Gbagbo élu, tout est en place pour se gâter, puisqu’il n’est ni le candidat de la Françafrique, ni le candidat des idéologues de l’ « Autre ». Contre la Françafrique, au plan économique, il a le culot de lancer des appels d’offre ! Contre les « autristes », il a le tort de n’être pas Ouattara. Et il aura beau mettre en place un forum de réconciliation nationale, poser les conditions qui vaudront à Ouattara l’octroi de la nationalité ivoirienne, organiser des élections libres, qui verront, aux municipales, RDR, PDCI et FPI se partager chacun un tiers des voix (avec une légère avance pour les candidats du RDR, naturellement interprétée en France comme un triomphe), rien n’y fera. Il n’est ni « l’Autre », ni le Françafricain souhaité. Contre la Françafrique et contre l’ « autrisme » à la fois, l’abus trouve sans doute son point culminant en ce qu’il met en place — ce qu’ignore le grand public en France — CMU et école gratuite et obligatoire (mais ça forme des citoyens ! En Afrique, c’est l’ « ivoirité », ça !).
Pire que tout, le gouvernement de réconciliation nationale qu’il met en place obtient de réels succès, notamment économiques, que viendront stopper (1) la tentative de coup d’État du 19 septembre 2002, fait d’une rébellion qui, à l’appui (reconnu depuis) du pouvoir bien vu à Paris du Burkinabé Compaoré et du Libérien Taylor (fameux pour ses équipes de coupeurs de bras), descendra jusqu’à Abidjan, où elle assassinera Émile Boga Doudou, en poste au ministère de l’Intérieur, ministère que la France confiera à cette même rébellion par la suite (un peu comme si l’on confiait le ministère de l’Intérieur français à Yvan Colonna, qui est accusé d’avoir tué un préfet — que dire si c’était d’avoir tué le ministre de l’Intérieur ?) !
L’armée loyaliste, les FANCI, repoussera les rebelles jusqu’à Bouaké, où l’armée française bloquera tout le monde pour que l’on nous explique qu’elle a empêché la rébellion d’aller jusqu’à Abidjan d’où les FANCI venaient de les repousser ! Qu’importe, ça reste la thèse médiatique officielle jusqu’à aujourd’hui ! — et que Gbagbo soit donc reconnaissant à la Françafrique, sous peine de sanctions à l’ONU ! Telle est la réponse fournie à quiconque oserait faire remarquer que la France a des accords de défense avec la Côte d’Ivoire au cas où elle serait agressée, en échange de la dimension anecdotique de son armée à elle. Caducs ces accords, annonce la Ministre française de la défense au lendemain du 19 septembre 2002, sans que les principaux intéressés en aient été avertis jusque là !
À Marcoussis, Paris exigeait du gouvernement ivoirien légal qu’il admette la partition du pays, l’élévation des rebelles (sous le nom de « Forces Nouvelles ») au Ministère de l’Intérieur dont ils ont assassiné leur prédécesseur et au Ministère de la Défense du pays qu’ils viennent d’agresser. À accepter sans discuter, sous peine, on le comprend, de voir les rebelles seuls au pouvoir — à moins sans doute que l’on en passe directement au protectorat pour protéger les Africains d’eux-mêmes ?! — : à Paris et en Europe, les idéologues de l’ « Autre » agitent depuis beau temps le chiffon rouge rwandais. (Normal un Nègre est un Nègre et Rwanda – Côte d’Ivoire — ou accessoirement Soudan — tout ça c’est du pareil au même !)
Marcoussis est si invraisemblable que le Président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Mamadou Koulibaly, ne peut qu’en claquer la porte. Mamadou Koulibaly, « un dur » de ce Régime « ethniste », assurent les médias français, qui oublient en passant que selon leur classification, qu’ignore la Côte d’Ivoire, il est autant « musulman du Nord » que Ouattara. Mais qu’importe, lui est FPI, ce Parti qui a le culot de vouloir fonder la citoyenneté ivoirienne, qui — puisqu’elle ne saurait qu’être nationale, comme toute citoyenneté — est donc ici « ivoiriste » au sens entendu !
Colère du peuple face au coup d’État constitutionnel de Marcoussis, peuple dont on tente de minimiser l’ampleur des manifestations, non sans coller dans les jambes de Gbagbo des « escadrons de la morts (2) », tuant au moment opportun !
Et les idéologues de l’ « Autre » de ne pas comprendre, puisqu’il n’y a pas de citoyenneté nègre, que leurs brûlots, comme le film belge « Poudrière identitaire », font chou blanc en Côte d’Ivoire, où il suffit de les sortir de « sous le manteau » où ils prétendent circuler et les passer aux heures de grande écoute à la télévision ivoirienne pour en évacuer le venin.
Après Marcoussis, Gbagbo, à qui l’on impose un « gouvernement de réconciliation » — comme s’il ne l’avait pas mis en place, mais de façon légale, avant — s’efforcera de faire passer, dans le cadre de la légalité et de la Constitution, avec vote au parlement, ce qu’on prétend lui imposer.
Les rebelles, eux, en l’absence de pression de la France, refuseront de désarmer comme ils sont censés le faire. Et — l’ONUCI se montrant tout aussi impuissante — lorsque le pouvoir légal ivoirien s’avisera de faire désarmer lui-même des rebelles qui se sont entretués et qui ne représentent plus qu’eux-mêmes, il sera accusé d’avoir attaqué délibérément l’armée française, qui, le 6 novembre 2004 décidera précipitamment de détruire les faibles moyens aériens ivoiriens, militaires (constitués parce que les accords de défense avec la France sont « caducs ») et civils, de bombarder les palais présidentiels de Yamoussoukro et Abidjan, de prendre l’aéroport d’Abidjan au prix de tirs au canon de 20 mm depuis les hélicoptères de combat sur une foule tentant à mains nues de manifester contre ce coup de force — cela non sans faire mine ensuite de s’étonner de sa réaction et de ses menaces contre les intérêts français. Et de faire descendre les chars de la ligne de front pour cerner la résidence présidentielle au lieu de protéger les ressortissants français, tandis que 4000 évadés de la MACA (gérée par le RDR selon la volonté de Marcoussis), dont l’auteur du casse qui a alimenté les rebelles avant que les États de la BECEAO n’assèchent leurs devises. Encerclement de la résidence présidentielle au prix de nouveaux tirs sur la foule. Combien de morts ? Après n'avoir admis que neuf morts, soldats français, après avoir tout nié en bloc concernant les morts ivoiriens, puis concédé des victimes par « bousculades » — Alliot-Marie a fini par concéder « une vingtaine » de morts sans même esquisser quelque regret ou compassion !
Et la France, comme juge et partie, de faire condamner la Côte d’Ivoire à l’ONU, à l’appui, contre leurs peuples, de quelques vieux dinosaures bien connus de la Françafrique.
Aujourd’hui, tandis que la guerre françafricaine continue, les choses continuent aussi de se dévoiler, tandis que la rébellion soutenue par la France et les dinosaures de la Françafrique, ayant obtenu tout ce qu’elle prétextait revendiquer, refuse toujours de désarmer.
Quoiqu’il en soit de la suite de choses — l’Histoire est déjà scellée qui fera la relecture de ces événements, qui ont fait des patriotes ivoiriens les porte-parole de la citoyenneté des Africains contre tous les « Y’a bon Banania » grimés du masque de l’idéologie de l’ « Autre ».
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(1) Cela non sans d’autres bénéfices économiques dans l’ombre ! Cf. Mamadou Koulibaly, dans libres.org : « Au début septembre 2002, le marché international du cacao avait anticipé une production en Côte d’Ivoire qui dépassait le million et demi de tonnes, tandis que les acheteurs à Londres avaient tablé sur 700 à 800 mille tonnes. La production doublant, le prix à terme avait commencé à baisser (moins de 600 £ la tonne). Curieusement, il s’est trouvé quelques clients sur le marché pour acheter alors que tout le monde savait que le cours était à la baisse et que les pertes seraient extraordinaires. Parmi ces clients, il y avait de gros assureurs ayant perdu beaucoup d’argent dans les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis ; de gros acheteurs qui avaient fait de mauvaises opérations sur le Pétrole au Venezuela. Une fois qu’ils ont eu fait le plein, une rébellion s’est déclarée. Cible : la zone de production du cacao. En une semaine, le cours du Cacao est passé de 600 £ la tonne à plus de 1 500 £ la tonne. Ces gens ont liquidé rapidement tout leur stock et ont disparu du marché avec plusieurs milliards de Livres en poche. Enquête menée, il leur a suffi d’acheter quelques armes pour les rebelles et de les piloter sur la zone de production du cacao. »
(2) Cf.
Le Monde du 8 février 2003 : cet article du Monde ayant employé le conditionnel, il n’y avait pas lieu pour Gbagbo de l'attaquer, selon la justice française (AFP - Paris, 9 juil 2004).
Le Monde a été condamné à verser un Euro de dommages et intérêts aux gardes du corps de Laurent et Simone Gbagbo qui en «auraient» été les instigateurs (AFP - Paris, 9 juil 2004). Laurent Gbagbo a été débouté de son procès contre
Le Monde non pas parce qu’il aurait eu des «escadrons de la mort», mais parce que
Le Monde ne l’aurait jamais dit autrement qu’au conditionnel et que donc il n’y avait pas lieu de l’attaquer (AFP - Paris, 9 juil 2004) !