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 De quoi les Ivoiriens et Africains francophones ont besoin 2

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AuteurMessage
Delugio
Membre confirmé
Delugio


Nombre de messages : 107
Date d'inscription : 29/05/2005

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07072006
MessageDe quoi les Ivoiriens et Africains francophones ont besoin 2

«De quoi les Ivoiriens et les autres Africains francophones ont-ils besoin aujourd’hui ?»

Lu dans Le Messager (journal camerounais) — N° 2163 du 06-07-2006 — http://www.lemessager.net/details_articles.php?code=33&code_art=12917


.../...

Avant d’aller plus loin, je voudrais rappeler la définition de la démocratie. Voici celle de Tzvetan Todorov : “La démocratie signifie que chaque peuple est souverain, qu’il a le droit de définir pour lui-même le Bien, plutôt que de se le voir imposer du dehors. Par conséquent, lorsque les puissances occidentales conduisent leurs guerres coloniales au nom de la démocratie dont elles se veulent l’incarnation, les moyens utilisés annulent le but poursuivi. Comment peut-on promouvoir la dignité humaine des autres si on ne les laisse pas décider de leur propre système ? Si on impose la liberté aux autres, on les soumet ; si on leur impose l’égalité, on les juge inférieurs” (T. Todorov dans Le nouveau désordre mondial, Paris, Robert Laffont, 2003, pp. 31-32). Ce qu’on peut retenir de la conception todorovienne de la démocratie, c’est que celle-ci est incompatible avec l’impérialisme : quiconque se veut démocrate devrait renoncer à imposer et à s’imposer aux autres.

La question de fond que je voudrais examiner à présent est la suivante : Pourquoi les dirigeants français redoutent-ils la démocratie en Afrique ? Parce qu’elle remettrait en question la politique qu’ils ont conduite jusqu’ici, une politique que Lionel Jospin qualifiait en 1997 d’ “interventionniste, de paternaliste et d’affairiste”. Interventionniste et paternaliste car ils n’ont jamais cru les Africains capables de régler leurs conflits. On a entendu ainsi à Dakar Jacques Chirac railler et critiquer la médiation de Thabo Mbeki, la seule qui ait pourtant été menée de façon respectueuse, objective et impartiale alors que les accords de Marcoussis légitimaient et avantageaient outrageusement la rébellion. Chirac disait notamment que le président sud-africain ne maîtrisait pas la psychologie des Africains de l’Ouest, ce qui, de mon point de vue, est prétentieux et ridicule. Affairiste car, d’après Eric Fottorino, Christophe Guillemin et Erik Orsenna, “il n’est pas de campagne nationale française que l’Afrique n’ait pas soutenu financièrement en distribuant des oboles à tous, sans vrai favoritisme, pour être sûre d’avoir, quoi qu’il arrive, un parent à l’Elysée ou à Matignon” (Besoin d’Afrique, Fayard, 1992, p. 168). La démocratie fait peur parce que l’Elysée, Matignon et le Quai d’Orsay veulent continuer à faire et à défaire les présidents en Afrique, parce que les hommes politiques français refusent de voir l’Afrique “renouer avec le projet initial de libération économique, politique et culturelle qui a largement été contrarié par la politique africaine de la France, dont l’instrumentalisation de la Côte d’Ivoire et de son premier leader, Félix Houphouët-Boigny, a été l’une des composantes” (ces mots ne sont pas d’un partisan de Laurent Gbagbo mais d’Aminata Traoré, ancienne ministre malienne du Tourisme, dans sa Lettre au président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général, Fayard, 2005, p. 144). Pour ma part, je pense que vouloir la démocratie chez soi et la refuser ailleurs, ce n’est pas seulement se montrer raciste mais ruser avec ses principes. Or une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde (Aimé Césaire dans Discours sur le colonialisme, Présence africaine, 1995). L’Afrique francophone a beaucoup changé en quatre décennies. La jeunesse africaine, qui représente 60 % de la population, y est décomplexée, politisée, informée et désire emprunter le train de la démocratie, choisir et renvoyer elle-même ses dirigeants, écrire elle-même son histoire, être dirigée par des chefs d’Etat libres et dignes comme Thomas Sankara dont le combat pour une véritable indépendance incommodait Paris car, selon l’universitaire française Anne-Cécile Robert, “ce n’est sans doute pas un hasard si le président François Mitterrand, qui n’a jamais remis en cause la “Françafrique” (ensemble de réseaux mafieux dont l’objectif est de garder les anciennes colonies sous la tutelle française selon feu François-Xavier Verschave dans La Françafrique. Le plus long scandale de la République, Stock, 1998), ne manifesta de colère qu’envers un seul chef d’Etat africain : Thomas Sankara. Par contraste, l’image du Maréchal Mobutu, dictateur criminel s’il en fut, assis près du dirigeant français sur le parvis des droits de l’homme à Paris, lors du bicentenaire de la Révolution de 1789, représente le symbole, à la fois pathétique et tragique, de la trahison du discours de Cancun de 1982” (A.-C. Robert, L’Afrique au secours de l’Occident, Editions de l’Atelier, 2005, p. 133). En un mot, ce qu’il faut aujourd’hui aux Ivoiriens et aux autres Africains francophones, c’est moins d’argent et plus de respect, plus de liberté et plus de justice. Ce qu’ils attendent des responsables français, c’est qu’ils ne diabolisent pas les présidents africains qui ont repris le combat de Thomas Sankara. J’ai dit “diaboliser” car, de l’aveu de Jean-Claude Guillebaud, “la modernité occidentale tend à diaboliser ce qui la conteste, à négliger ce qui la questionne, à combattre ce qui lui résiste” (J.-C. Guillebaud, “L’Occident ? Un monde clos sur lui-même”, Le Monde du 6 février 2006). Dans ce registre, je voudrais revisiter une réflexion de Mgr Hippolyte Simon sur les relations entre l’Eglise et la France dans son livre Vers une France païenne ? (Cana, 1999). L’archevêque de Clermont-Ferrand y écrit ceci : “La France avait, comme toute fille, vocation à s’émanciper un jour de sa mère (l’Eglise) et le fait que cette émancipation se soit souvent mal passée ne signifie pas qu’elle n’aurait pas dû avoir lieu”. Si on veut appliquer cela aux relations entre la France et ses ex-colonies, on dira que les Africains ne peuvent pas dépendre éternellement de la France et que, même si elle s’est quelquefois mal exprimée en Côte d’Ivoire avec les dérapages dont les patriotes ont pu se rendre coupables, leur volonté de substituer le partenariat au tutorat ne devrait nullement choquer ou susciter une levée de boucliers en France. Le désir d’une véritable indépendance qui se fait sentir ici et là en Afrique francophone ne devrait surtout pas pousser des individus et des multinationales en Europe à armer et à financer des rébellions pour massacrer des populations civiles et renverser des présidents démocratiquement élus.

Pour terminer, je me réjouis que Charles Taylor – une autre crapule - ait été arrêté pour répondre de ses nombreux crimes de guerre et contre l’humanité devant le Tribunal spécial de Sierra Leone. C’est un bon signe pour le retour de la paix en Côte d’Ivoire et dans les autres pays de l’Afrique occidentale. Mais Taylor n’est pas le seul à avoir déstabilisé et ensanglanté la sous-région. La justice et la logique voudraient que la communauté dite internationale s’intéresse aussi à Blaise Compaoré, l’homme avec qui Taylor s’est enrichi en pillant les richesses de Sierra Leone, du Liberia, de la Guinée et de la Côte d’Ivoire et à qui plusieurs organisations de défense des droits de l’homme attribuent au moins 116 assassinats politiques.»


(Jean-Claude DJEREKE
auteur de changer de politique vis-à-vis du sud.
Une critique de l’impérialisme occidental, Paris, l’Harmattan - 2004)


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