"Le Hezbollah ne cédera pas !" Entretien avec Walid Charara
La dignité retrouvée...
lundi 17 juillet 2006
Depuis 1948, la Palestine est occupée et l’Etat d’Israël mène une guerre contre le monde arabe. Le Liban est l’un des sites majeurs de cette confrontation. Alors que l’armée israélienne menait de nouvelles opérations sanglantes à Gaza, le Hezbollah, principale composante de la résistance libanaise, a engagé une contre-offensive militaire en enlevant deux soldats israéliens. De passage à Paris, Walid Charara, responsable des pages Opinions du nouveau quotidien Al Akhbar et auteur de « Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste » paru en 2004 aux éditions Fayard, a répondu aux questions d’Olfa Lamloum pour le site du Mouvement des indigènes de la république.
Dans quelles conditions le Hezbollah a-t-il décidé d’enlever les deux soldats israéliens ? Cette opération était-elle programmée ? Quels en sont les objectifs ?
Depuis plusieurs années, le Hezbollah exige la libération des otages libanais détenus en Israël, comme Samir el Kantar, emprisonné depuis 1978, Nassim Nisr et Yahia Skaff qui est enfermé depuis 1982. Le Hezbollah a toujours affirmé que si la voie de la diplomatie et de la négociation ne permettait pas d’obtenir leur libération, il n’hésiterait pas à utiliser tous les moyens, y compris la capture de soldats israéliens, pour les échanger contre les otages libanais d’Israël. C’est ce qu’il a fait avec cette opération. Je pense que le timing de l’opération était lié à des considérations de terrain mais aussi à des considérations politiques.
On parle aujourd’hui d’une provocation de la part de Hezbollah puisque Israël s’est retiré depuis 2000. Le fait d’enlever deux soldats israéliens dans le territoire israélien est considéré comme un acte de guerre contre Israël...
Il faut d’abord rectifier un point. Israël ne s’est pas retirée de tout le territoire. Il y a toujours une zone libanaise occupée par l’armée : les fermes de Shebaa. Le Hezbollah a toujours dit qu’il continuerait la lutte jusqu’à la libération de ces fermes. Ensuite, depuis le retrait en mai 2000, l’aviation israélienne viole quotidiennement l’espace aérien libanais. N’est-ce pas un acte de guerre ? La marine israélienne viole quotidiennement l’espace maritime libanais. N’est-ce pas un acte de guerre ? Des pêcheurs libanais ont été kidnappés et emmenés en Israël. N’est-ce pas un acte de guerre ? Des bergers libanais ont été tués à la frontière par l’armée israélienne. N’est-ce pas un acte de guerre ? Le problème, c’est que l’Etat libanais et son armée n’ont pas les moyens de s’opposer frontalement à l’armée israélienne qui a une supériorité technologique et militaire connue. C’est pourquoi la résistance libanaise, incarnée par le Hezbollah, prend en charge la riposte aux agressions israéliennes lorsqu’elle pense que l’occasion se présente. Lorsqu’on parle de provocations, c’est qu’on cherche à dédouaner l’occupation israélienne et les provocations quotidiennes qu’Israël effectue depuis mai 2000.
Cette opération a-t-elle un lien avec ce qui se passe à Gaza ?
Effectivement, l’opération du Hezbollah est aussi une manière de manifester une solidarité concrète avec les Palestiniens qui sont plus isolés que jamais alors qu’ils subissent une guerre ouverte menée par les Israéliens avec la complicité directe des puissances occidentales et une indifférence complice de la part de la plupart des régimes arabes. Le second front qui s’est ouvert au Liban va peut-être alléger un peu la pression qui est exercée sur Gaza depuis maintenant plusieurs semaines.
Comment expliques-tu l’ampleur de la riposte israélienne ?
L’armée israélienne est consciente qu’elle ne pourra pas libérer ses deux soldats. Les objectifs qu’elle s’est fixée ne sont plus liés à la seule libération des deux soldats. Le ministre de la défense a d’ailleurs déclaré que les objectifs d’Israël était aussi le déploiement d’une force internationale et l’éloignement des combattants du Hezbollah le plus au nord possible de la frontière. C’est un objectif qu’Israël cherche à atteindre depuis longtemps. A ce jour, l’armée israélienne a évité de lancer une offensive terrestre qui serait extrêmement coûteuse. Ce qu’elle cherche à faire, c’est intensifier la pression sur la population civile ainsi que sur le gouvernement libanais pour provoquer une dissension nationale interne au Liban. Il s’agit de créer un contexte politique défavorable au Hezbollah qui forcerait le gouvernement et les courants de l’opinion publique qui sont hostiles à ce mouvement à exercer des pressions pour que le Hezbollah accepte de s’éloigner de la frontière pour permettre à l’armée libanaise et à des forces multinationales de se déployer le long de la frontière. L’objectif N° 2 serait à terme un désarmement du Hezbollah. Israël s’en prend donc délibérément aux civiles pour retourner la population contre la résistance libanaise et faire pression sur le gouvernement pour qu’il agisse contre le Hezbollah. Il y a deux ministres du Hezbollah au gouvernement mais celui-ci est aussi constitué de forces politiques qui ont des points de vue différents sur la résistance. Israël essaie donc d’instrumentaliser les différends internes libanais pour exercer une pression maximale sur le Hezbollah.
Ne penses-tu pas qu’Israël est en mesure d’emporter cette bataille ? Les autorités saoudiennes ont dénoncé l’initiative du Hezbollah. Par ailleurs, quand on lit les éditoriaux de la presse libanaise, cette initiative ne semble pas non plus faire consensus ? Ennahar, par exemple, critique le Hezbollah. C’est le cas également de dirigeants comme Walid Joumblatt. Quelles sont les chances de Hezbollah de réunir un vrai consensus et de ne pas se retrouver isolé ?
Il faut d’abord savoir que, s’agissant des rapports de forces internes au Liban, le Hezbollah est largement représentatif d’une des composantes les plus importantes démographiquement de la population libanaise. Le Hezbollah est un parti qui est principalement enraciné dans la communauté chiite qui est la plus grande communauté du point de vue numérique. C’est un premier point. Deuxième point, le Hezbollah dispose d’un réseau d’alliances très important avec des forces politiques représentatives. Il est allié au courant politique de Michel Aoun, avec des partis transcommunautaires comme le PC libanais, le Parti national social syrien, le député Sleiman Frangié qui représente une force importante au nord Liban, Omar Karamé représentatif qui a une base importante à Tripoli, Oussama Saad qui représente une force également importante dans la ville de Saïda. Le Hezbollah dispose donc d’un réseau d’alliances communautaires ou transcommunautaires qui lui permet d’avoir une majorité relative à ses côtés dans la bataille qu’il mène face à l’occupation israélienne. Evidemment d’autres points de vue peuvent se manifester au Liban. De toutes manières, lorsque, dans le passé, le combat a été mené pour la libération du sud Liban - libération qui s’est réalisée avec le retrait israélien de la majeure partie du territoire libanais en mai 2000 -, il y avait déjà un consensus mou autour de la résistance. Durant les agressions israéliennes de 1993 et 1996, certains hommes politiques au Liban, en partie les mêmes qui s’expriment aujourd’hui, commençaient à réclamer l’envoi de l’armée au sud Liban pour se positionner entre la partie libérée du sud Liban et la partie occupée. C’est-à-dire que, même avant la libération du sud Liban, une partie de ces hommes politiques voulaient que l’armée se déploie pour que la résistance s’arrête dans les zones encore occupées. Avant la libération, un homme politique comme Amin Gemayel, avait publié une tribune dans Le Monde intitulée « halte à un Kosovo libanais ! ». Il annonçait que le Hezbollah allait entrer dans la zone occupée et massacrer les populations chrétiennes. Rien de tout cela n’a eu lieu et, quelques mois plus tard après la libération, Amin Gemayel a été contraint de revenir sur ses positions et de féliciter le Hezbollah pour son comportement exemplaire durant la libération Les dissensions internes ne sont pas un fait nouveau ; il n’en reste pas moins qu’une majorité relative au Liban est favorable au Hezbollah. Il est vrai, par ailleurs, que le contexte régional a changé. Les américains sont dans la région depuis maintenant trois ans. Ils ont envahi l’Irak et sont devenu avec 140 000 soldats basés en Irak une puissance moyen-orientale. Ils sont cependant dans une situation extrêmement difficile en Irak où ils font face à une résistance acharnée. Il est vrai aussi que malheureusement une guerre intercommunautaire a déjà commencé en Irak. Mais il faut signaler que le Hezbollah dispose, en Irak, d’une réelle base de sympathie auprès de la population qu’elle soit chiite ou sunnite. Ce capital de sympathie pourrait à terme pousser certaines organisations chiites irakiennes à s’en prendre aux forces américaines si les USA continuent leur politique de soutien inconditionnel à l’agression israélienne. La déclaration de Georges Bush, hier, a été interprétée par tous les observateurs comme un feu vert donné aux Israéliens pour continuer leur action. Il est donc vrai que les Américains sont présents dans la région mais, dans le contexte actuel, leur présence n’est pas nécessairement un atout. C’est peut-être même un point de faiblesse parce qu’ils sont plus vulnérables. En ce qui concerne le positionnement officiel des régimes arabes : ils ont été en principe favorables aux droits du peuple libanais à résister à l’occupation mais ce soutien verbal n’a jamais été accompagné d’une politique concrète de soutien à la résistance. Qu’ils fassent porter aujourd’hui la responsabilité de la dégradation de la situation à la résistance libanaise ne change pas grand chose à la donne sur le terrain. Dans les faits, ils n’ont jamais été des soutiens réels de la résistance menée ni au sud Liban ni en Palestine.
Une grande partie de la presse occidentale accuse le Hezbollah d’être manipulé par l’Iran et/ou la Syrie...
Face au comportement belliqueux d’Israël et à la politique américaine d’hégémonie sur la région, l’alliance entre le Hezbollah, la Syrie et l’Iran est de nature stratégique. Mais le Hezbollah est aussi allié du Hamas, aux différentes organisations palestiniennes comme avec toutes les organisations politiques dans la région et dans le monde qui s’opposent à l’hégémonie américaine. Dans un discours qu’il a prononcé il y a quelques mois, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah a affirmé que l’axe anti-américain s’étendait de Beyrouth jusqu’au Venezuela et que, par conséquent, le Hezbollah était allié avec Chavez au Venezuela, aux FARC en Colombie, à Morales en Bolivie. Cela ne signifie pas évidemment que ces forces dictent la politique que le Hezbollah met en œuvre. Le Hezbollah agit en partant d’abord de considérations nationales libanaises. Dans le cas précis de cette opération, il a estimé que le contexte actuel était favorable et surtout que tout autre moyen pour faire libérer les otages libanais détenus en Israël était devenu inefficace. Il est donc passé à l’action.
Depuis l’assassinat de Hariri, on assiste au Liban à la montée des contradictions inter-communautaires. En visant le sud et les infrastructures civiles, l’intervention militaire israélienne ne risque-t-elle pas d’isoler confessionnellement le Hezbollah, d’alimenter, d’entretenir voire de provoquer la dégénérescence totale du rapport de force ?
Encore une fois, quand on parle de dégénérescence de quoi parle-t-on ? De guerre civile ? Il faut analyser les rapports de force concrets sur le terrain. Quelles sont les lignes de clivage actuelles ? Les lignes de clivages n’opposent pas musulmans et chrétiens. Elles traversent les différentes communautés. Une grande partie des chrétiens se considère représentée par le général Aoun qui est aujourd’hui l’allié du Hezbollah. D’autres chrétiens estiment être représentés par des leaders locaux comme Suleiman Frangié, par le Parti national social syrien, très implanté parmi les chrétiens orthodoxes au Liban... On ne peut pas dire que le Hezbollah fait face à d’autres communautés qui lui sont hostiles. Il n’y a pas de consensus parmi les chrétiens contre le Hezbollah, bien au contraire. Aujourd’hui, une grande partie des formations politiques chrétiennes est de fait alliée au Hezbollah et la même chose s’applique à la communauté sunnite. Il est vrai qu’un vrai différend existe entre le Hezbollah et la principale force représentant la communauté sunnite au Liban, c’est-à-dire le Courant du Futur, fondé par Rafik Hariri, en ce qui concerne les relations avec la Syrie. Mais il faut savoir par ailleurs que la rue sunnite libanaise est très sensible à ce qui se passe en Palestine et en Irak. Historiquement, au Liban, les sunnites ont porté le nationalisme arabe et ont toujours été très sensibles à la question palestinienne. Ce qui se passe à Gaza a des répercussions et des implications très importantes sur l’opinion publique sunnite. Or, aujourd’hui, le Hezbollah apparaît comme le seul mouvement en mesure d’apporter un soutien concret aux Palestiniens. Un autre point important qu’il faut prendre en considération, c’est le sens politique que le Hezbollah a voulu donner à l’opération au cours de laquelle il a capturé deux soldats israélien. Lors d’une conférence de presse, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a exigé l’échange des prisonniers israéliens contre les otages libanais ; il a parlé également de la situation en Palestine mais il a surtout conclu son intervention en évoquant la situation en Irak. Il a appelé les Irakiens à s’unir contre l’occupation et à ne pas suivre ceux qu’il a qualifié d’agents du Mossad et de la CIA qui cherchent à diviser les Irakiens entre sunnites et chiites. Les sunnites et les chiites au Liban sont très sensibles à ces arguments. Dans les deux communautés, il y a la très forte conscience que les USA et Israël cherchent à instrumentaliser les contradictions intercommunautaires pour affaiblir davantage les peuples de la région et leur capacité de résistance. S’il y a une discorde au Liban, qui va-t-elle opposer ? A mon avis, si on essaie d’apprécier les rapports de force, il y a une nette majorité qui est favorable au Hezbollah. La déclaration de Walid Joumblatt hier (le chef druze du Parti socialiste progressiste) n’est pas une déclaration hostile au Hezbollah. Tout en signifiant par ailleurs sa différence avec le Hezbollah, il a clairement dit qu’il fallait maintenir l’unité nationale contre Israël, que les différends devaient être mis de côté et que du point de vue de la logique du Hezbollah cette opération était parfaitement compréhensible.
Jeu 27 Juil - 2:12 par mihou