D.R.
Femmes en solo
Comment trouver l'homme de sa vie
Elles gagnent leur vie, elles ont des amis, mais il leur manque un jules. Clubs de solos, soirées organisées, « chat » sur la Toile, le marché de la rencontre explose mais ne remplit pas ses promesses auprès de ces célibataires exigeantes et romantiques. Enquête auprès de ces femmes qui cherchent le prince charmant.
Marie-Sandrine Sgherri
Anastasia, contrôleuse de gestion de 35 ans, est allée le jeudi soir au Lafayette Gourmet, le seul magasin de la capitale où les célibataires sont invités à signaler leur état en faisant leurs courses munis d'un panier violet. Sans oser se saisir du panier, elle a bien vu que « les plus beaux mecs n'en prenaient pas non plus ». Sabine, vendeuse de 41 ans, a tenté le speed-dating, où l'on enchaîne dix entrevues de sept minutes chacune : « J'y ai cru. J'ai rencontré des hommes intéressants, mais il y a une chance sur un millier de tomber sur le bon. » Lucille, 36 ans, responsable d'achat, a fait le dark-dating, au resto, plongé dans le noir absolu. « C'était avec un ex, pour rire. » Elle a testé les soirées seven to one, dites aussi after work, où les jeunes cadres pressés, que personne n'attend à la maison, font la fête mais se couchent tôt. « C'est vraiment le marché à la viande ! » laisse-t-elle tomber.
Il est aujourd'hui plus qu'hier difficile de se rencontrer, et les marchands de bonheur rivalisent d'ingéniosité pour apparier les coeurs solitaires. Que s'est-il donc passé trente ans après la révolution sexuelle ? On croyait les filles libérées, elles restent des midinettes à la recherche du grand amour. On pensait que les hommes de cette génération, les trentenaires au coeur tendre, incarnés par Bénabar ou Romain Duris, étaient faits pour elles. Or, si femmes et hommes recourent aujourd'hui à de tels artifices, c'est bien que rien ne va plus sur la carte du Tendre.
Chacun peut le constater : dans leur immense majorité, les femmes seules ne veulent pas le rester. Le mythe du couple parfait résiste aux chiffres du divorce et les valeurs familiales repartent à la hausse. Pourtant, la mise en couple ne va pas de soi. Les femmes en solo n'ont rien de la vieille fille, travaillent, ont des amis et sortent le soir. Alors, pourquoi les rencontres semblent-elles si difficiles ? Pourquoi leurs histoires sont-elles si brèves et les laissent déçues, si ce n'est trahies ? Pourquoi leur quête, si méthodique parfois, reste-t-elle vaine ?
Les derniers chiffres de l'Insee sont anciens : en 1999, un foyer sur trois était constitué de personnes seules, soit 7,5 millions de célibataires. Mais, selon les sociologues, cette tendance n'a pu que s'accentuer. « Les femmes seules sont de plus en plus nombreuses, estime ainsi Jean-Claude Kaufmann, auteur, il y a six ans, d'une enquête intitulée « La femme seule et le prince charmant » (1). Et le phénomène touche toutes les sociétés occidentales. » Elles tardent à se mettre en couple, divorcent de plus en plus tôt. Or si en moyenne trois mois après une séparation un homme retrouve une partenaire, ce n'est que rarement le cas des femmes, qui mettront des années avant d'envisager une nouvelle rencontre. « Quand elles sont "guéries", confie ce psy qui en voit défiler beaucoup, elles ont plus de 40 ans et il y a beaucoup de concurrence. » Ces quadras échaudées affrontent alors des candidates dont la jeunesse est le meilleur atout.
Réinventer les préliminaires. Quel que soit leur âge, les célibataires ne ménagent pas leur peine et s'investissent avec sérieux dans ce que le marché de la rencontre leur propose. Mais ces dispositifs ne font que redoubler le problème : comment laisser place à cet imprévu qui fait tout le charme d'un premier tête-à-tête quand on s'observe, qu'on se juge et qu'on guette en soi le « déclic » magique, sans quoi rien n'est possible ?
Faut-il pour autant condamner ces rencontres artificielles ? Nos grands-parents ne se sont-ils pas rencontrés au bal, qui n'avait rien de « naturel » ? Il s'agissait bien, selon Jean-Claude Kaufmann, de moments ritualisés, où les hommes pouvaient côtoyer les filles à marier. Naguère, aucune occasion n'était perdue pour mettre en présence le veuf encore vert et la vierge rougissante, comme le remarque Viviane, une jolie veuve de 55 ans : « Quand nos parents organisaient un dîner où était convié une célibataire, il aurait été de la dernière incorrection de ne pas lui trouver un "cavalier". » Ces usages se sont perdus. « Je ne sais combien de fois des amis m'ont dit : il faut que je te présente un homme très bien, et ils n'ont rien fait, déplore-t-elle. C'est humiliant de devoir leur rappeler. » Lisa a vingt ans de moins, mais elle partage cet agacement : « Quand on en parle aux copains, ils nient tous connaître un célibataire ! Je suis sûre que ce n'est pas vrai. J'ai même organisé une soirée où chaque convive avait pour gage d'en ramener un. C'était sympa. Chacun demandait à l'autre : tu es le gage de qui ? Mais c'était très contraignant ! J'ai bien vu que je ne pourrais pas recommencer. »
Alors, qu'importe si, au jeu des « 7 minutes pour convaincre », les timides se font jeter, et les plus à l'aise s'en sortent, comme toujours ! Qu'importe si, sur vingt sociétés de speed-dating créées en 2001, seules trois subsistent encore. Jean-Claude Kaufmann applaudit à toute tentative pour réintroduire des règles, si nécessaires à la rencontre amoureuse. On a trop feint de croire que ce moment magique et grave allait de soi. En réalité, il a toujours été sous-tendu par un cadre invisible, où tout ou presque est prévu : comment s'habiller, de quoi peut-on parler et que faut-il taire, qui paie l'addition, etc. Mais tous ces codes ont volé en éclats. Il faut donc réinventer les préliminaires.
Forcer le destin sur Internet. Les solitaires l'ont bien compris. Ils se sont rués sur Internet pour forcer le destin, multiplier leurs chances et faire connaissance avant de se rencontrer. Ainsi, chaque soir, lors du « pic de 22 heures », plus de 32 000 personnes se connectent sur Meetic, le leader des sites de rencontres en Europe. Dix-huit mille hommes et quatorze mille femmes choisissent un partenaire de chat et le testent par écrit, avant de se décider à le voir « pour de vrai ». Les sites de rencontres ont désormais perdu leur parfum de scandale : on y trouve de tout, comme dans la vraie vie. A ceci près que tous sont à la recherche de la même chose : se connaître, et plus si affinités.
Exemple, Sarah. Responsable de communication, la jeune femme y répare son amour et son orgueil blessés par le départ de son mari. C'était il y a deux ans. Le 1er janvier 2005, après avoir beaucoup déprimé, elle prend le taureau par les cornes et entre son « profil » sur Meetic. « Pour l'instant, je reste au bord », avoue la jeune femme. Traduction, Sarah rencontre mais ne couche pas. Son bilan après une dizaine de rendez-vous ? « J'ai rencontré des mecs bien. Certains étaient déçus que je ne souhaite pas poursuivre. Mais tout s'est passé sans drame. Un autre a été très compréhensif. Je continue à le voir. Plus qu'un copain, c'est un homme possible. Un jour, j'en suis sûre, je pourrai de nouveau tomber amoureuse. »
En « restant au bord », Sarah se préserve de la déception. Mais ce n'est pas toujours le cas. Les sites de rencontres vendent certes leurs « mariés » et leurs premières naissances. Des histoires vraies qui finissent bien. Mais combien d'autres, pathétiques, voire tragiques ! Car, comme le dit joliment Dalila, veuve de 47 ans, et Meetic Girl deux ans durant, avant de supprimer son profil, le Réseau « met la rencontre à l'envers » : « Dans la vie, on s'attire d'abord physiquement. Là, on regarde la photo, mais ce n'est pas la réalité. On s'écrit. On se parle sans se voir ni entendre la voix. On peut être séduite par un discours sans que l'attirance physique soit jamais au rendez-vous. » Grâce au Réseau, le solitaire n'est plus seul. Surtout, il a le choix et opère un premier tri : les fautes d'orthographe deviennent rédhibitoires. « Celui qui vous dit qu'il est intello et vous le prouve en déclarant qu'il a lu tout Dan Brown, vous pouvez le zapper », explique une quadra sans états d'âme. Mais toute médaille a son revers : « L'internaute consomme, remarque Jean-Claude Kaufmann. Il compare les profils proposés comme des produits. Mais il se dit qu'il trouvera toujours mieux : trop d'offre tue l'envie. »
Catherine Paris connaît bien cet univers. Journaliste indépendante, elle consacrait dans son premier roman, « Voir le loup », un chapitre à l'amour assisté par ordinateur. Alléché, son éditeur, Calmann-Lévy, lui passe donc commande d'un guide complet sur le phénomène. Intitulé « Le nouvel art d'aimer », il ne verra jamais le jour : « Mon éditrice a pris peur, je crois, suggère l'auteur. Elle a trouvé cette réalité trop glauque ou mon regard trop cynique. » Catherine Paris y racontait, par exemple, l'histoire de cette femme et de cet homme, la quarantaine tous les deux, qui ont « chatté » des mois durant, persuadés qu'ils étaient faits l'un pour l'autre, sans s'être jamais vus : « Elle habitait Carpentras, lui Grenoble. Il lui a dit "viens". Mais quand il l'a vue, il s'est rendu compte de son erreur. Econduite, la femme a tenté de se suicider. » Cas-limite, mais Didier Dahan, coauteur du guide, raconte peu ou prou la même histoire : « Je suis allé sur le Net en professionnel averti. Mais, même moi, je me suis pris au jeu. J'ai correspondu avec une femme pendant des semaines, et j'ai cru qu'elle était la femme de ma vie. Jusqu'à ce que je la voie. »
Le mot d'ordre : la prudence. Méfiance donc, car l'outil est trompeur : « Dans un premier temps, tout est plus facile, analyse Jean-Claude Kaufmann. On se livre d'autant plus que l'on se sent protégé. Dans ce premier échange, on croit s'engager. Mais quand on rencontre vraiment l'autre, on réalise que tout reste à faire. »
Pour éviter ces désillusions, les « pros » savent qu'il faut rencontrer son contact très vite, sans attendre que les fantasmes s'installent. « Je le cerne en deux ou trois mails, explique Sarah. S'il me convient, je lui donne rendez-vous. S'il refuse, ce n'est pas grave. » Mais ne pas attendre ne suffit pas. Il faut surtout ne pas trop en attendre. « Internet m'a permis de me reconstruire, explique Lucille, dont le copain est mort accidentellement il y a cinq ans. J'étais anéantie. Je suis allée sur le Net, à la recherche d'affection et de sexe. Mais rien de plus. » Une fois remise de la mort de son mari, Dalila a succombé au vertige de la « recherche fébrile » : « Je crois que c'était un passage nécessaire. La recherche elle-même devient un dérivatif à la solitude. » Lucille le confirme qui, le matin, se connecte pour vérifier ses messages et à nouveau le soir, en rentrant du travail. Accro ? Oui, comme cette jeune femme qui, à la énième désillusion, est retournée sur Meetic pour se déconnecter définitivement et qui a repris la conversation avec un nouveau profil.
L'échange amoureux sur Internet doit être vécu avec légèreté pour ne pas souffrir. Il ne faut pas s'investir, expliquent les utilisateurs avertis. Certes ! Mais cette prudence lors des premiers échanges n'est pas spécifique au Net. Elle est devenue la règle de toutes les rencontres, or c'est justement cette prudence attentiste qui fait capoter les histoires. « L'échange sur Internet est typique de notre société où l'on rêve de se rencontrer, mais où l'on se méfie de l'autre », résume Jean-Claude Kaufmann.
La preuve ? Celles qui choisissent la « spontanéité » et fuient tout moyen artificiel de rencontres n'échappent pas pour autant à la lourdeur des rendez-vous, où, obsessionnellement, elles se demandent si celui-là est le bon. Le cas d'Irène est exemplaire : à 29 ans, la jeune femme ne perd pas une occasion de rencontrer des hommes chez des amis et, en moins de deux ans, la jeune femme a enchaîné ce qu'elle appelle avec humour des « dates », qu'elle prononce à l'anglaise. « La première fois qu'on se revoit, ça se passe bien. On se découvre et l'on a beaucoup de choses à se dire. Le problème, c'est la deuxième fois. On ne sait plus quoi se dire. Chacun sait pourquoi l'autre est là. Rien ne se passe, c'est un cauchemar ! »
La spontanéité n'a donc rien à voir avec le mode de rencontre. C'est un état d'esprit ! A la deuxième rencontre, Irène ne voit plus que « les détails qui tuent », la cravate mal assortie ou les hésitations au moment de payer l'addition, car elle reconnaît elle-même avoir une idée très précise de ce qu'elle cherche. « J'ai eu une histoire de deux ans avec un mec pile dans ma cible, raconte encore la jeune femme. Il bossait dans la finance, gagnait bien sa vie. Il était drôle et j'étais amoureuse. » Mais patatras : « Il s'est acheté un appartement et, au moment de signer, j'ai compris qu'il n'était pas question que je m'y installe : après deux ans de relations ! Alors, je l'ai mis au pied du mur : tu t'engages ou c'est fini. Il m'a répondu : c'est fini ! »
Aujourd'hui, avec le recul, Irène se dit qu'elle devrait être plus ouverte. Mais comment se refaire ? « C'est du pragmatisme, se défend-elle. Je sais très bien que je ne vais pas tomber amoureuse d'un homme avec qui je n'ai rien en commun. » Elle se dit aussi qu'elle devrait être plus patiente : « C'est débile, je sais, mais dès que ça colle un tant soit peu, je me demande déjà comment sonne mon prénom suivi de son nom ! »
Les hommes sont paumés ! Très banale, l'histoire d'Irène ! Lisa a 36 ans et doit, elle aussi, apprendre à maîtriser son impatience : « Avant, je cherchais le gendre idéal, CSP +, et, au bout d'une heure, je lui demandais : t'es marié ? tu en es où ? tu te sens prêt à t'engager ? J'en ai fait fuir pas mal ! »
En filigrane, pour ces trentenaires, la délicate question des enfants devient un sérieux handicap : « Ce n'est pas que les hommes ne veulent pas devenir pères, estime le psychiatre et spécialiste du couple Serge Hefez. Mais aujourd'hui, le désir d'enfants doit aussi être le leur. » Or, on le sait, en la matière, homme et femme ne sont pas à égalité : à 30 ans, l'horloge biologique des femmes sonne de manière impérieuse ; les hommes, eux, ont tout le temps.