PORTRAIT
Hassan Nasrallah, un chef charismatique, qui ne se contente pas de discourir
L'article de Scarlett HADDAD L'Orient Le Jour
Dans le monde arabe, où tout leader est généralement jugé à son éloquence verbale, sayyed Hassan Nasrallah tranche.
L’homme qui a le sens de la mise en scène – il l’a montré lors de son discours diffusé en simultané avec le bombardement du
navire de guerre israélien – et qui, de l’avis même de ses détracteurs, est charismatique, est aussi un homme d’action. Il est
même pratiquement le cerveau du Hezbollah. Depuis qu’il s’est engagé en 1982 dans les rangs de la Résistance contre
l’invasion israélienne, le jeune homme a fait du chemin dans les rangs de la formation.
Originaire de Bint Jbeil, il avait 22 ans lorsqu’il s’est enrôlé au sein du Hezbollah qui était à l’époque un vague groupuscule
complètement sous la férule des Gardiens de la révolution iraniens.
Au départ, il n’était qu’un combattant comme les autres, mais il s’est rapidement détaché du lot, gravissant les échelons au
sein de la formation pour en devenir le secrétaire général en 1991, après l’assassinat de Abbas Moussaoui par les Israéliens.
Les deux secrétaires généraux qui l’avaient précédé n’avaient ni son charisme ni son sens de l’organisation. Cheikh Sobhi
Toufayli était perçu comme un chef extrémiste, qui prônait une sorte de révolution permanente et qui était loin de jouir d’un
pouvoir réel sur les combattants. En 1990, après la conclusion de l’accord de Taëf et alors que la Syrie qui exerçait alors sa
tutelle sur le Liban avait décidé de pacifier le pays, Toufayli le jusqu’au-boutiste a été évincé et remplacé par Abbas
Moussaoui. Ce dernier n’a pas eu vraiment le temps d’imprimer sa marque sur le Hezbollah car il a été assassiné ainsi que sa
femme et son fils. Il a donc fallu lui trouver un remplaçant et c’est ainsi, dit-on, que les Iraniens, qui connaissaient bien le
Hezbollah, ont choisi Hassan Nasrallah, avec l’aval du président syrien Hafez el-Assad.
Nasrallah avait alors 31 ans et très vite, il a complètement transformé le parti. Celui-ci a commencé d’abord par s’intégrer au
sein de la vie politique libanaise, en participant aux élections législatives de 1992. En même temps, il s’organisait en tant que
mouvement de résistance.
Les observateurs s’accordent à dire que sous le commandement de Nasrallah, le Hezbollah a mené dans le passé deux
confrontations avec Israël qui se sont soldées par une victoire de la formation. Il y a eu l’opération de juillet 1993, au cours
de laquelle le Hezbollah a bénéficié de l’appui de l’armée par le biais de son commandant en chef, le général Émile Lahoud,
contraignant Israël à se replier dans la fameuse bande frontalière, puis l’opération « les Raisins de la colère », en avril
1996, qui s’est terminée par les arrangements d’avril, conclus sous l’égide de la France et avec la participation active de
Rafic Hariri. Ces arrangements légalisent la résistance du Hezbollah, tout en protégeant les populations civiles des deux
côtés de la frontière.
Hassan Nasrallah est ainsi perçu à la fois comme un chef militaire et comme un homme politique, puisqu’il a réussi cette
double fonction : transformer le Hezbollah en parti politique de masse, tout en améliorant ses performances militaires.
Des massacres évités
L’homme, qui n’a multiplié que tout récemment ses apparitions publiques, s’est doté d’une stature de chef charismatique,
lorsque son fils Hadi, qui avait dix-huit ans, est mort en martyr au cours d’une confrontation avec Israël. Ce jour-là, Hassan
Nasrallah, pourtant très éprouvé, n’a pas versé une larme. Et à ceux qui venaient lui présenter leurs condoléances, il disait : «
Mon fils a eu cette chance inouïe de mourir en martyr. Si sur le plan personnel, je souffre, sur le plan national, je suis un
homme heureux. »
En 2000, son attitude nationale lui a aussi conféré une nouvelle stature. Alors qu’en retirant ses troupes brusquement et sans
coordination ni avec le Liban ni avec la Finul, Israël avait misé sur des massacres intercommunautaires, Hassan Nasrallah a
donné des instructions très strictes à ses hommes pour éviter tout règlement de comptes interne. Et, dans un discours célèbre
prononcé à Bint Jbeil, quelques jours après le retrait total des troupes israéliennes, il avait dédié cette victoire à tous les
Libanais.
Dès lors, on aurait pu croire le Hezbollah définitivement tourné vers la politique et l’intégration dans le tissu social. En fait,
Nasrallah continuait en parallèle à armer et à entraîner ses hommes. L’homme de dialogue, dont les politiciens libanais saluent
la propension à la dialectique, est resté un chef militaire.
Ceux qui le connaissent de près affirment qu’il est un homme d’une grande culture, spécialiste de tous les mouvements de
libération dans le monde, mais aussi féru de religion. Il s’intéresse notamment au christianisme et aime se lancer dans des
débats théologiques. Mais Nasrallah est aussi un pragmatique, un homme du terrain, doté d’un grand sens de l’organisation et
de la discipline.
Ses proches affirment qu’il est tout le contraire d’un impulsif, ne se laissant jamais entraîner dans des réactions non
étudiées. Il écoute et consulte beaucoup et ne prend aucune décision qui ne soit mûrement réfléchie. Mais c’est aussi un
homme de pouvoir, qui veille aux moindres détails et qui n’aime pas déléguer ses prérogatives. Le règlement interne du parti a
d’ailleurs été amendé pour lui permettre d’exercer un nouveau mandat.
Sur le plan personnel, c’est un croyant sincère qui applique à la lettre les principes de l’islam. Incorruptible, il est très strict
avec ses hommes sur ce sujet. Mais il est aussi doté d’un grand sens de l’humour, tout en étant assez timide. À ses proches, il
avoue son grand attachement à la chaîne al-Manar, qu’il a lui-même lancée, et dont il veut faire une des armes de la
confrontation.
Avec ses trois casquettes, d’homme politique, de chef militaire et de dignitaire religieux, Hassan Nasrallah est aujourd’hui
une des figures les plus marquantes du monde arabo-musulman.
Scarlett HADDAD