que va l'Afrique. Rien ne se perd et tout se crée. Et c'est ainsi que va le marché Dantokpa: des morceaux de voitures, de motos, de bicyclettes, au milieu des étals de tomates, d'oignons, d'oranges, au milieu des coqs, poules et autres oiseaux, morts et vivants; des nuées de marchands, de clients et d'enfants qui se pressent dans cet hallucinant «happening» quotidien.

Quelquefois, Marie s'accorde le loisir de rester au marché la fin de semaine, plutôt que de rentrer dans sa campagne. Alors elle se sent un tantinet délinquante. «Des petites vacances!», fait-elle, la voix un brin moqueuse.

«Je suis heureuse quand je suis avec mes Gohotos, lance Jacqueline. Je suis très attachée à elles. Quand Oxfam-Québec m'a invitée à Montréal l'année dernière, elles me manquaient et je leur téléphonais tous les jours!»

Jacqueline vient de la vallée de Louémé, à une trentaine de kilomètres de Cotonou. Son père a cinq femmes et 22 enfants. «Les autres femmes que ma mère me détestaient. L'une d'elles refusait même de me nourrir!» Pour Jacqueline, la polygamie de son père a été un enfer dont elle commence tout juste à se remettre. «Quand je vois mes femmes récupératrices, je sais qu'elles ont toutes des co-épouses, et qu'elles souffrent. Je m'aide moi-même en les aidant, tout en contribuant à assainir l'environnement au marché et à Cotonou. Une vraie thérapie.» Elle poursuit: «Avant, je ne parlais pas. J'étais nerveuse, mal dans ma peau. Totalement perturbée par mon histoire familiale. Ce projet avec les Gohotos m'a complètement transformée.»

Dernière image de Dantokpa avant de revenir au bureau d'Oxfam-Québec avec Jacqueline: une vendeuse du marché dort le visage dans ses citrons verts, harassée par la chaleur et le labeur du jour.

Oxfam-Québec est en fait le grand orchestrateur du ramassage et du recyclage des ordures ménagères à Cotonou, coordonnant le travail de dizaines d'ONG préoccupées d'environnement, de concert avec les autorités municipales. «Nous voyons au ramassage de porte en porte, puis au transport des déchets dans un vaste site d'enfouissement financé par le Canada. Nous avons mis un terme aux dépôts sauvages qui, avant, jonchaient la ville», raconte Laurent Gauthier, en poste au Bénin depuis 10 ans. «Les Canadiens sont vus ici comme des gens organisés et méthodiques.»

Chaque maison doit payer la somme de 1000 francs CFA par mois (2 $CAN) pour qu'on la débarrasse de ses déchets domestiques. L'adhésion des gens s'obtient sans trop de mal.

«Nous voyons aussi à la transformation des déchets organiques en compost, pour engraisser le grand jardin communautaire de Cotonou, situé tout près de l'aéroport», poursuit Laurent Gauthier. Trois cents maraîchers et maraîchères y possèdent une parcelle et vendent leur production à des particuliers. Le compost, déposé dans cette terre aride et sablonneuse, y fait des miracles.

Adrienne, 53 ans, occupe un emplacement dans ce jardin communautaire depuis 35 ans. C'est elle qui est le gagne-pain de sa famille: huit enfants et un mari. Elle a installé une natte et des bancs de bois sous un arbre, au milieu des lézards, des enfants, de ses oignons et de ses choux. Elle me fait visiter sa parcelle. «Hier, j'ai vendu pour 3500 francs CFA [8 $CAN]. Une journée moyenne.» Le revenu annuel d'Adrienne est de plus ou moins 3000 $CAN.

Le vent chaud de l'Afrique rend la terre doucement frémissante. Adrienne chasse deux ou trois mouches avec sa main. Tout à coup arrive une petite fille maigrelette. Elle a 10 ans environ. Elle est partie à pied, tôt le matin, des hauteurs de Cotonou. Sa mère l'a envoyée acheter des salades à Adrienne, qu'elle revendra ensuite. Je lui demande son nom: Sofia. Son âge: elle ne sait pas. Va-t-elle à l'école? Non. Elle a dû quitter l'école pour aider sa mère. Et puis voilà bientôt Sofia repartie comme elle était venue, à pied, avec 30 salades sur la tête. Passée comme une ombre. Nous laissant, Adrienne et moi, un peu tristes.

Alors, comme pour exorciser la misère, Adrienne esquisse un déhanchement dont seuls les Africaines et Africains sont capables. «Vous savez quoi? Je rêve de m'acheter une petite voiture. Pour aller voir mes nièces à Abidjan. Il y aurait l'air climatisé. Et un lecteur de cassettes.»

Oui je la vois, Adrienne, dévalant les routes cahotantes du Bénin vers Abidjan. La clim' et le son au max. Dansant derrière son volant neuf.

Collaboration spéciale

***

Monique Durand s'est rendue au Bénin grâce à un programme de l'ACDI destiné aux journalistes, et avec le soutien des organismes Oxfam-Québec, Développement et Paix et Droits et Démocratie.

***

Demain: Revivifier la terre épuisée


Illustration(s) :

Le marché Dantokpa, au Bénin, est l'un des plus importants en Afrique.
Le marché Dantokpa, au Bénin, est l'un des plus importants en Afrique.


Catégorie : La Une; Actualités
Sujet(s) uniforme(s) : Recyclage et récupération
Type(s) d'article : Article
Taille : Long, 1261 mots

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Doc. : news·20060811·LE·115703





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Tite Prout
Re: Femmes d'Afrique et environnement (1)
Message Sam 12 Aoû - 15:13 par Tite Prout
Le Devoir
SAMEDI, samedi 12 août 2006, p. a1

Revivifier la terre épuisée

Durand, Monique

Déforestation, désertification, explosion des villes et des bidonvilles, pollution de l'eau et de l'air, l'Afrique fait face à des fléaux qui la menacent. Mais les femmes veillent au grain. Elles sont les premières au front quotidien des luttes pour assainir l'environnement. Notre collaboratrice Monique Durand a sillonné l'Afrique, à leur rencontre. Elle nous livre ici le dernier article d'une série de cinq.

«Avant, je devais mettre au monde et garder les vaches de mon mari, c'était tout, c'était la belle vie.» Césarie Kantamara, 45 ans, sourit doucement. «Maintenant, je suis présidente nationale du syndicat Ingabo, qui regroupe 20 000 éleveurs et agriculteurs, surtout des femmes, j'ai du travail par-dessus la tête, des réunions en enfilade, deux maisons, l'une en ville, l'autre près de mes terres, je suis responsable de moi-même et de mes huit enfants, mes journées et mes nuits sont trop courtes. Je suis devenue ce qu'on peut appeler une femme prospère.»

Il y a dans la vie de Césarie un avant et un après. Comme il y a dans l'histoire de son pays, le Rwanda, un avant et un après. Avant et après le génocide de 1994. «Me croirez-vous si je vous dis qu'avant, je n'avais jamais vu les bureaux de la commune à six kilomètres de chez moi? J'étais à peine sortie de ma maison.» Là, elle rit franchement.

Césarie a perdu ses parents et un frère lors de l'hécatombe. Et son mari est mort de chagrin et de désespoir peu de temps après. «Alors, quelqu'un m'a proposé d'adhérer à Ingabo» (littéralement: bouclier contre la pauvreté, la sécheresse). Ce fut la révélation de sa vie. Ingabo est un syndicat de paysans soutenu par l'ONG canadienne Développement et Paix et ses coopérants. «J'ai appris à parler français et à parler en public, à affirmer des opinions, j'ai gravi les échelons locaux, régionaux, puis nationaux en me faisant élire.» Elle a tout recommencé à neuf, Césarie, refaisant le terreau de son existence, le sens de son destin, réinventant l'écologie de sa vie. Comme son pays. En même temps que lui.

Le Rwanda est en train de réinventer son corpus environnemental, sa terre et ses eaux. Et cela, beaucoup à l'instigation des femmes, qui forment la majorité de la main-d'oeuvre agricole mais composent aussi une large partie du bataillon de militants qui oeuvrent à l'assainissement de l'environnement. Et le temps presse. Car la forêt rwandaise est en voie de disparition, et le pays tout entier, en voie de désertification.

Ce pays, situé à l'est du continent africain, a adopté des mesures parmi les plus progressistes de l'Afrique noire en matière environnementale. Il est désormais interdit d'y faire paître les troupeaux en dehors des étables dont le gouvernement subventionne la construction. Vaches et chèvres ne pourront plus grignoter le pays petit à petit. De même, on ne peut plus semer ou cultiver à moins de trois mètres des berges des cours d'eau et des lacs. Et les agriculteurs rwandais ont l'obligation de planter, à l'intérieur des trois mètres, des plantes fixatrices qui contribuent à empêcher l'érosion. Des formations sur l'utilisation des pesticides sont données un peu partout. «Moi, je combine fumier organique et pesticides pour éviter certaines maladies des plantes. Mais j'ai banni le DDT», explique Césarie. Les sacs de plastique non biodégradables, avec lesquels des enfants s'intoxiquaient régulièrement, sont dorénavant interdits au Rwanda.

Un programme énergique de creusage de fossés contre l'érosion pluviale a aussi été mis sur pied, beaucoup des anciens fossés ayant été détruits pendant le génocide. But: empêcher la terre rouge et friable, partout au pays, de débouler à vue d'oeil pendant la saison des pluies.

Et puis, les autorités ont instauré l'umuganda: une journée d'entretien et de nettoyage des villes, des routes, des écoles et d'autres lieux publics, à laquelle tout le monde doit se prêter tous les derniers samedis du mois. Des amendes sont imposées aux récalcitrants. «Ou aux paresseux, lance Césarie. Il y a derrière cette journée mensuelle, poursuit-elle, l'idée d'une prise en main locale de la santé environnementale du pays, plutôt que l'attente de l'aide étrangère.»

Mais la mesure peut-être la plus radicale, et la plus dérangeante pour la population, c'est sans doute l'interdiction maintenant faite de couper des arbres. Pari difficile dans un pays qui, à l'instar du reste de l'Afrique noire, compte sur le bois (et le charbon de bois) pour la cuisson. Efforts colossaux demandés aux femmes, bien sûr, responsables de cette cuisson. Les tricheurs sont sanctionnés. «Les gens se lamentent énormément, dit Césarie. Alors on essaie d'expliquer les bienfaits de ces mesures.»

«C'est la croix et la bannière pour trouver un peu de charbon de bois en ville et un peu de bois dans les campagnes, m'avait expliqué Godeliève Mukasarasi, une militante écologiste qui vit à Kigali. Tout le monde triche, la nuit. Beaucoup de mes compatriotes ont tendance à dire: quand on est dans la survie, l'environnement on s'en fout! Moi, je dis: l'Afrique n'a plus le choix. Il faut sévir.» «Même les oiseaux sont en train de disparaître, sans plus d'arbres pour se poser, avait raconté Immaculée Ingabire, une autre militante bien connue à Kigali. S'il faut employer la coercition, je suis d'accord!»

Sur son exploitation agricole de Gitarama, Césarie entend encore les oiseaux. Elle cultive le manioc - «notre farine de manioc a un goût particulièrement apprécié des consommateurs, c'est ma culture la plus payante» -, mais aussi les bananes et les ananas. Elle a trois employés à temps plein. Et parle avec enthousiasme des trois hectares de terre qu'elle a achetés avec ses soeurs, dans le cadre d'un nouveau programme du Rwanda visant à faciliter aux femmes l'accès à la propriété terrienne. Et parle, avec le même enthousiasme, de sa venue au Québec en 2000, à l'initiative de l'organisme Développement et Paix, pour un stage de formation à l'Union des producteurs agricoles.

Mais là où Césarie éclate de fierté - ça lui sort de partout -, c'est quand elle raconte que deux de ses filles veulent prendre la relève. Josyane veut devenir agricultrice et Denise, ingénieure en agronomie. «Ça me fait un tel plaisir! Qu'elles veuillent reprendre mes terres, mes cultures, avec les nouvelles techniques qui seront les leurs. Je n'aurai pas perdu mon temps. Moi, je n'ai pu aller à l'école, j'ai travaillé avec mes deux bras toute ma vie, sans machinerie, j'ai fait ce que j'ai pu. Mes filles, elles, iront plus loin, et sans se tuer à l'ouvrage comme moi j'ai fait.»

Se tuer à l'ouvrage. C'est bien ce que des millions d'Africaines font encore chaque jour, sans nul espoir de repos, jamais. Elles dont la disponibilité conjugale et familiale est totale, en même temps qu'elles travaillent aux champs, souvent au pic et à la pelle. Encore en 2006, des millions d'Africaines s'épuisent quotidiennement à revivifier une terre aussi épuisée qu'elles. «Après midi, nos hommes ne travaillent plus, dit Césarie. Ils vont au cabaret boire leur bière de banane, ou vont parler avec les copains.»

Ce sont les mêmes femmes que l'on appelle les «vieilles» à 45 ans. Prématurément fanées, finies. L'espérance de vie de la population est de 43,6 ans au Rwanda, 47 au Kenya, 55,6 au Sénégal, 53,8 au Bénin, 43,5 au Burundi, 39,4 en Centrafrique. «Il faut changer le quotidien des Africaines, parce qu'elles sont pauvres, battues et surmenées», clame la militante Immaculée Ingabire. «Ici, les femmes ne se suicident pas. Ou très peu. C'est la dureté de la vie qui les tue. La dureté de l'environnement.» Elle fait une petite pause. «Quand ce ne sont pas les hommes.»

«Des fois, j'ai même plus faim, trop crevée, poursuit-elle. J'ai même plus le coeur d'allumer mon charbon, de toute façon difficile à trouver, et hors de prix.» Immaculée aura 44 ans le 8 décembre, «à cause de l'autre Immaculée», dit-elle avec un sourire un peu las. «Je me sens vieille et fatiguée. Comme mes soeurs africaines, souvent stressées, mal dans leur peau. Vous savez, le sous-développement finit par nous manger.»

Césarie, elle, vient de jeter un coup d'oeil à sa montre. Elle doit prendre tout à l'heure un avion pour Nairobi, où elle a une réunion demain matin. Le soir glisse sur les mille collines du Rwanda, qui ont l'air de grands léopards assoupis. Un petit oiseau tout jaune se pose devant nous sur la branche d'un eucalyptus. «Je rêve de vieillir doucement au milieu de mon manioc. De me reposer.»

Collaboration spéciale

***

Fin de la série

Monique Durand s'est rendue au Rwanda grâce à un programme de l'ACDI destiné aux journalistes, et avec le soutien des organismes Développement et Paix, Droits et Démocratie et Oxfam-Québec.


Illustration(s) :

Se tuer à l'ouvrage. C'est bien ce que des millions d'Africaines font encore chaque jour, sans nul espoir de repos, jamais.

Catégorie : La Une; Consommation
Sujet(s) uniforme(s) : Agriculture et services connexes
Type(s) d'article : Article
Taille : Long, 1063 mots

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Doc. : news·20060812·LE·115793





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Femmes d'Afrique et environnement (1)

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