Le franc CFA voit l’avenir en euro
10/01/2002
Depuis le 1er janvier 1999, l’euro est devenu la monnaie des onze pays européens membres de l’Union économique et monétaire européenne, le franc français se ramenant à une subdivision non décimale de l’étalon européen.
Dans le même temps, était relancé un cycle de spéculations sur une nouvelle dévaluation du franc CFA avant le basculement fatidique.
Il n’en a rien été, puisque la substitution de l’euro au franc français a déterminé automatiquement les parités en euro du franc CFA, à partir du taux de conversion irrévocable euro/franc français, définitivement arrêté le 31 décembre 1998 par le Conseil de l’Union européenne à 1 euro=6,5597 FF. Le franc CFA s’échangeant à cette époque au taux de 100 francs CFA contre 1 FRF, la parité du CFA à l’euro sera de 1 euro=655,957 FCFA.
Au 1er janvier 2002 cette parité était conservée, en dépit de toutes les appréhensions et rumeurs sur l’éventualité d’une dévaluation. En effet, par une décision du 23 novembre 1998, le Conseil de l’Union européenne avait confirmé le maintien par la France des accords monétaires de la zone franc.
Ce maintien se doublait de la confirmation de la responsabilité de la France et des membres de la zone, pour ce qui est de la mise en œuvre des dits accords monétaires. Responsabilité qui inclut, a priori, les éventuelles modifications de la parité Euro-CFA, sous réserve d’informer régulièrement les institutions concernées de l’union sur l’application des accords monétaires, et spécifiquement en cas de modification des parités.
Une décision du Conseil de l’Union européenne est cependant nécessaire en cas de changement de la portée des accords -admission d’un nouvel Etat-, et dans le cas de la modification de la nature même de l’accord, par exemple si il y avait une remise en cause de la fixité de la parité en zone franc.
D’un point de vue technique, l’ancrage au franc français est remplacé par l’euro, et le franc CFA est convertible à l’euro depuis le 1er janvier 2002. Le franc CFA demeure pourtant la monnaie d’usage en zone franc et les opérateurs disposant de francs français doivent les échanger contre des euros d’ici à juin 2002.
Les analystes ont déjà repris leurs joutes autour du bien fondé du maintien de cette zone monétaire quasi-cinquantenaire, témoignage d’un passé colonial révolu. Les plus optimistes voient une aubaine dans la possibilité offerte aux producteurs de la zone franc, d’avoir accès à un marché de 300 millions de consommateurs à fort pouvoir d’achat. L’arrimage du CFA à l’euro serait logique, dans la mesure où plus de la moitié des échanges de la zone franc sont réalisés avec l’Europe. Il y aurait donc un gain à utiliser la même monnaie, qui réduirait le risque de change (risques de pertes liées aux fluctuations des cours des devises).
Il faut relever, en retour, que l’arrimage fixe des monnaies des petites économies vulnérables, à des monnaies fortes, montre aujourd’hui toutes ses limites. Le risque encouru de surévaluation et de perte de compétitivité est alors réel.
Les traditionnelles questions de discipline budgétaire et de crédibilité continueront de se poser, avec probablement un regard non plus bilatéral ou de la France vis-à-vis d’une zone qu'elle a enfantée à son image et à sa ressemblance, mais aussi sous l’appréciation du Conseil de l’Union européenne, du Comité économique et financier, de la Banque centrale européenne…
Les problèmes de déficits externes chroniques ne vont pas cesser avec le passage à l’euro, la réalisation de l’intégration économique régionale aujourd’hui encore formelle, reste l’axe majeur de développement de la zone. Elle sera, de plus, au défi de démontrer ses gains d’efficience en face de tensions centrifuges et de modèles alternatifs.
Ze Belinga
1994, la Dévaluation du franc CFA: Violences, Déraisons économiques, Désagrégations sociales
30/01/2004
En attendant l’hypothétique dévaluation du franc CFA ? Leçons de 1994
15/03/2002
Les politiques de changes ont très tôt figuré dans les agendas des institutions de développement et bailleurs de fonds. Le package d’ajustement structurel en Afrique, homologue des politiques économiques menées dans les économies en transition, a vite ciblé l’instrument de la monnaie pour rééquilibrer des économies à la dérive.
La libéralisation des économies comportait un volet de libéralisation des marchés des devises, et au mieux, une adoption de la flexibilité des changes. En Afrique subsaharienne où plusieurs pays avaient déjà adopté la flexibilité -Nigeria, Ghana,…-, la question de la fixité du taux de change en zone franc est devenue épineuse dans les rapports entre les pays de la zone et les bailleurs de fonds, FMI et la Banque mondiale en particulier.
Si la stabilité monétaire de la zone a été reconnue comme un avantage majeur de cette stratégie, les expertises de Bretton Woods tendaient à montrer que les pays africains sous le régime des changes flexibles démontraient des performances économiques supérieures. L’argument de la surévaluation du CFA a servi de fil conducteur, et peut-être de fil d’Ariane… aux tenants de la thèse de la dévaluation et des changes flexibles.
Les résultats de ces réflexions, rarement trop peu partisanes, s’avéraient ambigus. Au revers, il est certain qu'en 1993, la communauté des bailleurs de fonds s’était fait une religion: il fallait dévaluer. C’était devenu la seule alternative économique, et les pays rebelles se verraient couper le robinet de l’aide internationale.
Il convient de se remémorer les attentes et raisonnements qui soutenaient la doxa de la dévaluation, car la question, lancinante, a resurgit avec le passage du CFA à l’Euro, emporté dans le sillage du Franc français.
En effet l’argument le plus médiatique de la dévaluation était le rééquilibrage des comptes extérieurs, notamment l’augmentation des exportations, la diversification des exportables et naturellement davantage de croissance. L’aspect pour le moins mécanique du raisonnement, dévaluation-exportations-croissance a produit des effets de science, et de certitude partagée. La compétitivité des économies africaines s’offrait hic et nunc une équation à identité remarquable. Il n’y avait plus qu'à…
Les enseignements de l’expérience acquise ne sont malheureusement pas aussi optimistes. Certes une dévaluation peut contribuer à accroître les exportations, il faut pour cela que le pays qui dévalue identifie un déficit de compétitivité-prix, c’est à dire que ses produits n’aient pour handicapes décisifs, que des prix et donc des coûts de production plus élevés que la moyenne des concurrents.
Dit autrement, la faiblesse des exportations peut avoir d’innombrables autres explications comme la qualité des produits, le niveau technologique, l’innovation, la connaissance des goûts des consommateurs, les réseaux de distribution, l’image…
Il faudrait qu'une réelle demande existe, adressée au spectre des produits compétitifs du pays, que ce pays dispose d’une capacité et d’une élasticité de production suffisantes, que les firmes ne répercutent pas totalement la différence de change sur les prix de vente…
Si d’aventure l’offre d’exportation consomme beaucoup d’intrants, composants et matières premières importés, une dévaluation peut renchérir le coût de production et … saper la compétitivité-prix. Sans oublier les probables mesures de représailles des pays et entreprises concurrentes, qui, en fonction de leurs marges de manœuvre, pourront contre-dévaluer et réduire leurs marges afin de défendre leur position sur le marché.
Rien n’est donc moins trivial qu’une simple dévaluation pour automatiquement augmenter les exportations d’un pays. Cette équation, par ailleurs, a davantage de chances de fonctionner pour les exportateurs de produits industriels qui ont un pouvoir plus grand dans la fixation des prix, alors que les exportateurs de matières premières subissent des prix fixés sur les bourses de valeurs mondiales. Les cours des matières premières sont déconnectés des politiques de changes des petits Etats africains (petits en poids économique), ils sont tirés par les besoins des économies occidentales, l’intensité et la nature de leur croissance.
Ceci explique que la dévaluation du franc CFA ait donné l’illusion d’un effet tonique sur les exportations, en fait elle a coïncidé par pur hasard avec un cycle long de croissance des économies américaines et européennes qui a maintenu à un niveau élevé les cours des matières premières. Cette croissance a rendu généreux les pays donateurs qui ont insufflé plus d’argent dans les économies de la zone franc, question de doper les résultats des ajustements, et de démontrer l’efficacité du modèle économique néolibéral promu en vérité inévitable.
L’après dévaluation du franc CFA de Janvier 1994 n’est pas révolutionnaire loin de là. La croissance économique excède à peine la croissance démographique, il n’y a pas eu de boom irréversible des exportations, les niveaux d’endettement des 2 sous-régions africaines du CFA dépassent les 100%, la conjoncture des matières premières ou plutôt des économies occidentales demeurent l’alpha et l’oméga de la santé économique des pays de la zone. Quant à la pauvreté on ne peut plus ne pas en parler.
Dévaluation, dévaluation, oui mais aussi, évaluation et…circonspection.
Ze Belinga