Liban
Course-poursuite entre guerre et diplomatie
A Beyrouth, les ministres français et iranien des Affaires étrangères se sont rencontrés pour tenter de trouver une plate-forme commune permettant de mettre un terme à la guerre entre le Liban et Israël. Pendant ce temps, au sud du pays, de violents combats opposent les combattants du Hezbollah aux soldats israéliens sur un front long de dix kilomètres.
De notre correspondant à Beyrouth
Au lendemain du massacre de Cana qui a fait, dimanche, 54 morts civils, Beyrouth a pris le relais de New York dans les contacts diplomatiques destinés à trouver une issue politique à la guerre qui dure depuis bientôt trois semaines entre Israël et le Liban. La capitale libanaise a accueilli lundi, pour la troisième fois depuis le début du conflit, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, et, pour la première fois, le chef de la diplomatie iranienne, Manouchehr Mottaki. Les entretiens des deux ministres avec les responsables libanais ont porté sur le calendrier d’un plan de règlement de la crise et sur la mission et les compétences d’une force internationale qui serait éventuellement déployée au Liban sud.
Appel du pied de Paris à Téhéran
Cette intense activité diplomatique a été couronnée par une rencontre, lundi soir, entre Douste-Blazy et Mottaki. L'entrevue a eu lieu à l'ambassade d'Iran, à Bir Hassan, un quartier limitrophe de la banlieue sud de Beyrouth, dévastée par les raids israéliens. Selon des personnes présentes lors de l’entretien, le ministre français, apparemment surpris par la présence de journalistes, n'a pas souhaité s'adresser à la presse. Escortés par des diplomates iraniens, des cameramen et des photographes ont pu apercevoir Philippe Douste-Blazy assis sur un divan aux côtés de son hôte iranien. Quelques heures plus tôt, le chef de la diplomatie française avait fait un appel du pied à Téhéran en déclarant lors d’une conférence de presse que «dans la région, il y a bien sûr un pays comme l'Iran, un grand pays, un grand peuple et une grande civilisation, qui est respecté et qui joue un rôle de stabilisation dans la région».
Déjà, aux premiers jours de la guerre, le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, avait insisté sur la nécessité d’associer la Syrie et l’Iran à toute solution politique de la crise. Mais les Etats-Unis accusent ces deux pays de déstabiliser la région en soutenant le Hezbollah. Et le président George Bush avait placé la première tournée au Proche-Orient de Condoleezza Rice dans le cadre d’efforts destinés à «isoler» Damas et Téhéran. Selon un proche du président du Parlement libanais, Nabih Berry, qui négocie au nom du Hezbollah, les prochaines 48 heures seront décisives. «Les discussions qui ont lieu à Beyrouth, New York et d’autres capitales, s’articulent sur les priorités et les prérogatives de la force internationale, explique-t-il. C’est vrai que le Liban a annoncé qu’il ne participerait à aucune négociation avant la cessation immédiate des hostilités. Mais tout le monde parle maintenant de la force d’interposition. Cet enjeu fait l’objet d’une véritable bataille diplomatique entre les puissances internationales et régionales concernées par la crise».
La Syrie, par la bouche de son président Bachar el-Assad, a déclaré qu’elle était opposée au déploiement de contingents dotés de pouvoirs coercitifs. «Une telle force va pousser les cellules d’al-Qaïda à décréter le Jihad au Liban», a-t-il dit au ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Abou el-Gheit. Le Hezbollah et avec lui le gouvernement libanais, préfèrent l’élargissement des effectifs et du rôle de la Finul, actuellement déployée au Liban sud. Les Etats-Unis et Israël souhaitent, pour leur part, le déploiement d’unités relevant de l’Otan dont la tâche serait d’empêcher, par la force, les combattants du Hezbollah de revenir sur leurs positions à la frontière, voire même de les désarmer. Mais pour l’instant, aucun pays n’est disposé à participer à une telle force avant la conclusion d’un accord politique. «Si les diplomates arrivent à trouver une synthèse acceptée de toutes les parties concernées, un cessez-le-feu pourrait intervenir dans les 48 heures. Sinon, la guerre continue et pourrait même s’étendre», affirme le conseiller de Nabih Berry.
L’armée syrienne en alerte
Israël, qui n’a enregistré aucun succès militaire majeur depuis le début de la guerre, a intensifié ses opérations au sol depuis lundi matin. Après avoir décidé de mobiliser trois nouvelles divisions, soit 15 000 hommes, qui viennent s’ajouter aux 40 000 soldats déjà sur le terrain, ses unités ont pénétré en territoire libanais en plusieurs points. De violents combats ont éclaté mardi à l’aube sur un front de dix kilomètres de long entre Aïta el-Chaab, dans le secteur central du Sud et Houla, dans la partie orientale. L’objectif de l’armée israélienne est d’occuper une série de collines stratégiques le long de la frontière et de progresser ensuite vers l’intérieur du Sud. Le nouvel objectif israélien décidé par le cabinet de sécurité est d’occuper une zone de 7 kilomètres de profondeur. L’intensité des combats en cours laisse penser que cette tâche sera plus longue que prévue.
Selon de nombreux analystes au Liban, plus les combats s’intensifient, plus les risques d’une guerre régionale augmentent. Pour la première fois depuis une trentaine d’années, Israël a annoncé, lundi soir, l’explosion d’une «bombe syrienne» sur une route habituellement empruntée par des patrouilles israéliennes dans le Golan syrien occupé. Plus explicites encore sont les propos de Bachar el-Assad adressés à son armée. «A l'heure de circonstances internationales et de défis régionaux qui requièrent la prudence, la vigilance et la préparation, chaque effort et chaque goutte de sueur aujourd'hui à l'entraînement, épargneront une goutte de sang lorsque le moment viendra», a-t-il dit.
Alors que certains voyageurs en provenance de Syrie ont fait état du rappel de réservistes, ce que Damas n'a jamais annoncé officiellement, le président Assad a ajouté que «tous les hurlements menaçants des forces hégémoniques soutenant l'agression ne nous empêcheront pas de continuer sur le chemin de la libération, et de soutenir nos frères et la résistance» du Hezbollah. Pendant ce temps, sur le terrain, la trêve aérienne toute relative de 48 heures, décrétée par l’armée israélienne, a permis aux secouristes d’accéder aux villages du Sud, isolés depuis le 12 juillet. Plus de cinquante corps ont été retirés des décombres de maisons détruites dans plusieurs localités ou de voitures touchées par des missiles.
Les images rapportées par les journalistes et les cameramen ont montré des villages entiers rasés par les raids. La ville de Bint-Jbeil, théâtre de violents affrontements la semaine dernière, est presque totalement détruite. C’est aussi le cas d’une quinzaine d’autres villages, qui ont besoin d’être reconstruits de nouveau. En outre, malgré la trêve, l’aviation israélienne n’a pas chômé. Les chasseurs-bombardiers ont pilonné la ville de Hermel, dans l'est du Liban tôt mardi. Un autre raid a visé la route de Qaa-Homs, une des quatre voies menant du Liban en Syrie, à 10 kilomètres au nord de Hermel, près de la frontière libano-syrienne. Deux passages vers la Syrie sont ainsi hors d'usage, après la multiplication des bombardements contre l'autoroute reliant Beyrouth à Damas ces trois derniers jours. Seul celui du Nord est épargné. Il est utilisé pour l’acheminement d’une partie de l’aide humanitaire. Mais jusqu’à quand ?
par Paul Khalifeh
Article publié le 01/08/2006Dernière mise à jour le 01/08/2006 à TU