De ce point de vue, les divorcées avec enfants devraient avoir un avantage appréciable. Anne, scénariste de 43 ans, a deux fils et, après un an et demi de solitude, vit avec délices les avantages de l'amant : « La situation est idéale. Je décide quand on se voit. Je suis amoureuse comme une adolescente et complètement libre. » Cette attitude, traditionnellement masculine, se répand à grande vitesse chez ces « monop » avec enfants. Mais cela peut-il durer ? Bien sûr, répond Serge Hefez. Même s'il ajoute que « la danse du couple se remet vite en marche : si la femme dit "pas ce soir", l'autre peut se demander jusqu'à quel point il compte ». La « situation idéale » peut se révéler une négociation, d'autant plus redoutable qu'elle est implicite, où la relation est sans arrêt mise à l'épreuve ! Et les hommes, qu'on dit si soucieux de leur indépendance, peuvent y laisser des plumes, comme Nicolas, qui n'a pas très bien vécu d'être à 37 ans le « repos du guerrier » d'une femme de 40 ! Et que dire de la redoutable Catherine qui, à 58 ans, est directrice commerciale, « habituée à manager des équipes » : prête à ce type de relations où chacun reste chez soi, elle ne veut pourtant pas « se tenir à la disposition d'un homme marié » et juge, pour finir, que, « passé 45 ans, tous les hommes sont des épaves ».
En butte à de telles exigences, les hommes sont aujourd'hui paumés ! Tel est le jugement de Sylvie Tenenbaum, psychothérapeute, et Hélène Vecchiali, consultante en ressources humaines. La première est l'auteur d'un ouvrage paru l'an dernier, « Cherche désespérément l'homme de ma vie » (2). L'autre vient d'écrire « Ainsi soient-ils », sous-titré de façon très explicite : « Sans de vrais hommes, point de vraies femmes... » (3). Les deux spécialistes sont arrivées, chacune de son côté, à la même conclusion : les femmes paient très cher leur confusion. Elle veulent un homme, un vrai, qui les séduit et les protège, mais qui, dans le même temps, repasse seul ses chemises et sache les comprendre comme une copine. Un homme idéal, qui n'a qu'un seul défaut : il est... introuvable !
Elles paient également leur méfiance : « Elles attendent d'être séduites, mais, quand un homme les aborde, elles sont à deux doigts de lui coller une claque », remarque Anne. Véronique Corniola, fondatrice il y a dix ans de la première école française de séduction, l'affirme en termes plus crus : « Dès qu'un homme montre son désir, elles sont horrifiées ! Pourtant, elles devraient savoir qu'un homme couche d'abord et tombe, peut-être, amoureux ensuite. »
A force de chercher l'homme idéal, certaines semblent avoir oublié qu'il n'y a pas d'amour sans prise de risque. Lisa en est désormais convaincue et adopte maintenant la « zen attitude » ! Elle explore des voies plus traditionnelles de rencontres. Les leçons de tango : « Pas mal. » Les cafés littéraires : « Très visiblement, s'amuse-t-elle, je ne suis pas la seule à penser que l'amour de la littérature est un prétexte. » La chorale : « Très sympa, mais beaucoup d'homos. » Militer à la section du PS de son quartier : « Pareil que la chorale ! » Elle prend garde à son image, tente de ne pas affoler les candidats éventuels : « Je suis grande, ce qui ne facilite pas les choses. J'essaie d'atténuer cette impression par une tenue et un maquillage qui restent discrets. » Elle constate aussi qu'en vacances, bien plus détendue, elle n'a aucun mal à rencontrer des hommes : « Il n'y a pas d'enjeu. On se fout de savoir si ça va durer. » Le secret n'en est pas un, conclut Lisa : « Il faut être disponible sans être à cran. » Dans « Premier matin » (4), l'étude de 23 histoires d'amour naissantes, Jean-Claude Kaufmann remarquait que beaucoup de ces histoires démarraient dans l'étourdissement d'une fête, et surtout l'été. Certes, personne ne connaît la fin de ces « romances d'aujourd'hui », mais la conclusion s'impose : les filles, abandonnez-vous !
Les célibataires de cinéma - La revancharde
Mathilde Seigner dans « Tout pour plaire », 2005
« Durant des années, j'ai été persuadée que dans chaque wagon de métro m'attendait l'homme de ma vie. Et puis j'ai acheté une voiture. » Aigrie, revancharde, Juliette est la célibataire qui n'y croit plus. Paris, un show-room permanent ? La réalité, c'est le désert, Montluçon, après 18 heures. Les soirées ? « Trois mecs pour 25 nanas : deux homos et un célibataire chauve. » Alors, elle culpabilise : « Il me manque du charme, du mystère », et compense en explosant son découvert. Avant de s'apercevoir que son banquier a peut-être du coeur. « Des trois femmes de « Tout pour plaire », explique Jérôme Soubeyran le coscénariste, Juliette la célibataire est un ton au-dessus des deux autres, c'est celle qui a le plus de colère, de souffrance en elle. En termes d'écriture, c'est aussi le plus payant. » Résultat : 1,5 million de spectateurs pour ce premier film signé Cécile Telerman.
François-Guillaume Lorrain
Les célibataires à la télé - L'indécise
Mélanie Doutey dans « Clara Sheller », 2005.
« La célibataire est un personnage ambivalent qui envie les gens qui sont en couple, mais que les autres envient, car elle est libre, jolie, éventuellement délurée », explique Nicolas Mercier, le scénariste de la série. Mignonne, romantique et très libre, mais souvent trompée par son instinct, Clara transforme la recherche du prince charmant en parcours semé d'erreurs. A priori très parisienne, car ancrée dans le milieu bobo, la série de ces six épisodes a pourtant remporté un gros succès : 6 millions de téléspectateurs en moyenne. « On m'a déjà proposé d'autres « Clara Sheller » que j'ai refusées. Mais je suis certain qu'elle aura des clones », ajoute Mercier.
F.-G. L.
Les célibataires de cinéma - La plaquée
Michèle Bernier dans « Le démon de midi », 2005.
Un grand classique : le mari adoré vous laisse pour une fée Pentium, plus jeune de dix ans. BD à l'origine, largement plébiscité par le lectorat féminin, « Le démon de midi » propose la réponse actuelle à un cas de figure on ne peut plus traditionnel. Après avoir épuisé les solutions habituelles - retrouvailles avec les ex, rendez-vous arrangés par les copines, antidépresseurs -, il s'avère que l'avenir de la femme larguée n'est pas forcément l'homme : « Après une rupture, explique Florence Cestac, l'auteur de l'album adapté à l'écran, on ne s'en sort pas toujours en rencontrant quelqu'un qui va panser vos plaies. On peut aussi s'en sortir grâce à soi-même. »
F.-G. L.
Les célibataires de cinéma - L'angoissée
Marina Foïs dans « J'me sens pas belle », 2004.
« J'ai interviewé des amies célibataires habitant à Paris, raconte Bernard Jeanjean, le réalisateur. Chez ces femmes coexistent un grand désir de vivre à deux et en même temps une peur de franchir le pas. Le plus frappant, ce sont leurs efforts pour appliquer des règles. Elles croulent sous les journaux féminins les bombardant de modes d'emploi qui les obligent à se projeter dans des codes, alors que la solution est d'être naturelle, d'entrer directement dans la relation. » Le cinéaste explore donc les craintes d'une trentenaire qui a une soirée pour décider si le jeune informaticien qu'elle reçoit en tremblant est le bon. Un huis clos où excelle Marina Foïs en célibataire fragile.
F.-G. L.
Les célibataires à la télé - Les délurées
« Sex and the city », 1998
Quatre créatures délurées de Manhattan, qui parlent de sexe de façon culottée. Les hommes en ont appris de belles sur la manière dont on les perçoit. Les femmes, elles, se sont reconnues dans ces drôles de dames qui s'amusent de leurs désarrois amoureux et transforment leurs errances affectives en slalom entre vernissages et boîtes échangistes
Ruée sur les livres étrangers
« Le journal de Bridget Jones », journal obsessionnel et hypo- condriaque de cette célibattante aura depuis 2000 attiré plus de 1 million de lectrices françaises. Ses aventures de femme mariée, « L'âge de raison », n'ont pas connu le même succès (600 000 exemplaires). J'ai Lu et Fleuve Noir ont lancé diverses collections, destinées à des lectrices actives, célibataires. Parmi les titres, « Les filles n'en mènent pas large », de Sparkle Hayter (50 000 ventes). Les Françaises plébiscitent décidément les auteurs étrangères. Dernier exemple : Lucia Etxebarria (« Amour, Prozac et autres curiosités », « Beatriz et les corps célestes »), version movida de la misère sexuelle au féminin.
F.-G. L.
Josiane Balasko : « En amour, il ne faut pas avoir peur de souffrir »
«Trente ans de féminisme pour en arriver là ! » s'effare Michèle Bernier dans son film « Le démon de midi ». Plaquée par son mari, elle se surprend à se consoler dans un spectacle de strip-tease masculin. Josiane Balasko est allée encore plus loin. L'héroïne de « Cliente », roman publié chez Fayard, paie des hommes prostitués et obtient ce qu'elle cherche : de l'affection sans complications. « Ce n'est pas du vécu, précise Balasko. Mais j'ai beaucoup observé ces femmes de 40-50 ans, divorcées, et j'avais envie d'aborder ce sujet. » Un sujet qui dérange : le livre a d'abord été un scénario refusé par les producteurs. Il deviendra bientôt un film, avec Nathalie Baye. « Je pense que ce qui dérangeait le plus, c'est qu'elle le vive bien, pas comme un pis-aller, mais comme un moyen de se protéger de l'amour. Moi, j'ai eu beaucoup de chance. A l'âge de mon héroïne, je me suis remariée. Si je ressemble à un personnage du livre, c'est à la soeur, qui retombe amoureuse comme une midinette d'un cow-boy alors qu'elle rêvait d'un archéologue. Dans la vie, la rencontre est un état d'esprit. Bien des femmes restent seules parce qu'elles privilégient leurs enfants, ou alors elles sont méfiantes parce qu'elles ont souffert. Il ne faut pas avoir peur de souffrir en amour. »
M.-S. S.
Mathilde Seigner : « Je change tous les trois ans... »
«Ce n'est certainement pas un hasard si les réalisateurs font souvent appel à moi pour des rôles de célibataires. Il doit y avoir quelque chose dans mon caractère qui les inspire. Mais, moi, je n'ai jamais été seule ! Je change souvent, tous les trois ans à peu près. Pourtant, j'ai eu des gars formidables. L'amour en CDD ne me pose pas de problème. Simplement, parfois, je sens bien que ça va pas coller. Je n'arrive pas à me poser. Même si, au fond, j'aurais aimé faire comme mes parents. Peut-être que je fais peur aux hommes. En fait, c'est comme Bardot - pas physiquement, bien sûr - mais je suis un peu « l'homme de ma vie » : je fais tout toute seule, je suis indépendante, souvent je gagne plus d'argent qu'eux. Chercher un homme ? Pas question : je trouve ça pathétique ! Je suis très exigeante dans mes choix : le physique, je m'en fiche, mais il faut qu'il soit drôle, intelligent et qu'il soit prêt à suivre mes folies. Même si je crois avoir mis de l'eau dans mon vin, parce que sinon on s'engueule en permanence. Pour me plaire ? C'est très simple, il faut me faire rire. Mais moi, pour plaire à un type, je ne suis prête à rien. Je ne suis pas du tout une séductrice, juste une déconneuse. Ça leur plaît, on dirait. »
Propos Recueillis par M.-S. S.
Paroles d'hommes
Que pensent aujourd'hui les hommes des femmes ? Quelques quadras célibataires ont accepté de répondre et le portrait esquissé n'est pas très flatteur. Thierry, 39 ans, est « romantique ». Il y a cinq ans, ce directeur d'études de marketing a accepté de voir ses revenus divisés par deux pour devenir prof de philo. Résultat : « Mon amie m'a quitté, me disant que je n'étais plus le même. » Vénales, les femmes ? Olivier n'est pas loin de le penser : « Elles nous traitent comme des Kleenex : elles cherchent un géniteur qui gagne bien sa vie. Qu'importe si elles sont amoureuses puisqu'elles savent que si elles partent, elles garderont les enfants et la pension qui va avec. » Une perspective qui terrorise ce chef d'entreprise de 40 ans qui n'a qu'un rêve : fonder une famille qui ne volera pas en éclats à la moindre vicissitude. « Mes amis se sont mariés entre 25 et 30 ans. Presque tous ont été mis devant le fait accompli. Un jour, leur femme leur a dit : Je ne t'aime plus, je te quitte ! »
Selon Olivier, les femmes d'aujourd'hui sont impossibles à satisfaire : « Un homme sympa et attentionné ne leur suffit pas. Il faut qu'il soit riche, surprenant, avec un métier qui fait rêver. Et si tu te présentes comme une personne stable qui cherche un engagement durable, elles te reprochent ton manque de fantaisie ! » Patrick, comptable de 43 ans, s'en amuse : « Elles veulent un PDG qui ait du temps à leur consacrer, exactement comme un homme qui cherche une Adriana Karembeu cuisinant comme Maïté ! » Thierry fustige celles qui veulent une relation « vraie » tout en restant indépendantes : « Ce sont les mêmes qui pleurent devant leur ordinateur parce qu'elles se sentent seules ! » Olivier renchérit : « Soit tu les colles trop et tu les étouffes, soit tu ne les colles pas et tu les négliges ! » Un best-seller américain débarque en France consacré à ce sujet : élégamment intitulé « Pourquoi les hommes préfèrent les chieuses », il n'est pas sûr qu'il fasse ici le même tabac !
Camille Dattée
Le modèle américain
A ux Etats-Unis, l'engouement pour les héroïnes célibataires remonte à 1997, année de baptême d'« Ally McBeal », qui précéda d'un an ses consoeurs de « Sex and the City ». Bien sûr, on avait déjà parlé des femmes seules, mais cette fois le ton était différent : la célibataire n'est plus une vieille fille qui se lamente sur son sort et le célibat devient une grande aventure, évoquée avec drôlerie, effronterie. La solitude, loin d'être un boulet, est exubérante, parfois revendiquée. La France, avec un retard évident, a pris modèle sur ces séries : « Ces séries-là ont commencé à être diffusées chez nous fin 2000, se souvient Nicolas Mercier, le scénariste de « Clara Sheller ». Elles ont connu un succès inattendu qui a fait réfléchir les producteurs. Là-dessus est venue se greffer "Bridget Jones". Toutes ces héroïnes avaient un point commun qui m'a influencé : l'humour. » Mais le constat s'impose : notre pays est à la traîne. Pourquoi un tel décalage ? « La France, avance Nicolas Mercier, est en retard du point de vue de la représentation sociale. On cloisonne. Soit on fait du social pur et dur, soit on donne dans la comédie sentimentale, mais on n'arrive pas à marier les deux. Les Etats-Unis, comme tout pays anglo-saxon, proposent une société plus rigide, plus structurée, qui a davantage conscience des normes et de leur transgression. Aux Etats-Unis, le sexe et le sentiment sont plus codifiés socialement. »
F.-G. L.
1. Nathan. 2. Albin Michel. 3. Calmann-Lévy. 4. Armand Colin.
© le point 07/07/05 - N°1712 - Page 46 - 3037 mots