Brève histoire de l'esclavage en Occident :
C'est en 1619 seulement que les premiers esclaves africains débarquent dans l'Amérique du nord anglo-saxonne.
Une main-d'oeuvre profitable
Jusqu'au début du XVIIIe siècle, les planteurs du Nouveau Monde emploient aussi bien des Européens (les «Bas rouges», engagés sous contrat pour plusieurs années) que des Africains. Les uns et les autres sont soumis aux mêmes règlements. Mais les engagés blancs ne supportent pas le climat et d'année en d'année, leur nombre régresse rapidement cependant que celui des Africains ne cesse de croître.
Lorsqu'à la fin du XVIIe siècle, les esclaves deviennent plus nombreux que les colons blancs, ces derniers commencent à élaborer des statuts juridiques contraignants en vue de se préserver des révoltes et... du mélange des races !
Interprétant la Bible de façon très abusive, les planteurs anglais voient dans les Africains les descendants de la race maudite de Cham (*). Ils justifient de la sorte un statut d'esclave en complète contradiction avec les idées politiques qui s'épanouissent alors en Europe.
Les planteurs des colonies anglaises qui deviendront plus tard les États-Unis se montrent au demeurant soucieux de bien traiter leurs esclaves. L'historien Pap Ndiaye écrit à leur propos : «Les maîtres appelaient leurs esclaves my people et nombre d'entre eux se considéraient comme des patriarches bienveillants, attentifs au bien-être et à la bonne conduite de leurs esclaves» (*). Mais le sentiment de leur supériorité en vient à instiller chez les Anglo-Saxons et les Français des Amériques un racisme viscéral à l'égard des Noirs.
Le commerce triangulaire
Comme l'accroissement naturel ne suffit pas à couvrir les besoins des plantations américaines en main-d'oeuvre servile, il est nécessaire d'importer de nouveaux esclaves en nombre toujours croissant.
Le «commerce triangulaire» devient au XVIIe siècle une source immense de profit pour les armateurs et épargnants européens, comme aujourd'hui l'exploitation pétrolière. Ainsi que son nom l'indique, ce commerce se déroule en trois étapes :
1) Des navires partent de Bordeaux, de Nantes et des autres ports atlantiques chargés de verroterie, d'alcool mais aussi de fusils.
2) Dans les comptoirs côtiers africains, ces marchandises sont troquées contre des esclaves avec les chefs coutumiers locaux. D'après le témoignage du voyageur Mungo Park, ces esclaves sont en grande majorité des esclaves de naissance appréciés pour leur docilité. Pour le reste, ce sont des prisonniers de guerre.
3) Les navires traversent l'Atlantique et échangent leur cargaison humaine en Amérique contre du rhum, du sucre, du tabac ou encore des métaux précieux. Au terme de leur voyage, ils retournent en Europe, les cales remplies de précieuses marchandises (coton, sucre, café, tabac,...).
Notons que les grands bénéficiaires de ce commerce sont, outre les armateurs et leurs actionnaires, les roitelets africains eux-mêmes qui vendent aux Européens leurs esclaves. Ils en tirent un grand profit en termes de richesses mais aussi de pouvoir, grâce aux armes à feu qu'ils reçoivent en échange et qui leur permettent d'écraser leurs ennemis (*).
Les navires des «négriers» effectuent la traversée de l'océan Atlantique en trois à six semaines. Ils contiennent jusqu'à 600 esclaves enchaînés à fond de cale dans des conditions éprouvantes (mais les équipages de ces navires ne sont guère mieux traités et les taux de mortalité des uns et des autres pendant la traversée s'avèrent équivalents !).
Coupe d'un navire négrier (fin XVIIIe siècle, musée des arts africains et océaniens, Paris)
Quelques centaines de milliers d'esclaves traversent ainsi l'Atlantique au XVIe siècle. Ils sont deux à trois millions au XVIIe siècle, 7 à 8 millions au XVIIIe siècle (le «Siècle des Lumières» !) et encore 3 ou 4 au XIXe siècle.
La traite des esclaves africains en chiffres
Pendant les trois ou quatre siècles qu'a duré la traite atlantique, l'historien Hugh Thomas estime à :
– 4,65 millions le nombre d'esclaves transportés par le Portugal (la colonie portugaise du Brésil faisant office de place tournante vers le reste des Amériques),
– 2,60 millions d'esclaves transportés par la Grande-Bretagne,
– 1,60 millions d'esclaves transportés par l'Espagne,
– 1,25 millions d'esclaves transportés par la France,
– 1,60 millions d'esclaves transportés par l'Espagne,
– 0,5 millions d'esclaves transportés par les Pays-Bas,
– 0,1 millions d'esclaves transportés par les États-Unis,
La traite atlantique, du XVe au XIXe siècles, a concerné un total d'environ onze millions d'Africains, en majorité des esclaves de naissance vendus par les chefs africains ou les marchands arabes.
La traite orientale, organisée par les musulmans vers le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à travers le Sahara et l'Océan indien du VIIIe au XIXe siècle, a concerné quant à elle 17 millions d'Africains.
Une législation inique
Le Code noir, édition de 1743À Versailles, à la Cour de Louis XIV, le ministre Jean-Baptiste Colbert est saisi en 1681 de la question de l'esclavage aux colonies en sa qualité de secrétaire d'État à la Marine.
Comme il est devenu impossible d'interdire cette pratique, sauf à se mettre à dos la riche bourgeoisie qui vit du commerce triangulaire, le grand Colbert entreprend de la réglementer.
Homme de bureau, soucieux de rigueur et de précision, il prépare un texte législatif pour encadrer les relations entre maîtres et esclaves.
Il réglemente les sanctions qui s'appliquent aux esclaves, classés comme «biens meubles», et d'autre part invite leurs maîtres à les éduquer dans la foi chrétienne !
Intitulé Édit du Roi sur la police de l'Amérique françoise, le texte est promulgué en 1685 (l'année de la révocation de l'Édit de Nantes !) par le fils du ministre, le marquis de Seignelay, secrétaire d'État à la Marine comme son père. Il sera plus tard connu sous le nom de «Code noir».
Jean-Baptiste Colbert, marquis de Seignelay (1651-1690), fils du grand Colbert et secrétaire d'État à la Marine (auteur anonyme, châteaux de Versailles et Trianon)
Jusqu'à la fin du XVIIe siècle, en Europe comme dans le reste du monde, la perpétuation de l'esclavage ne scandalise personne, pas même ceux qui se piquent de philosophie. C'est que cette pratique assure des profits rapides et à moindre effort aux planteurs et aux trafiquants, souvent gens issus de la meilleure bourgeoisie, voire de l'aristocratie éclairée.
Au XVIIIe siècle, de grands philosophes comme Montesquieu n'ont pas de scrupule à placer leurs économies dans les compagnies de traite (aujourd'hui encore, la plupart des boursicoteurs ne se soucient guère du caractère éthique de leurs placements).
Montesquieu reconnaît avec esprit l'inanité de l'esclavage (*) mais s'en accommode à la façon d'Aristote. «Il faut dire que l'esclavage est contre la nature, quoique dans certains pays, il soit fondé sur une raison naturelle», écrit-il dans L'Esprit des Lois. On retrouve la même résignation à la loi «naturelle» dans l'Encyclopédie de D'Alembert et Diderot (article «Nègres»).
La vérité est que l'esclavage se révèle un frein au progrès technique et bien sûr social dans les colonies de plantation (comme plus tôt dans le monde romain et dans le monde musulman). Ni les esclaves ni leurs maîtres n'ont en effet d'intérêt ou de motivation pour élever les rendements et développer des procédés économes du travail musculaire.
C'est seulement à partir de la fin du XVIIIe siècle que les Anglo-Saxons puis les Européens du Continent se préoccupent d'interdire la traite et d'abolir l'esclavage. Le combat contre ces institutions est mené par des ligues d'inspiration chrétienne et philanthropique.
En 1770, les colons quakers (protestants rigoureux) de Nouvelle-Angleterre s'interdisent la possession d'esclaves. L'esclavage est pour la première fois au monde mis hors la loi au Vermont en 1777, dans les jeunes États-Unis d'Amérique. La France des droits de l'Homme s'y résout tardivement, en 1848 seulement. Le dernier pays chrétien à abolir l'esclavage est l'Empire du Brésil, en 1888. Cette mesure d'humanité vaut à l'empereur d'être déposé l'année suivante par la bourgeoisie de son pays !
Source: http://www.herodote.net/motesclave5.htm#vermont