Vers l'indépendance
La souveraineté pour dépasser l’ethnicité
Denis Monière*
octobre 2000
Nous sommes des Québécois. Cela veut dire que le Québec est le seul coin du monde où nous puissions être pleinement nous-mêmes.(1)
Pourquoi refuser d’être Canadien ? Pourquoi vouloir un Québec souverain ? Quels sont les arguments qui sont employés pour justifier le changement de statut politique du Québec ?
Pour assurer l’épanouissement de l’identité québécoise
L’argument clé consiste à soutenir qu’historiquement et sociologiquement la population québécoise forme un peuple qui dans le cadre du système politique canadien ne peut exister qu’à titre de minorité ethnique, ce qui implique que le peuple québécois ne peut se diriger lui-même et que son destin est dépendant de la majorité canadienne.
Accepter le statut de minorité ethnique signifierait que la communauté francophone qui est massivement concentrée sur le territoire du Québec renonce à l’égalité politique avec la majorité anglophone et remette son sort entre les mains de cette dernière. Cette subordination impliquerait aussi qu’elle renonce à son identité spécifique et qu’elle se fonde dans l’identité nationale canadienne.
Les souverainistes pensent que dans le monde moderne, les droits individuels et les droits des minorités ne peuvent garantir l’épanouissement d’une langue et d’une culture spécifiques. La préservation de l’identité passe par l’appartenance à un territoire et à un État qui incarnent concrètement l’existence collective. L’individu ne peut porter seul le fardeau du destin national surtout dans le contexte canadien où la politique officielle du bilinguisme et du multiculturalisme risque à brève échéance de conduire à l’assimilation des Québécois francophones, ce processus s’étant avéré irréversible dans les provinces hors Québec. L’évolution du statut d’une langue est une question de rapport de forces démographique et politique et ne peut être laissée aux hasards des ambitions individuelles. Comme le Québec est le seul territoire où les francophones sont en majorité et peuvent contrôler un gouvernement et puisque la plupart des Québécois s’identifient d’abord et avant tout comme Québécois2, il revient à l’État du Québec d’assurer la promotion de la langue française et de l’identité québécoise. Or, cette exigence est inconciliable avec le nationalisme canadien qui non seulement refuse de reconnaître l’existence du peuple québécois mais qui combat activement l’affirmation identitaire québécoise.
Pour sortir d’un système de domination
Les souverainistes considèrent que le Canada est fondé sur une oppression nationale et que la constitution canadienne n’a pas de légitimité historique puisqu’elle a été adoptée par un parlement étranger pour satisfaire les intérêts de l’Empire britannique et qu’elle n’a jamais été ratifiée par le peuple. Cet argument de l’absence de légitimité a été repris plus récemment à la suite du rapatriement unilatéral de la constitution en 1981-1982 qui a eu pour effet d’imposer une formule d’amendement et une charte des droits sans que la population ne soit consultée et en dépit d’un désaccord formel et bipartisan de l’Assemblée nationale du Québec.
La domination politique du Québec à l’intérieur du système canadien va de pair avec l’évolution démographique du Canada car la proportion de la population québécoise diminue constamment dans l’ensemble canadien. On peut désormais gouverner le Canada sans tenir compte du Québec. Pour exercer une influence dans le système politique canadien, les Québécois doivent concentrer leurs votes sur un seul parti pour faire élire un maximum de députés québécois qui pourront ainsi peser dans la balance du pouvoir. Cette logique unanimiste est débilitante car elle limite la liberté du choix politique.
Pour rendre la gestion des affaires publiques plus rationnelle
Le discours souverainiste entretient et renouvelle périodiquement son arsenal de critiques du fonctionnement du fédéralisme canadien. On dénonce les tendances à la centralisation, à l’uniformisation, les effets structurels délétères sur le développement économique du Québec, les conflits de juridiction qui nuisent à l’efficacité de la gestion du bien public, les abus du pouvoir de dépenser, les réductions des paiements de transfert, les iniquités dans les subventions etc. Il s’agit de démontrer que non seulement le Québec n’a pas les pouvoirs suffisants pour assumer des responsabilités normales d’un État national, mais aussi qu’il y a de nombreux chevauchements de compétences entre les deux paliers de gouvernement et que le gouvernement fédéral a tendance à s’ingérer de plus en plus dans les champs de juridiction provinciale afin d’imposer des politiques et des normes nationales qui restreignent d’autant l’autonomie des provinces. Soulignons que cette critique n’est pas propre aux souverainistes mais qu’elle est partagée par des fédéralistes québécois qui revendiquent une réforme de la fédération canadienne. On retrouve dans cette argumentation ce qu’on appelle les demandes traditionnelles du Québec qui ont été formulées aussi bien par l’Union nationale que par le Parti libéral du Québec. Le rapport de la Commission Bélanger-Campeau illustrait parfaitement ces critiques. On y soutenait entre autres que les conflits de juridiction nuisaient à l’assainissement des finances publiques et que la concurrence entre les deux niveaux de gouvernement produisait du gaspillage de ressources et des incohérences dans les politiques publiques. La plus récente manifestation de ces dédoublements fut les bourses du millénaire qui dédoublaient le système québécois des prêts-bourses. Le fédéralisme aux dires des souverainistes engendre donc un déficit de rationalité que la souveraineté pourrait corriger.
Un État souverain donnerait aussi aux Québécois le contrôle des leviers de développement économique et social. Le Québec ne serait plus à la merci du gouvernement fédéral qui change unilatéralement les règles du jeu et réduit d’autant l’efficacité des politiques québécoises.
Pour améliorer le fonctionnement de la démocratie
L’État canadien ne satisfait pas les hautes exigences d’une société démocratique. C’est d’abord une monarchie et même si on nous dit que celle-ci n’est que symbolique, il en découle implicitement une conception dirigiste du gouvernement. Le premier ministre dans le système parlementaire d’inspiration britannique a les pouvoirs d’un monarque. Il nomme le gouverneur-général du Canada, les lieutenants-gouverneurs, les membres de la Cour suprême et des cours fédérales, les membres du Sénat, les présidents des corporations de la Couronne etc. Le fonctionnement du fédéralisme éloigne les citoyens de la prise de décision et entretient de la confusion quant aux responsabilités des différents paliers de gouvernement.
Le fédéralisme produit un effet de distanciation entre le citoyen et ceux qui prennent effectivement les décisions. En superposant les centres de décisions, il brouille la responsabilité des dirigeants et accroît le pouvoir de la bureaucratie. Le citoyen n’est pas toujours en mesure de savoir qui décide quoi et les politiciens peuvent se renvoyer les responsabilités et les torts d’un niveau de gouvernement à l’autre.
La Constitution canadienne est anti-démocratique car elle procède d’une loi archaïque votée par un parlement étranger. Elle entretient la confusion sur le partage des pouvoirs et ne permet pas à un citoyen d’avoir une idée claire des responsabilités des divers ordres de gouvernement. Une constitution écrite sert précisément à rendre transparentes les règles du jeu politique. Or, celle du Canada n’a pour ainsi dire aucune utilité pour le citoyen qui veut savoir qui fait quoi.
Le déficit démocratique se manifeste aussi dans les déséquilibres entre les ressources financières qu’accapare le gouvernement fédéral et les responsabilités qu’ont à assumer les provinces qui, elles, n’ont pas les revenus nécessaires pour remplir leurs obligations. Les services les plus coûteux sont de juridiction provinciale alors que les provinces n’ont pas les capacités fiscales et financières.
Le fédéralisme bloque aussi toute réforme du mode de scrutin car une province qui dérogerait à la règle du scrutin uninominal à un tour s’affaiblirait politiquement dans ses relations avec le reste du Canada. Le mode de scrutin en vigueur au Canada qu’on appelle le scrutin de majorité simple réduit l’éventail de choix des citoyens à deux ou trois partis. C’est le moins démocratique des modes de scrutin car il crée une distorsion entre le nombre de votes obtenus par un parti et le nombre de candidats élus. Ainsi, le Parti libéral du Canada gouverne le Canada et impose ses diktats alors qu’il n’a recueilli que 38 % des votes aux élections de 1997 ce qui lui a donné 51,5 % des sièges. Si on désirait améliorer la représentation des citoyens en instaurant un scrutin proportionnel au Québec, tout en restant à l’intérieur du système canadien, le gouvernement du Québec serait plus faible que ses homologues provinciaux, car ce gouvernement serait formé par une coalition de partis et il pourrait difficilement parler d’une seule voix. Il serait aussi moins stable car la défection d’un parti de la coalition gouvernementale pourrait lui faire perdre la majorité. Dans de telles conditions, il serait beaucoup moins efficace pour négocier avec le gouvernement canadien. Le fédéralisme canadien bloque la démocratisation de la vie politique québécoise.
Sam 12 Aoû - 7:25 par Tite Prout